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L’image de Montréal, « le goût du beau » et les activités culturelles

Chapitre 3 : 1953 à 1966 Le Service des parcs de Montréal : la société du loisir

3.2 L’image de Montréal, « le goût du beau » et les activités culturelles

Au-delà de cette dualité entre l’État et l’Église, le Service des parcs a permis d’introduire des milliers d’enfants à des techniques d’artisanat, au théâtre et aux sports. À maintes reprises, les textes que nous avons analysés rappellent que les activités ont pour but d’inculquer « le goût du beau » (Anonyme 1954; Anonyme 1957a, Anonyme 1957b). Par ailleurs, pendant cette période, les acteurs municipaux montréalais ont des représentations hygiénistes des parcs et leur attribuent des bienfaits sur le plan sanitaire et de développement des enfants. Cet extrait de discours de Claude Robillard (1958) témoigne des fonctions qu’il attribue aux parcs à l’époque :

« Cela ressort clairement de la définition suivante de l'urbanisme: l'art d'aménager les centres urbains en fonction de la santé de leurs habitants, de leur besoin de se déplacer facilement et de leur besoin inné de beauté. À ce triple point de vue, santé, circulation, beauté, votre service des parcs a son mot à dire, et c'est, j'espère, ce qui m'excuse de vous avoir parlé ce soir plutôt d'urbanisme que strictement de parcs » (Robillard 1958, 6). On note que Claude Robillard attribue aux parcs d’autres vertus. Il considère que les parcs contribuent à faire de Montréal « la plus belle ville du monde » (Robillard 1958, 1). De plus, l’esthétique devient un thème récurrent dans la presse de l’époque (Anonyme 1957a; Anonyme 1957b; De Laplante 1968). Cette représentation de l’espace vert est, en quelque sorte, un élément de continuité avec les périodes précédentes où le parc était considéré comme un endroit de détente et de contemplation (Dagenais 2006, Corbett 2006). Pour Claude Robillard, l’aspect esthétique des espaces verts est incontournable : « On ne peut pas imaginer de belle ville sans de beaux parcs » (Robillard 1958). Cette idée semble être partagée par le magazine McLean qui ajoute que « le souci des fleurs, de la verdure et des parcs témoigne d’un raffinement de la civilisation urbaine » (Macdermot 1961). On tente d’embellir la ville et ses quartiers avec des fleurs

et des parcs afin de changer l’image industrielle de la métropole. Selon lui, les parcs font partie des raisons pour lesquelles Montréal est « la plus belle ville au monde » :

« Ses larges avenues bordées d’arbres, ses nombreuses places publiques aux proportions harmonieuses, ses nobles monuments judicieusement situés, ses édifices publics de grand style, ses vastes parcs bien distribués et agréablement aménagés, ses promenades fleuries [...] font l’admiration de tous les visiteurs et la fierté de tous ceux qui ont le bonheur de l’habiter » (Robillard 1958, 1).

Parallèlement à cet intérêt pour l’esthétisme, la culture prend une place d’importance dans les activités offertes par le Service des Parcs de cette période; une culture au service du développement des jeunes. Parmi ces activités, c’est le théâtre qui reçoit le plus d’attention durant le règne de Robillard. L’art dramatique apparaissait comme un moyen « d’inculquer aux jeunes qui se groupent autour d’eux [les comédiens] le goût du beau, à développer leur personnalité, à leur apprendre à s’exprimer avec aisance, à leur faire acquérir de l’assurance et les multiples qualités qu’apporte la pratique de la scène » (Anonyme 1957a). C’est dans cette perspective que voit le jour le théâtre ambulant La Roulotte dirigée par Paul Buissonneau. Ce théâtre a fait le tour de plusieurs parcs de la métropole pour le plaisir des plus petits. À ce moment de l’histoire, le théâtre connait une véritable effervescence à Montréal et le théâtre ambulant en est un exemple (Lemay 1953).

Cet aspect des parcs à l’époque de Robillard concorde avec l’éveil culturel de la majorité francophone, le développement du milieu télévisuel ainsi que la mutation de la scène musicale et théâtrale. Cet intérêt marqué mène à l’installation d’un théâtre extérieur unique au Canada : le Théâtre de Verdure. Ce théâtre était très attendu et très prisé par journées de beau temps. Ce lieu permet une certaine démocratisation de l’art (Gagnon 1963; Meunier 1963; Irwin 1965; Duças 1966, Maitre 1961). Cette idée de théâtre arrive à la même époque où les boîtes à chanson du style Casa Loma et Chez Paré animent les nuits de la Main4 et de la rue Sainte-Catherine. Bien qu’ils aient eu quelques problèmes liés au programme moralisateur du maire Drapeau (Latouche 2012, 1274), leur influence a contribué à l’instauration d’une scène musicale importante. Près d’une décennie plus tard, la télévision et la nouvelle scène musicale font briller une jeune étoile : Germaine Dugas. Cette dernière, animatrice de télé et chansonnière, prend la barre de la programmation des spectacles de chansonniers au nouveau Théâtre de Verdure. Une journaliste du journal The Star rapporte cette déclaration de l’icône de la jeunesse montréalaise de l’époque :

« Most of the Boites in the city are closed during the summer when people want to be outdoors. » she says. « and besides, they can seldom afford to take the chance of introducing unknown chansonniers. I wanted to do this very much and the public has accepted these promising newcomers with great warmth. » (Irwin 1965).

Le succès du Théâtre de Verdure vient alors augmenter la crédibilité et la réussite du Service des parcs de Montréal. Cette marque importante de la culture dans les parcs découle des orientations prises par Robillard dès les premières années du Service.

Parallèlement à cet intérêt pour l’initiation à la culture, l’administration démontre également un souci pour la sécurité et la réduction des méfaits commis par des groupes de jeunes. La sécurité et la lutte au vandalisme faisaient aussi partie du discours de Claude Robillard :

« Le problème de vandalisme existe à Montréal comme partout ailleurs. Je ne sais pas s'il y est plus aigu ou non. Mais je sais que chez nous comme dans les autres villes ce n'est pas avant tout un problème de police. […] Nous voulons donc pour les Montréalais ce programme récréatif complet plutôt qu'une Gestapo » (Robillard 1955, 3).

Cette préoccupation pour le vandalisme a justifié la création d’un nouveau réseau de centres récréatifs afin d’occuper la jeunesse et éviter qu’elle s’adonne à vandaliser les commerces (Robillard 1955, 2). Il est à noter que ce discours survient quelque temps après l’élection de Jean Drapeau et de son plan pour relever le niveau de moralité de l’espace public montréalais (Latouche 2012, 1274). Dans ce contexte, la notion de loisir s’accordait aux intérêts du Service des parcs pour l’esthétisme, la culture et la sécurité.