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PAROLES DU MONDE (FORTALEZA, BRÉSIL)

Dans le document Écritures en chemin (Page 144-148)

L

A PRÉSENCE DE LA MORT DANS L

ÉCRITURE

DE L

ADOLESCENT

Combien de fois négligeons-nous la parole de nos enfants quand il s’agit de la mort ? Nous avons tou- jours essayé de leur donner la valeur de la vie. Mais pourquoi laisser à distance l’idée de la mort ? Pour- quoi nous cachons -nous derrière une fausse immor- talité ?

Les peuples de l’Antiquité voyaient la mort comme une réalité avec laquelle ils entretenaient une convivialité saine. Il y avait même un besoin de pro- longer cet événement par l’embaumement ou la mo- mification. Même encore de nos jours et dans quelques endroits, la veillée d’un parent décédé se fait dans la maison. Dans la famille, les personnes veillent à tour de rôle. Mais la mort est acceptée seu- lement quand il s’agit de celle des personnes âgées. La mort d’un enfant ou d’un adolescent est vue comme une catastrophe.

Être vivant, pourtant, c’est la condition essentielle pour mourir. Être vivant se confond avec être né. Ce qui pose question, paradoxalement, ce sont les no- tions de naissance et mort. Dans la gestation, on dit que l’enfant n’est pas né. Mais il n’est pas rare d’en- tendre des expressions du type : « Il est mort-né » ou « il est mort dans le ventre ». Or, si la condition pre- mière pour mourir est d’être né, on constate là une véritable contradiction.

Pour l’enfant, la mort est incompréhensible. Le sentiment de peur se mélange avec l’image de la dis- parition sous la terre, il est suivi de fantasmes d’iso- lement et de solitude, d’effroi, de panique et de désir de mourir. Pour ceux qui ne sont pas morts, reste le mystère.

Chez l’adolescent, la mort exerce une certaine fas- cination qui peut facilement l’amener au suicide soit par curiosité, soit à cause de la sensation de diver- gence de sa réalité et celle du monde dans lequel il vit. L’adolescent se donne droit au risque, à la petite

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folie, mais aussi et souvent, au silence. Une analyse approfondie de son propre discours peut permettre de dévoiler ses peurs et mettre en évidence ses volontés réelles.

Ce travail, qui consiste à faire parler l’adolescent sur lui-même et à révéler son historicité, a été réalisé en tenant compte de l’importance de sa parole narra- tive.

nMéthodologie

Cette recherche a été élaborée pendant une période de cinq mois, dans sept classes de lycée d’une école privée de Fortaleza, avec quatre cent cinquante ado- lescents. Ces adolescents, tous issus de classes so- ciales privilégiées, ont des âges compris entre 14 et 17 ans. Pendant la période considérée, ils n’ont pas eu d’information sur l’objectif des activités propo- sées ; celles-ci ont suivi le programme scolaire nor- mal et ont obéi, avec quelques modifications, aux propositions de leur livre de cours.

L’objectif affiché dans ce livre est de faciliter l’ac- quisition de compétences dans le domaine de l’écri- ture. Dans les divers chapitres, il présente des situa- tions qui provoquent des stimulations visuelles, sensorielles, émotives, et l’élève est invité à construire progressivement un personnage. Selon l’auteur, c’est par la description de celui-ci que l’étu- diant va découvrir l’écriture. Pour la réalisation de cette recherche, les innovations concernaient la des- cription de soi : en effet, ces changements ont été bien acceptés quand j’ai permis à mes étudiants que ce personnage en question soit eux-mêmes.

À partir de ce moment-là, nous avons élaboré des

ensembles de questions et des phrases qu’ils pou- vaient compléter en les accordant avec leurs propres expériences. Après cinq mois, avec deux écrits heb- domadaires, un en classe, un autre chez eux, nous sommes arrivés à l’écriture d’un texte afin qu’ils or- ganisent leur pensée à partir des discussions menées lors des séances antérieures.

Les étudiants ont été invités à faire cette réorga- nisation chez eux, pendant la semaine qui précédait l’évaluation. Je leur ai demandé d’apporter le tra- vail pour le dernier cours, parce que nous ferions l’examen avec l’aide du livre. En salle, je leur ai donné deux feuilles de trente lignes chacune, pour l’écriture d’un texte où ils allaient résumer les idées discutées pendant le semestre, le thème étant : « Qui suis-je ? »

nRésultat et discussion

La lecture des textes de ces adolescents a mis en évidence une réalité tout à fait délicate : la grande majorité, bien qu’ils aient eu le temps d’organiser leurs textes chez eux et, peut-être, de cacher leurs peurs et leurs angoisses, s’est montrée extrêmement fragile à l’égard de la vie. Dans les textes, on perçoit en effet la cassure des relations avec leur entourage et ils sont marqués par l’image pitoyable d’une vie d’ennui, de solitude, de dépression et de forte attrac- tion pour la mort. Dans leur parole, on remarque qu’ils se plaignent de la pression de la famille pour qu’ils atteignent une place sociale élevée dans la so- ciété. Beaucoup pensent ou ont déjà pensé au sui- cide, quelques-uns ont montré comment ils pré- voyaient de le faire. D’autres se sont déjà vus

proches de la mort ou ne se voient pas de raisons de vivre.

D’après Barbier (1997), chaque angoisse est une façon de se rapprocher de la mort, c’est un état pré-

mortem que nous avons laissé naître pour bloquer le

plaisir d’être vivant. Chez l’adolescent, cet état de- vient particulièrement important, dû à la forte ten- dance que la jeunesse a de maximiser ses sentiments et de considérer que ses douleurs sont inéluctables. Encore d’après l’auteur : « Le passé a un rôle impor-

tant parce que nous sommes réduits à être ce que nous avons appris, sur le plan des émotions et des valeurs. »

Il paraît évident que le moment de découverte de soi par ces adolescents est comme une récupération du passé longtemps renfermé dans les sous-sols de la mémoire. Et pendant ce moment, l’autonomie de l’adulte en construction peut se développer. D’après Tiba (1986, 52) : « L’autonomie représente la conser-

vation de son individualité [de l’adolescent] : c’est si important d’être respecté, entendu et aimé, comme de respecter, entendre et aimer. »

Quelques passages des textes écrits par les étu- diants ont ainsi montré une grande tendance à la soli- tude, à l’ennui et à la morbidité. Ces sentiments révè- lent une attente très forte de la famille pour que leurs enfants soient les premiers dans tout ce qu’ils font. À première vue, ceci paraît être normal et général, mais il faut voir les séquelles engendrées par cet engage- ment de l’adolescent vers son avenir possible, avenir souvent rêvé par les parents.

Le discours des adolescents peut être alors inter- prété à partir des attentes de leurs parents et de ses

conséquences dans l’affectivité. Pour une étudiante : « Je me sens une personne froide, parce que je n’ar-

rive pas à exprimer mes sentiments ; j’ai peut-être peur de la réaction des autres. J’étouffe mes senti- ments, je pleure, je reste muette et quand on vient me demander si tout va bien, je réponds que oui. »

Un autre témoignage évoque le sentiment de perte : « J’ai déjà eu beaucoup de deuils […]. Mes

petits amis m’ont dit que je n’étais pas sensible. Jus- qu’à aujourd’hui, je sens les séquelles de cette insé- curité. »

Une parole révèle l’importance de la foi : « Il y a

peu de temps que j’ai décidé de changer ma vie en m’approchant de Dieu. Celui qui ne sait pas expri- mer son propre “je” ne vit pas, il végète juste, comme je faisais auparavant. »

La conscience du résultat de la dépression apparaît clairement dans les mots de cette adolescente : « Ma

vie est imprévisible. J’ai déjà subi plusieurs désillu- sions qui m’ont amenée à une grande dépression, trois années de solitude et de larmes… Je crois que ça a été pour moi une façon de mûrir. »

nConclusion

De façon générale, les adolescents ont une parole imprégnée d’angoisses et de peurs dont la raison leur est méconnue. L’activité proposée ici a été très bien suivie par les étudiants et, comme ils ne connaissaient pas l’objectif de l’étude qui a eu lieu avec eux, dans les classes suivantes, on a pu parler, sans qu’ils se sentent gênés, de quelques aspects de la vie qu’eux-mêmes avaient écrits. C’était, en quelque sorte, comme un nœud qui se défait peu à

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peu sans que l’on puisse savoir comment, ni où est le bout du fil.

Ce petit nombre d’écrits, de créations d’historicité qui ont coulé dans ces textes, a été élaboré comme un document anthropologique qui nous a laissé voir un certain nombre d’informations accumulées et mélangées dans les salles pleines de grands lycées. Ainsi, dissimulée sous la forme d’examen de com- position écrite construit lentement au long des cinq mois, l’écriture de l’étudiant paraît perdre le trauma de parler sur soi-même spontanément, de manière imposée et stéréotypée, comme dans une entrevue ou dans une anamnèse traditionnelle. Alors, épar-

gnés du souci de la surprise et de la contrainte de la création momentanée, beaucoup d’adolescents cas- sent leur coquille protectrice et se montrent au jour plus facilement.

SANDRA-MAÏAF. VASCONCELOS1

1. Étudiante en 2eannée de thèse.

BIBLIOGRAPHIE

BARBIER RENÉ, L’approche transversale : l’écoute

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