• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : 1967 à 1991 Les discours sur Les parcs et les espaces verts marqués par la

4.4 Les représentations des parcs et des espaces verts dans le contexte de croissance urbaine

4.4.1 Les parcs et les espaces verts comme lieux de loisir

À l’instar de la période précédente, la notion de loisir (ou valeur récréative) est présentée comme la fonction centrale des parcs et des espaces verts. Tous les types d’acteurs et presque tous les documents établissent un lien entre loisir, parcs et espaces verts « à un point tel qu'il se fait entre les deux une connexion automatique et exclusive » (MENVIQ 1982, 14). Cependant, on note un changement dans la manière d’aborder le loisir. En effet, la CUM et les acteurs provinciaux intègrent la notion de « plein air » dans leurs discours (CUM 1973; CUM 1978; Groupe Dryade 1979; CCE 1980, MENVIQ 1982, CUM 1989). Le Service d’urbanisme de Montréal est le premier à le mentionner dans le document Montréal Horizon 2000 (1967). Toutefois, la Ville de Montréal l’intégrera davantage dans ses discours à partir des années 1980. Dans la suite de cette section, on démontre tout d’abord le lien que la CUM et les acteurs provinciaux établissent entre les parcs, les espaces verts et le loisir de plein air. Ensuite, on expose les représentations des parcs et des espaces verts véhiculées par la Ville de Montréal qui, pour leur part, sont influencées par les transformations apportées au Service des parcs de Montréal et par la tenue des Jeux olympiques de 1976. En revanche, après les Jeux olympiques de Montréal, le discours de la Ville de Montréal intègre également le plein air.

4.4.2.1 Le loisir de plein air

Le loisir de plein air est d’abord introduit par le document Montréal Horizon 2000 publié par le Service d’urbanisme de Montréal en 1967 : « Il est évident qu'au seuil de la civilisation des

loisirs, nous ne saurions négliger l'importance de la récréation en plein air sous toutes ses formes » (Aubry et Cousineau 1967, 1). Les activités qui constituent le loisir de plein air dans ce document sont: « les promenades en auto, les pique-niques, le campisme, le ski, la chasse, la pêche, les sports aquatiques : ski, navigation de plaisance, etc.; la fréquentation des plages et les promenades à pied » (Lamothe 1967, 1).Bien qu’il s’agit d’un document émanant du niveau municipal, le lien entre parcs et loisir de plein air concerne davantage les grands espaces verts métropolitains (parcs urbains et parcs régionaux) et est principalement établi par les acteurs des niveaux régional et provincial. Ces acteurs stipulent que les demandes concernant le plein air et la conservation des espaces verts devraient logiquement augmenter en fonction de la croissance démographique de la métropole (CUM 1978; CCE 1980). Par exemple, la CUM évoque que « [v]ers la fin du siècle, la Communauté avec ses quelques 2 millions d'habitants devra faire face à une demande accrue d'espaces de plein air » (CUM 1978, 29). Dans le même ordre d’idée, le CCE indique que « [l]a nécessité de créer des espaces verts accessibles aux citadins tient aussi bien à la privatisation croissante de l'espace naturel qu'à la consommation du sol par l'extension urbaine » (CCE 1980, 27).

De plus, bien que le loisir de plein air tel que développé précédemment dans Montréal Horizon 2000 (Ville de Montréal 1967) comprend des activités sportives, les discours insistent surtout sur le repos et la détente dans la définition de plein air. Par exemple, les résultats d’enquête de la CUM concernant les activités dans les boisés urbains (1975) révèlent que les activités pratiquées dans ce type d’espace vert sont davantage liées à la détente :

« Selon les trois enquêtes, les activités les plus pratiquées se révèlent être des activités non sportives du genre évasion, détente ou repos. […] Ces loisirs réclamant peu d'effort physique, sont donc accessibles à tous les groupes d'âge; Ces loisirs peuvent se pratiquer sans encadrement ni organisation formelle; Ces loisirs ne réclament pas d'équipement particulier » (CUM 1975, 5).

De son côté, au cours des années 1970 et 1980, le gouvernement provincial amorce une série d’études dans différents domaines, dont le loisir et l’environnement. Cet investissement politique mène à la publication de nombreux documents. On compte, parmi ceux-ci, les recherches dirigées ou commandées par le CCE (Groupe Dryade 1979; CCE 1980), le document La question des espaces verts – concept, expériences québécoises et guide du MENVIQ (1982), le Livre vert et le Livre blanc sur le loisir du HCJLQ (1977; 1979) et la synthèse des études concernant le Projet Archipel (MLCPQ 1984). Les discours que contiennent ces documents véhiculent tous la représentation de l’espace vert et du parc comme lieu de loisir de plein air et,

corollairement, comme lieu de nature à conserver et à protéger. À titre d’exemple, le document Mieux connaître les espaces verts (1980) du CCE, en plus de véhiculer la représentation de l’espace vert comme lieu de loisir de plein air, aborde la nécessité de conserver ces espaces pour leurs caractéristiques naturelles :

« Outre le pouvoir bénéfique de purification de l'air qu'ils possèdent, les espaces verts contribuent à améliorer le domaine bâti, y insérant un peu de nature. Ils répondent de plus à des besoins de détente et de loisir en plein air pour la population qui y vit et y travaille » (CCE 1980, 109).

Dans son étude portant sur les espaces verts, La question des espaces verts – concept, expériences québécoises et guide (1982), le MENVIQ établit un lien entre l’espace vert dit « naturel » et le loisir de plein air, mais ici il s’agit de loisirs de plein air associés à la détente et au repos :

« Donc, l'espace vert doit être ''naturel'', ou du moins, présenter des phénomènes naturels (le plus possible) et être libre de toute construction utile; ceci par opposition au domaine bâti, à la mise en valeur, à la culture. Il doit servir à la détente, c'est- à-dire au loisir; de ce fait, toute forme de construction utile (production, résidence, commerce) y est interdite. Olmsted refusait catégoriquement toute forme de construction (aréna, cirque, piste de course, musée, etc.) » (MENVIQ 1982, 12).

Le MLCPQ associe également le loisir de plein air à la nature dans le document Synthèse des études et propositions d’intervention : Archipel de Montréal, Rapport final (1984):

« Actuellement, on associe de plus en plus étroitement nature et loisir. D'ailleurs, les activités en plein air connaissent un développement qui ne cesse de s'accroître. On n'a qu'à observer tous ceux et celles qui font de la marche, de la course à pied ou de la bicyclette dans les parcs urbains » (MLCPQ 1984, 6).

Du côté de la CUM, celle-ci véhicule pareillement la représentation du parc et de l’espace vert comme lieu de loisir de plein air puisqu’ils sont des lieux de nature. Le projet de Réseau vert récréo-touristique que la CUM propose est inspiré des objectifs énumérés par le MCLPQ dans le Livre vert sur le loisir :

« [R]edonner aux Québécois les moyens et les occasions de satisfaire leurs besoins de contact avec la nature ou tout simplement d'y prendre goût; […] Le loisir de plein air repose fondamentalement sur l'existence d'espaces naturels... Leur conservation et leur

développement exigeront des efforts considérables, mais vis-à-vis desquels notre société n'a plus le choix » (CUM 1989, 3).

Il appert que ces différents acteurs (CCE, MENVIQ, MLCPQ, CUM, HCJLSQ) véhiculent des représentations des parcs et des espaces verts comme étant des lieux de loisir et plus spécifiquement de loisir de plein air. On perçoit que ce type de loisir est davantage lié aux grands parcs et espaces verts puisqu’il s’agit de lieux de nature. Par ailleurs, on observe une préoccupation du gouvernement du Québec, partagée par la CUM, pour « protéger et aménager » ces espaces « à proximité des bassins de population » (CUM 1989, 3). Ceci peut-il être interprété comme reflétant une certaine préoccupation pour une répartition équitable, dans sa dimension d’égalité ? La formulation utilisée ne permet pas de conclure avec certitude en ce sens puisqu’elle se rapporte seulement au terme « à proximité » et n’élabore pas davantage sur les caractéristiques de la population visée par la CUM. La formulation est donc trop générale pour conclure qu’il s’agit d’une réelle préoccupation pour une répartition équitable.

Il est à souligner que le discours du CCE, bien qu’insistant sur le loisir de plein air, intègre également le sport (loisirs actifs) dans son interprétation du loisir de plein air : « Ce sont les loisirs de plein air que les citadins exercent dans les espaces verts, aussi bien pour le repos et la détente que pour des activités de loisirs actifs » (CCE 1980, 27). Ainsi, les deux fonctions cohabitent dans certains espaces verts.

4.4.2.2 Le loisir sportif

Pour leur part, les services municipaux montréalais chargés des activités dans les parcs insistent davantage sur la notion de loisir sportif. Cela s’explique, entre autres, par les changements apportés aux services municipaux et à la préparation des Jeux olympiques de Montréal de 1976 (Ville de Montréal 1975; De Laplante 1990; Bonhomme 1975). Cette fonction sportive des parcs et espaces verts n’était toutefois pas absente dans les discours du CCE et du MLCPQ. Cependant, la Ville de Montréal, dans ce contexte, met davantage l’accent sur cette fonction que ces deux acteurs provinciaux.

Les changements apportés au Service des parcs de Montréal, comme mentionné à la section 4.2, se sont faits sous l’influence de l’ADLM (Bellefleur 1997, 97). Cependant, le Service des sports et loisirs de Montréal investit davantage dans les loisirs de type sportif. Cela se traduit par l’aménagement de terrains et d’infrastructures pour les sports dans les parcs de la Ville de

Montréal (Laberge 1988; GIUM 1984; Tardif 1974). Cela inclut également la construction de grands gymnases :

« Mais avant d'établir des programmes bien précis, que ce soit pour les jeunes ou les adultes, il fallait des équipements sportifs additionnels, outre les 20 piscines intérieures, les 13 arénas, les quelques centres récréatifs, les huit centres de ski et les nombreux terrains extérieurs déjà administrés par le Service des sports et loisirs. Il fallait surtout des gymnases » (Tardif 1974)

Cet investissement dans le loisir sportif dans les parcs est qualifié par la Ville de Montréal comme la suite logique des désirs de Claude Robillard :

« Il est clair qu'après les Jeux olympiques, le service des Loisirs et Sports héritera d'installations très importantes. […] En 1976 donc, la ville de Montréal déjà fort bien pourvue en installations dévolues aux sports et aux loisirs, sera en mesure d'améliorer encore ses services à la population et de répondre ainsi à l'idéal ardemment défendu par feu Claude Robillard, premier directeur du service des Parcs et artisan de ce merveilleux service » (Ville de Montréal 1975).

Cet extrait rappelle la représentation des parcs et des espaces verts comme lieu de récréation véhiculée dans les discours du chapitre précédent.

Certains acteurs considèrent que cette conception des parcs et du loisir mène à des exagérations et ne permet pas de répondre aux besoins réels des Montréalais (De Laplante 1990; Bonhomme 1975). Plus précisément, on reproche à la Ville de Montréal d’aménager davantage d’infrastructures pour les sports d’équipes. En ce sens, le parc devient davantage un stade qu’un lieu de détente :

« Donc, un parc est un lieu où on aménage des allées pour la promenade. C'est tout. […] Or à Montréal, depuis une décennie, l'on a graduellement renversé l'ordre des choses et les parcs sont devenus des stades » (Bonhomme 1975).

André Champagne, directeur du Service des parcs à l’époque, explique à Jean-Pierre Bonhomme (1975) les raisons qui mènent la Ville de Montréal à autant mettre de côté des éléments de verdures dans les parcs :

« Le directeur des parcs de la ville, M. André Champagne, reconnaît […] que la politique adoptée […] a pour effet de transformer ce qui reste de gazon en terrains d'asphalte. Il estime que la cause de ce déséquilibre vient d'une scission du Service des parcs lors de la création d'un service des sports et des loisirs. Il est clair, en tout cas, que

le service des sports et des loisirs - le service des stades, en somme - a été plus sensible au lobby des clôtures et des pylônes qu'à celui des arbres et des petites fleurs » (Bonhomme 1975)

Le changement administratif mena à un changement dans la philosophie d’aménagement des parcs. Ainsi, la création du nouveau Service des sports et loisirs en 1971 rend le Service des parcs « émasculé, privé de pensée et de pouvoirs » qui « ne sera qu’un soutien aux ébats du nouveau service » (De Laplante 1990, 195). Certaines décisions prises par ce nouveau service découlaient de la « fantaisie » de dirigeants de la Division des sports qui mettaient l’accent sur l’aménagement d’éclairage, de grandes estrades et de clôtures dans les parcs à l’époque (De Laplante 1990, 201). Ce sont ces décisions qui sont à l’origine des insatisfactions relatées par Bonhomme (1975).

C’est également dans le cadre de ces ententes que seront créés les parcs-écoles. Dans certains quartiers, les parcs municipaux ne semblent pas répondre aux besoins des citadins. Le GIUM évoque alors « la création de nouveaux parcs qui permettront de combler les besoins fondamentaux des résidents qui n'ont pas la chance de sortir de la ville régulièrement » (GIUM 1984, 10). Afin d’améliorer l’ « accès aux activités extérieures », le GIUM propose, entre autres, de « maximiser l'utilisation de petits espaces insérés dans le milieu résidentiel et institutionnel » et « l'aménagement des espaces résiduels » (GIUM 1984, 10). En ce sens, le GIUM propose, après consultation des citoyens, que la Ville de Montréal aménage des terrains de sports dans les cours d’école, notamment dans l’arrondissement Plateau-Mont-Royal. Or, la Ville de Montréal reste prudente devant les demandes des citoyens puisque certains sports dépendent d’un effet de mode qui est inconsistant :

« Finalement, les résidents souhaitent l'aménagement d'un terrain permettant la pratique de sports règlementés mais les opinions divergent quant aux types de sports à favoriser. À ce propos, le Service des Sports et Loisirs de la Ville de Montréal nous a informés du caractère éphémère de la demande pour certains équipements de sport. Par exemple, le ballon-panier, très populaire il y a cinq ans, connaîtrait actuellement un déclin de popularité » (GIUM 1984, 76).

C’est tout de même dans cette perspective de loisir sportif que la Ville de Montréal conclut des ententes avec les écoles de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) pour permettre à la population de se récréer dans leurs locaux (De Laplante 1990). On observe que le GIUM revendique une répartition plus équitable des parcs dans les quartiers centraux où résident des personnes ne pouvant se déplacer à l’extérieur du quartier ou à l’extérieur de la Ville. Elle ne

précise pas les raisons de leur incapacité à se déplacer. Toutefois, il s’agit d’une forme de répartition compensatoire pour cette population puisqu’elle vise probablement à combler le besoin d’accès aux « activités extérieures » de certains résidents en palliant leur incapacité à sortir du quartier.