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Chapitre 1 : Méthode et terrains

1.1. Le cadre méthodologique

Les problèmes publics ne sont pas donnés objectivement par la réalité. Si l’alcool au volant est une cause objective de décès sur les routes, ce n’est pas pour autant qu’il a toujours été considéré comme un problème public (Gusfield, 1994). De la même façon, même en admettant que l’hypothèse que l’ordinateur met en péril la « vie privée » est absolument et entièrement vraie, ce n’est pas pour autant que des débats parlementaires aboutissent nécessairement à l’adoption de lois qui deviennent l’instrument d’une politique publique de protection ou de restauration de cette « vie privée » en péril ou perdue. Les problèmes publics sont donc le fruit d’un processus de construction sociale, et ce constat, en nous détachant des approches matérialistes des effets de la technique sur la société, nous a conduit à choisir une méthode qui permette d’étudier les représentations des acteurs qui ont produit les instruments du droit de la protection des données.

La construction d’un problème public passe par la confrontation entre une expérience et des cadres d’interprétation de cette expérience (Benford, Snow et Plouchard, 2012 ; Goffman, 1974), ou encore des imaginaires sociaux (Castoriadis, 2006 [1975] ; Ricœur, 1984) qui sont eux aussi un produit d’interactions sociales. Daniel Cefaï (1996) rappelle que pour qu’un phénomène se transforme en problème public, puis qu’il soit mis à l’agenda médiatique ou politique, il faut qu’un passage soit opéré d’un sentiment de malaise ou d’injustice individuel et privé initialement identifié, à celui d’une expérience partagée prenant l’ampleur d’un problème collectif. Des récits et formules émergent alors pour désigner le nouveau problème public et lui donner un sens.

Certains problèmes publics peuvent donner naissance à de nouvelles catégories de l’action publique. Les sociétés modernes montrent en effet des tendances à la spécialisation (Bauman, 2000 ; Durkheim, 1893 ; Weber, 2003 [1921]). Cette tendance à la spécialisation s’observe également par la spécialisation d’acteurs et d’institutions sur des catégories spécifiques de l’action publique. C’est le cas de la « politique culturelle » à la fin des années 1950 (Dubois, 1999) ou encore de la « politique de la ville » entre la fin des années 1970 et le début des années 1990 (Tissot, 2013 [2007]). La politique « culturelle du numérique » est née, en France, au sein du ministère de la Culture au milieu des années 1990, et est très liée à la mobilisation d’une communauté composée « d’agents convaincus des potentialités d’Internet, notamment au sein de la direction de la recherche et de la direction des services informatiques, [qui] favorise la connexion précoce des postes de travail, l’introduction du courrier électronique et la mise en place de l’un des premiers sites web du gouvernement français, culture.fr […] » (Bellon, 2019, p. 170). Ces catégories n’existaient pas avant d’être construites comme des domaines

d’interventions désirables de l’État, vers lequel l’action d’institutions publiques spécialisées – créées ou aux missions modifiées – doit s’orienter. Se créent ainsi autour de certains problèmes publics émergents de nouvelles catégories d’intervention qui structurent autour d’elles des « champs de l’action publique » (Dubois, 2010, 2014), des « secteurs de l’action publique » (Jobert et Müller, 1987) ou encore des « sous-systèmes de politiques publiques » (Sabatier et Jenkins-Smith, 1993), ces trois termes décrivant peu ou prou le même objet1.

Précisons à ce stade que nous entendons par « action publique » toute action visant à produire des effets politiques sur la société, quel qu’en soit l’auteur. Des associations, des églises, ou des entreprises, ou même des individus, peuvent participer à l’action publique, par exemple en faveur de l’environnement. Les politiques publiques, quant à elles, peuvent être définies succinctement comme l’action publique de l’État. Une politique publique a un contenu, c’est-à- dire des instruments mobilisés pour produire des effets auprès d’une certaine population selon des modalités qui (particularité idéal-typique de l’État) peuvent être coercitifs2. Elle déploie également un programme répondant à une orientation normative (Jobert et Müller, 1987, p. 51 ; Mény et Thoenig, 1989, p. 131).

L’approche séquentielle des politiques publiques, dont il existe plusieurs variantes, découpe leur production en plusieurs étapes. Le premier schéma séquentiel a été élaboré par Charles Jones (1970). Il y développe l'idée selon laquelle une politique publique se déroule en cinq temps : identification (et construction, mise à l’agenda) du problème public, prise de décision formelle, mise en œuvre de la décision formelle, évaluation et, éventuellement, terminaison du programme. Cette grille d’analyse idéal-typique est souvent plus normative qu’une description fidèle de la réalité. Elle a toutefois le mérite de souligner l’importance de la phase de mise à l’agenda et de construction d’un problème public dans la détermination des choix publics et ainsi dans la production de l’action publique (qu’il s’agisse d’ailleurs de celle de l’État ou de l’action publique en général).

Sans nier l’existence du cadre institutionnel et matériel dans lequel se déploie l’action de l’État, ni les logiques d’intérêts (socialement construits) qui entrent en jeu, les approches dites cognitives des politiques publiques sont une branche de l’étude des politiques publiques qui s’intéresse au rôle de ces représentations sociales dans la formulation et la mise en œuvre des

1 Le terme de « champ de l’action publique », bien que correspondant, pour prendre un exemple, à celui de « secteur » selon Vincent Dubois (Dubois, 2010), est en réalité moins stato-centré, puisque Pierre Müller envisage les politiques publiques à partir du rôle de l’État, et que la notion bourdieusienne de « champ » permet d’inclure plus facilement les autres acteurs de l’action publique, comme les associations ou les entreprises. À des fins de lisibilité, nous considérons toutefois ces termes, pour l’instant, comme synonymes, et n’entrerons dans le détail de leurs définitions que si et lorsque cela sera utile pour le déroulement de notre propos.

2 Pour la définition de la notion de politique publique, voir : Mény et Thoenig, 1989, p. 131. Pour la définition de la notion d’instrument des politiques publiques, voir : Lascoumes, 2004.

politiques publiques, qui sont des processus à forte dimension communicationnelle. Ces approches se fondent sur le constat suivant :

« Élaborer une politique publique consiste […] d'abord à construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. C'est en référence à cette image cognitive que les acteurs organisent leur perception du problème, confrontent leurs solutions et définissent leurs propositions d'action : cette vision du monde est le référentiel d'une politique. » (Müller, 2011, p. 57)

Ces approches se sont beaucoup développées à l’époque du tournant néolibéral des années 1980, où les changements programmatiques dans la conduite de l’action de l’État ne pouvaient plus être expliqués par l’alternance électorale ou par l’existence de contraintes objectives pesant sur les institutions (Müller, 2000, p. 190), mais par un changement paradigmatique dans les systèmes de convictions des décideurs publics de l’époque3 (Hall, 1986, 1993 ; Jobert, 1994).

Les approches cognitives des politiques publiques ont fourni une part centrale de l’armature théorique et méthodologique des travaux que nous présentons dans cette thèse. Elles se sont révélées particulièrement utiles pour l’étude de controverses entourant la production des définitions de la notion de « donnée à caractère personnel », et plus généralement, des controverses autour de la « vie privée » et de la « protection des données » dans les arènes produisant les textes normatifs auxquels nous nous sommes intéressés.

Le modèle des coalitions de cause (« Advocacy Coalition Framework », abrévié ACF) développé par Paul Sabatier et Hank Jenkins-Smith (Sabatier et Jenkins-Smith, 1993) s’intéresse au rôle des systèmes de conviction dans la conduite des politiques publiques, et aux conditions d’apprentissage et de changement de la part des acteurs qui les mènent. Son modèle cherche à concilier les approches top-down qui étudient la façon dont, entre la décision et la mise en œuvre, les décisions de politiques publiques sont mises en œuvre, et les approches bottom-up, pour lesquelles le rôle de l’État s’efface derrière la multiplicité d’acteurs se saisissant de problèmes publics sur le terrain (Bergeron, Surel et Valluy, 1998, p. 198). L’ACF prend donc en compte le rôle des institutions étatiques dans la conduite de politiques publiques, tout en permettant de décrire le rôle d’autres acteurs dans la formulation et la conduite des politiques publiques. D’après ce modèle, « une politique [sectorielle] peut être définie comme le produit d’un système de croyances spécifique, issu de la confrontation continue et des compromis successifs passés

3 Pierre Müller ne considère pas que l’approche de Peter Hall par les paradigmes de l’action publique fasse partie des approches cognitives des politiques publiques (Müller, 2000, p. 193). Cette exclusion ne nous paraît toutefois pas justifiée, car quelles que soient au demeurant les différences entre les deux théories, elles ont, de l’aveu même de Pierre Müller, un nombre conséquent de points communs dans leur approche de l’étude des politiques publiques par les cadres d’interprétation de leurs acteurs.

entre les systèmes de croyances propres à chaque coalition en présence dans un sous-système donné » (Bergeron, Surel et Valluy, 1998, p. 202-203).

Le modèle de l’ACF distingue plusieurs éléments dans les systèmes de conviction des acteurs engagés dans un sous-système de politiques publiques (Sabatier, 1998, p. 103) :

• Le noyau fondamental4 (« deep normative core ») :

Cette expression correspond à la couche centrale, composée d'axiomes normatifs. Il s’agit du noyau de convictions morales et philosophiques propre à chaque individu, comme par exemple les questions sur la nature anthropologique de l'être humain, ou les questions sur le Bien et le Mal. Un exemple donné par Paul Sabatier et cité par Henri Bergeron, Yves Surel et Jérôme Valluy (1998, p. 203) est l'opposition entre la croyance fondamentale en le progrès technique et en l'économie des coalitions industrielles, et les croyances fondamentales de la coalition environnementale, dans les politiques publiques industrielles ou environnementales.

Le noyau superficiel, ou programmatique (« near policy core ») :

Celui-ci correspond aux hypothèses sur les relations de causalité, aux choix programmatiques et stratégiques des acteurs. Ces choix visent à réaliser les objectifs normatifs au sein du sous-système étudié. Par exemple, l'idée de doter le livre d'un statut particulier le protégeant des lois du marché correspond à un élément du noyau programmatique (Bergeron, Surel et Valluy, 1998, p. 203). Nous préférons l’expression de « noyau programmatique » à celle de « noyau superficiel » car selon la théorie de l’ACF, c’est autour de ce noyau que sont soudées les alliances entre acteurs cherchant à influencer la production d’un sous-système de politiques publiques. Le terme « superficiel » reflète mal la centralité de cette notion de near policy core.

Les aspects secondaires, ou mesures concrètes (« secondary aspects ») :

Il s'agit de mesures concrètes servant à mettre en œuvre les objectifs stratégiques de la seconde couche, c'est-à-dire du noyau programmatique. Pour poursuivre avec l'exemple des politiques de l’édition en France, la concrétisation de l'idée de doter le livre d'un statut particulier se trouve dans la loi n° 81-766 dite Lang du 10 août 1981 relative au prix du livre qui introduit le prix unique du livre. Une formulation particulière de la définition de la notion de « donnée à caractère personnel » proposée pour l’article 4 du RGPD est un autre exemple d’ « aspect secondaire ».

Nous préférons toutefois parler de « mesures concrètes » traduisant les objectifs d’un système de convictions, plutôt que d’« aspects secondaires ». Différents travaux sur les mouvements sociaux ont montré que les modes d’action et les mesures concrètes

4 Les premières traductions vers le français des termes anglais « deep normative core », « near policy core » et « secondary aspects » sont tirées d'un article de Daniel Kübler (2002).

proposées ont un rôle dans la structuration de ce que le modèle de l’ACF nomme des coalitions de cause (cet aspect est évoqué dans : Benford, Snow et Plouchard, 2012).

La confrontation entre coalitions de cause est de nature communicationnelle, et peut s’observer dans certaines arènes, que nous avons déjà définies5 comme les lieux de confrontation entre des acteurs aux convictions opposées. Cette confrontation peut s’observer en public, mais aussi se poursuivre dans des coulisses plus difficilement accessibles aux chercheurs. L’ACF propose une façon de repérer des clivages qui structurent ces coalitions rivales à travers cet ensemble d’espaces plus ou moins faciles d’accès pour la recherche.

Pour Paul Sabatier, une coalition de cause (« advocacy coalition ») est un ensemble d’acteurs (publics ou privés) qui « cherchent à traduire leurs croyances dans des politiques publiques6 » (Sabatier, 1993, p. 28). Ces coalitions disposent de ressources qui leur permettent d’agir, mais leurs objectifs dépendent d’un système de convictions qui cimente l’alliance, généralement au niveau du policy core ou noyau programmatique (Sabatier, 1993, p. 32-33, 1998). Cartographier les coalitions de cause se fait donc en repérant les systèmes de conviction auxquels adhèrent les acteurs d’un sous-système de politiques publiques, et les points de clivages entre systèmes de convictions concurrents. Cette approche fournit le cadre de base de notre méthode pour étudier les controverses sur la protection des données et la définition de la notion de « donnée à caractère personnel », dont l’analyse doit nous permettre de mieux comprendre l’objet de la protection du droit de la et à la protection des données à caractère personnel.

Pierre Müller – un autre théoricien des approches cognitives des politiques publiques – s’est lui d’abord intéressé à la question de « l’État en action » (Jobert et Müller, 1987), et du paradoxe qu’il y a entre l’unité de l’action de l’État et l’existence de sous-systèmes spécialisés, ou plutôt, pour utiliser son propre vocabulaire au lieu de celui de Paul Sabatier et Hank Jenkins- Smith, l’existence de politiques publiques sectorielles souvent en concurrences non seulement pour des ressources, mais également pour les objectifs à poursuivre. Cette interrogation sur le rapport entre les niveaux global (qui exerce une force centripète) et le sectoriel (centrifuge) de la politique de l’État l’a amené avec Bruno Jobert à s’intéresser à la façon dont les discours de légitimation d’une politique publique sectorielle s’articule à l’action globale de l’État (Jobert et Müller, 1987).

Pour Pierre Müller, chaque politique publique sectorielle s’organise autour d’un référentiel, qu’il définit de la façon suivante :

5 Cf. paragraphe intitulé « Le droit saisi par une approche communicationnelle », dans l’introduction générale. 6 Traduction de l’auteur. Texte original : « Coalitions seek to translate their beliefs into public policies ».

« Le référentiel correspond avant tout à une certaine vision de la place et du rôle du secteur concerné dans la société. Par exemple, les propositions que l'on pourra faire en matière de politique de la santé dépendront du statut de la maladie dans la société moderne et du statut des personnels chargés de mettre en œuvre les systèmes de soin. De même, l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse montre que l'émergence d'une politique comme celle mise en place par Simone Veil supposait que se soient modifiées les représentations dominantes concernant la sexualité et la place des femmes. Plus récemment, la réforme des systèmes de retraite renvoie clairement à un débat sur le rapport entre vieillissement et vie active » (Müller, 2011, p. 57)

Pierre Müller décrit deux niveaux de référentiels : un référentiel global, et des référentiels sectoriels. Le référentiel global « est une image sociale de toute la société, c’est-à-dire une représentation globale autour de laquelle vont s’ordonner, se hiérarchiser les différentes représentations sectorielles » (Jobert et Müller, 1987, p. 65). Cette image n’est pas nécessairement un ensemble cohérent, mais elle hiérarchise les différents référentiels sectoriels. Elle est constituée « d’un ensemble de valeurs fondamentales qui constituent les croyances de base d’une société, ainsi que de normes définissant le rôle de l’État et des politiques publiques » (Müller, 2011, p. 59). Un référentiel sectoriel, à l’inverse, est propre à une politique sectorielle spécifique. Pour reprendre les mots de Bruno Jobert et Pierre Müller : « c’est l’image dominante du secteur, de la discipline, de la profession » (Jobert et Müller, 1987, p. 68).

Les référentiels ont une fonction hégémonique au sens gramscien (Gramsci, 2018 [1937]), car ils sont des mécanismes de légitimation de l’ordre social (Jobert et Müller, 1987, p. 62). En d’autres termes, un référentiel de politique publique joue un rôle idéologique, l’idéologie qui légitime un ordre social étant selon Károly Mannheim (Mannheim, 2006 [1929]) le contraire de l’utopie qui le remet en cause. Un désajustement entre le référentiel d’une politique publique sectorielle et le référentiel global entraîne la déstabilisation du premier. Ainsi, en France, après la Libération, la domination d’un référentiel global de modernisation entraîna la remise en cause des politiques sectorielles de l’agriculture, qui reposaient sur un référentiel de maintien des traditions et de la société rurale paysanne qui n’a pas su se légitimer dans les termes du nouveau référentiel global (c’est-à-dire s’articuler avec) (Müller, 1984). Une politique sectorielle fondée sur un référentiel incompatible avec le référentiel global ne survivra selon ce modèle théorique pas longtemps. En nous inspirant du concept d’articulation global-sectoriel de Pierre Müller, nous parlerons d’articulation pour décrire les stratégies argumentatives par lesquelles un discours correspondant à un référentiel sectoriel (ou même minoritaire au sein d’un secteur) prouve, ou fait semblant de prouver, qu’il est compatible avec une idéologie dominante ou hégémonique, comme par exemple un référentiel global, au niveau de l’État.

Pour Pierre Müller, le référentiel sectoriel est un « construit social » (Jobert et Müller, 1987, p. 69). Sa théorie n’aborde cependant que très superficiellement la façon dont se construit un référentiel sectoriel. Là où son modèle du référentiel global-sectoriel décrit des situations dans lesquelles des référentiels hégémoniques sont déjà établis, tant au niveau global qu’au niveau sectoriel, le modèle de l’ACF de Paul Sabatier et Hank Jenkins-Smith permet d’étudier les rivalités entre différents systèmes de convictions cherchant à devenir sinon hégémoniques, du moins paradigmatiques, au sein d’un secteur (ou sous-système) de politiques publiques. Là où l’hégémonie ne laisse place à aucune concurrence idéologique en dehors d’espaces marginaux, un référentiel sectoriel paradigmatique n’est qu’une référence incontournable pour tous les acteurs au sein d’un secteur. Nous verrons que le paradigme libéral de la vie privée7 s’est imposé comme paradigme incontournable, mais il n’est pas absolument incontesté, et ne saurait être qualifié d’hégémonique.

Nous ajouterons donc à notre outillage lexical et conceptuel un troisième type de référentiel. Nous proposons de désigner simplement par « référentiel », ou référentiel « tout court », tout système de convictions reposant sur des valeurs, un imaginaire, une lecture particulière des relations de cause à effet dans la société, et des normes décrivant un écart entre l’état perçu de la société et la société idéale voulue8, et décomposable en deep core, near-policy

core et secundary aspects (ou mesures concrètes).

Ces référentiels sont en concurrence au sein d’un sous-système pour devenir le référentiel sectoriel de ce secteur. Conformément à la lecture qu’en propose Pierre Müller, un référentiel qui parvient le mieux à s’articuler au référentiel global aura les meilleures chances de légitimer les mesures concrètes défendues par ses partisans, et de devenir le référentiel sectoriel. De plus, les acteurs réagissent aux arguments de la coalition rivale en répondant par de nouveaux arguments, qui eux-mêmes reçoivent des contre-arguments. Ce jeu d’argumentation et de contre- argumentation contribue à structurer les oppositions entre systèmes de convictions, et donc entre coalitions de cause. Nous parlerons pour le désigner de structure argumentative de la rivalité.

Nous avons appliqué ces modèles théoriques à notre terrain sur l’adoption du RGPD. En l’adaptant au cadre institutionnel de la gouvernance d’Internet, dont les modalités de l’action publique diffèrent en de nombreux points de celle des États, nous l’avons également appliqué à l’étude des controverses au sein du W3C sur la protection de la vie privée et des données à caractère personnel. Ces modèles étaient toutefois inadaptés à l’étude de la genèse du droit à la protection des données à caractère personnel et de cette nouvelle catégorie d’intervention publique qui a donné lieu à l’émergence de sous-systèmes de politique publique nationaux et européen structurés autour du réseau des autorités de protection des données.

7 Cf. la description de ce courant de pensée en section 2.2.

8 Pour Pierre Müller, un référentiel se décompose en « valeurs », « images », « algorithmes » et « normes » (Müller, 2011, p. 57-58).

L’ACF permet mal d’étudier la genèse de sous-systèmes de politiques publiques (Bergeron, Surel et Valluy, 1998, p. 128). Paul Sabatier précise d’ailleurs bien que son modèle n’est valable que pour les sous-systèmes établis depuis au moins une dizaine d’années (Sabatier, 1993). Pour l’étude de la sociogenèse de la formule de « protection des données », de la