• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Penser le droit à la vie privée

2.2. Le paradigme libéral de la vie privée et son évolution foucaldienne

La notion de paradigme de la vie privée vient de Colin Bennett et Charles Raab (2003), dans leur ouvrage The governance of privacy. Pour eux, il s’agit du paradigme partagé par la « privacy community » des défenseurs de la vie privée, c’est-à-dire d’une coalition d’acteurs défendant la mise en œuvre de politiques publiques de protection de la vie privée. Comme ils l’affirment dans leur livre, et comme nous avons pu le confirmer13, cette « communauté » est à l’origine de l’invention du droit à la protection des données à caractère personnel dans les années 1970.

Ce paradigme est fondé sur une vision du droit à la vie privée comme un droit distinct d’autres catégories de droits fondamentaux, comme le droit à la liberté d’expression. C’est également un paradigme que Colin Bennett et Charles Raab (2003) qualifient (tout en le critiquant) d’individualiste, en ce qu’il reconnaît un droit à la vie privée à des individus et non à un collectif. Philosophiquement, il s’agit d’une conception d’inspiration libérale. Notons d’ailleurs d’emblée que libéralisme et néolibéralisme sont à distinguer en raison de leurs différences à la fois dans leurs fondements philosophiques et dans les projets politiques qu’ils sous-tendent (Brouwer, 2008 ; Vergara, 2002). Nous y reviendrons dans le paragraphe sur la critique néolibérale de la « vie privée14 ».

Le terme de « paradigme » est ici emprunté à l'épistémologue Thomas Kuhn, qui définissait un paradigme comme un ensemble de « découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs un ensemble de problèmes types et de solutions » (Kuhn, 1972 [1962], p. 10). Sont associées à chaque paradigme un ensemble de connaissances et de pratiques partagées par une communauté scientifique, soudée par un accord sur des normes de scientificité. Colin Bennett et Charles Raab reprennent ce terme et expliquent de la façon suivante leur usage du terme :

13 Cf. chapitre 3. 14 Cf. section 2.3.1.

« Nous employons le mot « paradigme » pour dénoter un ensemble de suppositions sur un phénomène ou un champ d’étude qui sont généralement admises sans question. Ces suppositions fixent collectivement l’agenda pour la recherche et pour les prescriptions de politiques publiques15. » (Bennett et Raab, 2003, p. 13)

Le terme de « paradigme » ainsi défini s’applique bel et bien au paradigme de la vie privée, tant selon Colin Bennett et Charles Raab que selon nos propres observations de terrain, décrites dans les deux prochains chapitres, dans la mesure où elle désigne une référence commune partagée pour la coalition des défenseurs de la vie privée. Ainsi :

« Un groupe très soudé d’experts venus de différents pays se sont unis, ont partagé des idées, et généré un consensus général sur la meilleure façon de résoudre le problème de la protection de la vie privée des informations personnelles16. » (Bennett et Raab, 2003, p. 16)

Ce paradigme tiré du consensus ainsi généré est libéral :

« Le paradigme de la vie privée repose sur une conception de la société comprenant des individus relativement autonomes. Il repose sur une conception atomistique de la société ; la communauté n’est pas plus que la somme des individus qui la composent. De plus, il repose sur des notions de différences entre les revendications de vie privée et les intérêts de différents individus. L’individu, dans sa liberté, son autonomie, sa rationalité et sa vie privée, est présumé connaître ses intérêts, et devrait avoir droit à une sphère privée sauvegardée de l’intrusion d’autrui17. » (Bennett et Raab, 2003, p. 14)

Le paradigme de la vie privée repose sur l'idée qu’« il y a pléthore de preuves anthropologiques que les êtres humains ont toujours eu besoin d’un certain degré de vie privée18 »

15 Traduction de l’auteur. Texte original : « We use the word “paradigm” to denote a set of assumptions about a phenomenon or area of study which generally go unquestioned. These assumptions collectively set the agenda for research and for policy prescription ».

16 Traduction de l’auteur. Texte original : « a closely-knit group of experts in different countries coalesced, shared ideas, and generated a general consensus about the best way to solve the problem of protecting the privacy of personal information ».

17 Traduction de l’auteur. Texte original : « The Privacy paradigm rests on a conception of society as comprising relatively autonomous individuals. It rests on an atomistic conception of society ; the community is no more than the sum of the individuals that make it up. Further, it rests on notions of differences between privacy claims and interests of different individuals. The individual, with her liberty, autonomy, rationality and privacy, is assumed to know her interests, and should be allowed a private sphere untouched by others. ».

18 Traduction de l’auteur. Texte original : « there is plenty of anthropological evidence that human beings have always needed a degree of privacy ».

(Bennett et Raab, 2003, p. 13). Des auteurs comme Alan Westin (1967a, 1967b), Edward Shils (1966), Arthur Miller (1971), Irwin Altman (1977) ou, plus récemment, Adam Moore (2003) ont défendu l’idée que le droit à la vie privée a de la valeur car même si le besoin de vie privée s’est exprimé de façon différente selon les époques et les sociétés, différentes études en anthropologie et en psychologie ont montré que l’intimité et la possibilité de protéger un espace privé sont des conditions nécessaires à l’épanouissement individuel, au bonheur (Moore, 2003), ou, dans les termes de la philosophie libérale utilitariste : de l’utilité. Une telle conception de la vie privée s’oppose donc frontalement aux déclarations de personnes comme Vinton Cerf ou Mark Zuckerberg qui, comme nous l’avons vu, ont présenté la vie privée – et plus spécifiquement le droit à la vie privée – comme étant une « une anomalie historique » (Cerf, 2013).

La diffusion de l’informatique en réseaux et d’Internet en particulier n’est pas le premier moment où, dans l’Histoire, des transformations dans le milieu technique – et en particulier dans les moyens de communication – ont suscité des craintes en matière de « vie privée ».

En effet, l'acte de naissance de la vision dite cohérentiste19 du droit à la vie privée est ainsi un article de Samuel Warren et Louis Brandeis (1890), deux juristes américains, qui fut une réaction au développement de la presse de masse et de la photographie instantanée, perçues par eux comme une menace à l’ordre social bourgeois (Glancy, 1979). Ils y proposèrent l'extension du droit à l'inviolabilité du domicile – garanti par le quatrième amendement à la constitution des États-Unis – à celle de la sphère de l'intime, et définirent la « vie privée » comme le « droit d’être laissé tranquille » (« right to be let alone »), en empruntant cette expression aux travaux d’un juge, Thomas Cooley, qui l’avait proposée dès 1879 pour définir un « droit à l’immunité » (Cooley, 1879, p. 29).

Pour Samuel Warren et Louis Brandeis, la reconnaissance d’un droit à la vie privée revêtait un caractère téléologique : ils rappelèrent que la Common Law a d'abord protégé l'intégrité physique de l'individu, puis son intégrité spirituelle – par le biais par exemple de la propriété intellectuelle ou de lois sur la diffamation – et devait selon eux, dans la suite de ce mouvement qu’ils qualifient de « civilisateur », s'attacher à protéger l'intégrité des émotions. C'est à ce dernier élément que se rattache la protection de la vie privée : « l’Homme, sous l’influence raffinante de la culture, est devenu plus sensible à la publicité, de sorte que la solitude et la vie privée soient devenues plus essentielles à l’individu20 » (Warren et Brandeis, 1890, p. 196). La protection de cette solitude (seclusion), directe descendante de la pratique des chambres de lecture au tournant du Moyen-Âge et de la Renaissance (Braunstein, 1985, p. 606), suppose une extension du contrôle de l'individu sur la publication non seulement de ses œuvres de l'esprit mais également de ses pensées et émotions, qui n'ont pas à être connues du public, ni de l’État. L’« individu » dont parlent Samuel Warren et Louis Brandeis est un « homme » de la

19 Contrairement aux réductionnistes, les cohérentistes considèrent que le droit à la vie privée est une catégorie ontologique cohérente et correspond bel et bien à une catégorie de droit fondamental distinct d’autres droits comme le droit à la liberté d’expression, ou encore le droit à un procès équitable.

20 Traduction de l’auteur. Texte original : « man, under the refining influence of culture, has become more sensitive to publicity, so that solitude and privacy have become more essential to the individual »

bourgeoisie, ce qui a alimenté de nombreuses critiques, notamment féministes, de leur théorie du droit à la vie privée, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir21. En outre, pour Louis Brandeis et Samuel Warren, le droit devait non seulement défendre les intérêts de l’homme qui, en tant qu’individu, pouvait subir un préjudice du fait de l’intrusion dans sa vie privée, mais aussi défendre une barrière socialement et moralement nécessaire entre ce qui méritait d’être discuté dans l’espace public et ce qui ne le devrait pas. Ainsi, bien que l’idée qu’il soit possible de porter préjudice à un individu en raison d’une atteinte à son droit à la vie privée était bien formulée par Samuel Warren et Louis Brandeis dès leur article de 1890, celle-ci y côtoyait d’autres justifications de la valeur normative du nouveau droit dont ils défendaient la reconnaissance en

Common Law.

Le droit à la vie privée tel que défendu par Samuel Warren et Louis Brandeis (1890) n'est pas simplement un droit négatif22. Si l’État, selon eux, doit bien entendu s'auto-limiter dans ses intrusions dans la sphère privée des citoyens, il doit aussi – et cela constitue un droit positif – garantir des voies de recours contre une intrusion par une personne privée dans la vie privée d'une autre personne privée. D'ailleurs, c'est surtout ce dernier type de cas qu'ils utilisent pour illustrer leur article, en rappelant qu'ils sont facilités par deux inventions alors récentes que sont la photographie couplée à la presse de masse23.

À partir de la fin des années 1960 et des années 1970, à la suite d’un regain d’intérêt pour le droit à la vie privée aux États-Unis24 comme dans certains pays européens (Holvast, 2013) pour le droit à la protection de la vie privée, certains théoriciens ont introduit un nouvel élément à la définition de ce droit : l’idée du contrôle exercé par l’individu sur la circulation des informations le concernant.

Selon Edward Shils, c’est cette idée de contrôle qui constituerait l’unité d’un concept cohérent de droit à la vie privée :

« Mais la vie privée est-elle une simple affaire « d’information » ? Qu’est-ce que la « vie privée » a de « privé », dans lequel une « figure publique » peut se retirer ? Qu’en est-il de l’espace privé, comme un bâtiment ou une chambre ou tout autre espace délimité dans lequel nul ne peut entrer sans permission ? Qu’est-ce que la « propriété privée » a de privé ? Qu’est-ce que le visage d’une personne ou ses fonctions corporelles ont de privé ? Qu’est-ce que la vie privée de la propriété a de commun avec la vie privée de la « vie » ou de l’espace ou de l’image ou de l’information ? Dans tous ces usages, nous nous référons

21 Cf. section 2.3.2. et conclusion générale.

22 Nous empruntons la distinction entre droit positif et droit négative à Isaiah Berlin (1969). 23 Cf. section 3.2.1.

à des situations dans lesquelles l’individu ou le groupe d’individus exerce un contrôle sur les ressources qui lui appartient25. » (Shils, 1966, p. 283)

Se référant à Edward Shils (Shils, 1956), Alan Westin distingue la « vie privée » (« privacy ») du « secret » (« secret ») : là où le « secret » ne peut ou ne doit être divulgué par l’individu le détenant, il est libre de divulguer ou de garder pour soi une information relevant de sa « vie privée » (Westin, 2015, p. 28). Pour Irwin Altman, le point commun de toutes les variantes de l’exercice d’un droit à la vie privée à travers des groupes culturels éloignés est qu’il s’agit d’une modalité de « contrôle sélectif de l’accès soi26 » (Altman, 1977, p. 67). Pour Arthur Miller, enfin, le contrôle d’un individu sur l’information qui le concerne est « l’attribut basique27 » (Miller, 1971, p. 25) d’un droit effectif à la vie privée sur lequel tous les juristes et chercheurs en sciences sociales seraient parvenus à se mettre d’accord.

Les travaux d’Alan Westin, Edward Shils, Irwin Altman ou encore Arthur Miller marquent ainsi le moment où le paradigme libéral de la vie privée est passé, selon la distinction proposée par Herman Tavani (2008), d’une théorie avant tout fondée sur la restriction de l’accès à la sphère privée, à une théorie du contrôle et de l’autonomie individuels. C’est cette définition du droit à la vie privée comme contrôle qui a donné naissance par la suite, dans le droit de nombreux pays européens, au droit à l’autodétermination informationnelle28 et dans les arènes de standardisation du Web que nous avons étudiées, à la thématique du « user control29 ». Nous

aurons l’occasion de revenir en conclusion sur l’importance de ce passage, et sur ce qu’il implique selon nous dans la relation entre le droit à la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel.

La justification morale de l’existence d’un droit à la vie privée ne réside pas, pour les théoriciens du paradigme libéral de la vie privée, dans une théorie du droit naturel, qui est l’une des traditions philosophiques du libéralisme (Vergara, 2002) que nous retrouvons par exemple dans l’argumentation de John Locke en faveur de la reconnaissance d’un droit à la propriété privée (Locke, 1999 [1690]). La « vie privée », c’est-à-dire, pour ces théoriciens libéraux que nous avons cités, la possibilité d’exercer ce « contrôle sélectif de l’accès à soi » (Altman, 1977, p. 67), est décrite par eux comme nécessaire à l’épanouissement de l’individu, à son bonheur, ou,

25 Traduction de l’auteur. Texte original : « But is privacy only about "information"? What is private about the "private life" into which a previously "public figure" withdraws? What about private space, such as a building or a room or some other bounded area into which no one may enter without permission? What is private about "private property"? What is private about a person's face or body or bodily functions? What does the privacy of property share in common with the privacy of "life" or space or image or information? In all these usages, we refer to situations in which the individual or a group of individuals exercises control over resources that belong to them ».

26 Traduction de l’auteur. Texte original : « the selective control of access to the self ». 27 Traduction de l’auteur. Texte original : « the basic attribute ».

28 Cf. sections 3.3.2. et 4.1.2. 29 Cf. section 5.6.1.

dans les termes de la philosophie libérale utilitariste, à la poursuite de son « utilité ». C’est ce à quoi conclue Adam Moore dans ses travaux sur la « valeur » de la vie privée (Moore, 2003). Dès les années 1960, Edward Shils, réfléchissant aux dommages que peut occasionner l’intrusion dans la vie privée d’une personne, écrivait : « Les individus sont rendus malheureux […]30 » (Shils, 1966, p. 306). Alan Westin estimait qu’avoir droit à la vie privée était nécessaire pour garantir l’autonomie personnelle des individus, mais aussi leur permettre de maintenir leur équilibre émotionnel (Westin, 2015, p. 35-46).

C’est pourquoi Colin Bennett et Charles Raab, mais aussi Christian Fuchs, ont affirmé que le paradigme de la vie privée s’inspire du libéralisme utilitariste de John Stuart Mill (Bennett, 1992, p. 23-24 ; Bennett et Raab, 2003, p. 14-21 ; Fuchs, 2011). En effet, les arguments de ce dernier en faveur de la liberté individuelle, dans son livre De la liberté, publié en 1859 (Mill, 1989 [1859]), sont très proches de ceux que nous venons de citer sur la justification morale du droit à la vie privée de ce paradigme. Bien que rarement cité (voir : US House of Representatives, 1966, p. 136 ; Westin, 2015 [1967], p. 330), il existe bien un parallèle entre les deux théories philosophiques. Par manque de preuves et parce qu’il ne faut pas confondre corrélation et causalité, nous ne pouvons conclure avec certitude à une inspiration directe des travaux de John Stuart Mill (et, de fait, Harriet Taylor31) sur le paradigme libéral de la vie privée ; mais nous pouvons toutefois bien confirmer le caractère millien du paradigme libéral de la vie privée. Christian Fuchs nous propose une analyse abondant en ce sens.

Comme il le rappelle (Fuchs, 2011), John Stuart Mill a explicitement défendu l’existence d’une sphère privée protégeant l’individu du regard de l’État et d’Autrui, dans ses Principes

d’économie politique, publiés en 1848 :

« There is a circle around each individual human being which no government, be it that of one, of a few, or of the many, ought to be permitted to overstep: there is a part of the life of every person who has come to years of discretion, within which the individuality of that person out to reign uncontrolled either by any other individual or by the public collectively32. » (Mill, 1965 [1848], p. 938 cité par : Fuchs, 2011, p. 223)

Par ailleurs, pour John Stuart Mill, le principe moral supérieur est l'utilité – c’est-à-dire le bonheur – et sa maximisation. Ni l’État, ni aucune autre puissance, ne peut selon lui prescrire de

30 Traduction de l’auteur. Texte original : « Individuals are made unhappy » 31 Voir à ce sujet : Miller, 2019

32 Traduction en français : « […] il existe autour de chaque homme un cercle qu’on ne devrait permettre à aucun gouvernement de franchir, soit que ce fût le gouvernement d’un seul ou celui d’un petit nombre, ou celui d’un plus grand nombre. Il est une portion de vie de tout homme arrivé à l’âge de raison, dans laquelle l’individualité de cet homme doit régner sans être contrôlée, soit par un autre individu, soit par le public pris collectivement » (Mill, 1861, p. 486).

Cette traduction en français ne reflétant pas parfaitement le sens original en langue anglaise, nous avons choisi de garder la version originale dans le corps du texte.

mode de vie à l'individu sans entraver ce dernier dans la poursuite de son utilité. C’est ce qu’il rappelle dans De la liberté, publié en 1859 :

« Là où ce n’est pas le caractère d’une personne, mais les traditions ou coutumes d’autres personnes qui sont la règle de conduite, il manque un des principaux ingrédients du bonheur humain, et ce qui est véritablement l’ingrédient en chef du progrès individuel et social33. » (Mill, 1989 [1859], p. 57)

Cette citation nous fait entrevoir la façon dont, contrairement à ce qu’affirme Christian Fuchs (2011) dans un texte qui est une critique du paradigme libéral de la vie privée qu’il décrit, la vision que John Stuart Mill développe de ce qui est devenu plus tard le « droit à la vie privée » ne correspond pas tout à fait à ce que Herman Tavani (2008) appelle la théorie de l’accès restreint. L’autonomie, c’est-à-dire la possibilité de vivre selon ses propres règles, et d’exercer des choix libres, sont en effet au cœur de la philosophie utilitariste de John Stuart Mill. Un droit à

la vie privée qui ne reposerait pas sur une pratique de partage informationnel choisie et consentie

par l’individu, mais sur le respect de normes collectives de séparation entre public et privé, même si ces dernières ont vocation à protéger l’individu, n’est pas cohérente avec sa conception générale du libéralisme utilitariste (voir à ce sujet : Vergara, 2002). La notion de « contrôle » joue ici un rôle important et qui va à l’encontre de la théorie de l’accès restreint.

Tout ce que nous venons de voir fait du droit à la vie privée protégeant l'autonomie individuelle telle que conçue par le libéralisme utilitariste un droit fondamental essentiellement individuel.

Nous retrouvons dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) ce point de vue millien pour décrire sa conception du droit à la vie privée proclamé à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Dans un arrêt de 2017, ses juges y évoquent ainsi l’« épanouissement personnel » comme une valeur à protéger :

« […] la notion de vie privée est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive […]. L'article 8 de la Convention protège le droit à l'épanouissement

personnel34 […], que ce soit sous la forme du développement personnel […] ou sous celle de l'autonomie personnelle, qui reflète un principe important sous-jacent à l'interprétation