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Chapitre 3 : Laval-des-Rapides et Pont-Viau, un territoire d’étude entre ville et banlieue récente

3.2. Morphologie d’un territoire aux formes complexes et diversifiées

3.2.1. Périodes d’urbanisation Un développement accéléré durant l’après-guerre

L’analyse des périodes d’urbanisation est révélatrice, car elle permet de comprendre la portée de chacune de celles-ci sur la morphologie et le cadre bâti du territoire d’étude. Effectivement, elles ont chacune leurs caractéristiques propres que ce soit par rapport à la trame urbaine ou au cadre bâti. La carte de l’évolution des territoires urbanisés entre 1909 et 2015 (Figure 7) offre un aperçu des périodes d’urbanisation. Il importe de souligner que les zones définies sur la carte ne sont pas reconnaissables au niveau du sol, car elles tentent uniquement de refléter une idée générale de l’urbanisation selon différentes époques. Effectivement, le territoire ne s’est pas développé de manière monolithique selon chaque période, mais a plutôt été le théâtre d’un emboîtement complexe de différents modes d’occupation et d’aménagement de l’espace. D’ailleurs, les zones urbanisées restent rarement figées par la suite, car elles sont pour la plupart réinvesties par de nouvelles populations et/ou de nouvelles manières de se loger qui transforment le cadre bâti et l’aspect général du quartier. On peut penser à des quartiers plus anciens du territoire d’étude qui sont parsemés de nouvelles maisons à l’esthétisme contemporain ou de tours de copropriétés haut de gamme. C’est donc dans l’idée d’analyser de manière globale l’urbanisation du territoire d’étude que ces zones ont été délimitées. Elles permettent de comprendre l’histoire des différents secteurs, l’ampleur de certaines périodes d’urbanisation et leurs dynamiques architecturales et morphologiques.

Les différents secteurs sur la carte représentent des périodes de temps inégales pour des raisons de disponibilités documentaires. En effet, les sources et les cartes disponibles pour la création de

ces secteurs sont limitées. Ainsi, les périodes couvrent entre 20 et 36 ans à l’exception de la zone représentant les secteurs urbanisés en 1909 qui couvre le développement urbain depuis les débuts de la colonisation. À ce propos, on observe aisément les noyaux villageois des deux anciennes municipalités dans cette zone, à l’ouest du chemin de fer pour Laval-des-Rapides et au nord du Pont-Viau pour la municipalité homonyme. Ces deux axes de transports ont d’ailleurs beaucoup influencé le développement de ces noyaux. À Laval-des-Rapides, la gare a assuré une connexion en train au centre de Montréal tandis que le pont ferré a aussi permis un lien piéton entre les deux îles. Cependant, le passage de train rend insécuritaire la traversée à pied : « À l’arrivée d’un train, [les gens] se jettent dans les rapides. Rien d’étonnant que plusieurs décès soient enregistrés au cours des décennies suivantes » (Paquette 2006, 147). La population de l’île Jésus devra attendre jusqu’en 1925, année de décès de deux religieuses ayant sauté dans le courant pour éviter un train, avant la construction de la passerelle piétonne qui relie encore aujourd’hui les deux îles (Paquette 2006, 152). Du côté de Pont-Viau, la connexion entre l’île Jésus et Montréal est un vecteur de développement dès la naissance du village. La première traverse aménagée en 1801 est remplacée par un pont en bois en 1847, reconstruit en métal en 1887 et finalement en béton en 1930 (Paquette 2006, 159-160). Les améliorations sont constantes et traduisent un besoin grandissant de connexion entre les deux îles. Les deux anciennes municipalités se développent donc à proximité d’un axe de transport, l’un ferré et l’autre hippomobile puis automobile. Leur proximité à la rivière souligne à la fois l’importance de la proximité à la métropole, mais aussi la place des transports maritimes dans leur développement.

Les noyaux villageois de Laval-des-Rapides et de Pont-Viau sont distants de moins de deux kilomètres et sont connectés par le boulevard des Prairies dont les abords sont aussi urbanisés en 1909. Ce boulevard n’est pas bordé d’un tissu urbain dense, mais plutôt d’une série de logements dont la plupart hébergent des familles vivant de l’agriculture et dont le lopin de terre est à l’arrière de la maison. Ainsi, on retrouve un territoire urbanisé relativement restreint en 1909 et englobant les deux noyaux villageois et le boulevard des Prairies qui longe la rivière du même nom. Entre 1909 et 1932, l’étalement urbain est en continuité avec les noyaux villageois, malgré l’apparition de quelques bâtiments institutionnels d’importance qui s’installent davantage à l’intérieur des terres entre Laval-des-Rapides et Pont-Viau à proximité du boulevard des Prairies. Ces institutions, l’école Mont-de-La Salle et la Maison Sainte-Domitille (ou Monastère du Bon Pasteur) sont religieuses de confession catholique et reflètent bien l’importance du clergé sur le territoire à cette époque. En effet, la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe sont marquées par l’arrivée d’« institutions religieuses à caractère régional et même provincial [qui] ont choisi l’île Jésus quand l’espace était libre et le terrain bon marché » (Pluram inc. 1981, 51). Les bâtiments religieux de cette époque sont pour la plupart imposants et représentent encore aujourd’hui des phares institutionnels importants.

L’étendue de l’urbanisation de la période entre 1909 et 1932 est légèrement plus substantielle à Pont-Viau qu’à Laval-des-Rapides, malgré que ce soit la période suivante qui marque la différence. Effectivement, la période entre 1932 et 1952 est caractérisée par une urbanisation toujours en continuité avec le noyau existant bien que l’étendue du développement soit plus grande à Pont- Viau qu’à Laval-des-Rapides. Quoique l’accès massif à l’automobile ait été rendu possible à partir des années 1950 seulement, il est plausible que Pont-Viau ait bénéficié de son accès automobile à Montréal, laissant Laval-des-Rapides, uniquement reliée par le pont ferré, un peu à l’écart de l’urbanisation. En effet, l’automobile devient extrêmement populaire au Québec dès la fin des années 1910 tandis que son nombre passe de quelques centaines à plus de 200 000 véhicules au début des années 1930 (Tremblay 2012, 21). Il est donc possible que le développement plus important de Pont-Viau, à l’avènement de la motorisation des ménages québécois, soit en partie lié à sa connexion automobile à Montréal. Fait intéressant, il est possible d’observer que la zone urbanisée à Pont-Viau à cette époque est discontinue au nord. Cette rupture dessine les anciennes rives d’un bras de rivière qui pénétrait jadis à l’intérieur de la ville et qui fut progressivement rempli de terre entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l’ouverture de l’hôtel de ville de Pont-Viau sur la zone remblayée en 1963 (Ville de Laval 2006, 31). L’ancien hôtel de ville fait aujourd’hui face à la station de métro Cartier.

La période d’urbanisation entre 1952 et 1979 démontre l’époustouflant développement du territoire d’étude au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Tel que mentionné dans la mise en contexte historique, plusieurs raisons expliquent l’étendue de ce développement, notamment la proximité à Montréal, l’augmentation des revenus, l’important accroissement démographique, les programmes avantageux pour les nouvelles familles désirant s’acheter une maison unifamiliale et bien sûr l’accès à l’automobile. Ainsi, l’abolition des distances engendrée par la démocratisation de l’automobile permet un étalement urbain sans précédent bien visible sur la carte puisque cette période d’urbanisation est la plus importante du territoire d’étude. Les banlieues naissantes « contrairement à celles des États-Unis, [ne] pousse[nt] pas au milieu de nulle part, mais [sont] construites autour de noyaux villageois » (Benoît-Beaulé et Parent 2015). En fait, le développement

de quartiers suburbains d’après-guerre va rapidement dépasser les anciennes limites administratives de Laval-des-Rapides et Pont-Viau pour rejoindre d’autres quartiers tels que Chomedey ou Duvernay. D’ailleurs, ces quatre anciennes villes représentent ensemble la région la plus urbanisée de Laval en 1971, avec 58 % de la population totale de l’île (Paquette 1976, 39). À ce propos, l’histogramme des périodes de construction des logements (Figure 8) souligne l’importance de la période 1961-1980 par rapport au nombre de logements construits. Malheureusement, les périodes de construction de Statistique Canada sont prédéfinies et ne permettent pas de savoir le pourcentage de logements construits à l’intérieur de la période d’intérêt dans cette recherche (1945-1973)

quoiqu’il soit possible d’observer certaines tendances. Effectivement, on observe que les logements construits dans la période 1961-1980 représentent 45 % des logements par rapport à Laval et au Québec dont les pourcentages sont respectivement 36 % et 33 %. Le territoire d’étude est donc clairement marqué par la présence de logements construits dans l’après-guerre et relativement peu de logements construits après 1991. La période d’urbanisation entre 1979 et 2015 voit se compléter le développement des territoires restants à proximité du chemin de fer, de l’autoroute et des rares terrains non construits aux abords de la rivière des Prairies pour des projets haut de gamme. Les territoires aujourd’hui encore non urbanisés sont principalement conservés comme espaces de grands parcs comme c’est le cas à l’est du chemin de fer entre le boulevard Cartier et le boulevard des Prairies. L’urbanisation du territoire d’étude s’est donc effectuée de manière progressive depuis les deux noyaux villageois de Laval-des-Rapides et Pont-Viau entre les débuts de la colonisation et 1952. Cependant, l’urbanisation après 1952 s’est effectuée extrêmement rapidement et couvre actuellement la quasi-totalité du territoire d’étude. On retient que la période de 1952 à 1979 est la plus importante en termes de superficie couverte par le développement immobilier et qu’elle caractérise fortement le territoire d’étude comme banlieue d’après-guerre.

La trame viaire est quant à elle relativement diversifiée et diffère beaucoup d’un endroit à l’autre du territoire d’étude. Il est possible d’en discerner trois types. Quoique très peu présente et concentrée uniquement à Pont-Viau près du pont éponyme, on retrouve un premier type de trame légèrement organique. Celle-ci se retrouve à l’intérieur du territoire urbanisé avant 1909. On retrouve dans cette zone quelques rues dont la morphologie rappelle la trame organique caractéristique des

Figure 8 : Périodes de construction des logements, en 2011

Réalisation: Samuel Descôteaux Fréchette 2015

noyaux villageois (Figure 9). On peut penser à la rue du Pont-Viau ou à la rue Saint-Eusède. La zone urbanisée avant 1909 du côté de Laval-des-Rapides est plutôt caractérisée par le deuxième type de trame viaire, soit la trame de type côtes et de rangs, qui est très présente sur le territoire d’étude (Figure 10). Cette trame est intimement liée à la division cadastrale des terres agricoles concédées en longs rectangles perpendiculaires aux cours d’eau. Elle est calquée sur les limites des rangs (perpendiculaires aux cours d’eau) et sur les côtes (parallèles aux cours d’eau). Cette trame est d’ailleurs omniprésente dans la vallée du Saint-Laurent où ce type de division cadastrale fut fortement encouragé par les autorités colonisatrices françaises. L’urbanisation, par le biais de l’aménagement de rues, s’est longtemps inscrite dans cette division cadastrale en créant de longs îlots. La trame de type côtes et rangs domine le paysage de l’urbanisation entre 1909 et 1952. On retrouve d’ailleurs la continuité de cette trame dans les développements urbains effectués entre 1952 et 1979.

On note cependant l’apparition du troisième type de trame qui est curvilinéaire. Cette trame, traditionnellement rattachée aux espaces suburbains de faible densité, est sinueuse et offre aux piéton(ne)s et aux automobilistes des trajets dont la vue est sans cesse renouvelée. Contrairement aux rues rectilignes inscrites dans l’identité des villes industrielles, les rues d’une trame curvilinéaire symbolisent davantage l’aspect champêtre et bucolique d’un lieu. À vue d’oiseau, la trame curvilinéaire offre des formes très intéressantes, comme à Pont-Viau où on peut observer un quartier

dont les rues tracent un demi-cercle (Figure 11), ou à Laval-des-Rapides où un quartier rappelle les ailes d’un oiseau s’apprêtant à s’envoler. On peut aussi remarquer à l’intérieur de cette trame de nombreux culs-de-sac et ronds-points qui marquent le territoire de manière sporadique (Figure 12). Contrairement à la trame rectiligne de type côtes et rangs, la trame curvilinéaire d’après-guerre est en rupture complète avec le patrimoine agricole du territoire d’étude, car :

On n’y retrouve pas de correspondance avec la structure des anciennes côtes, ni avec l’ordonnancement des terres qui n’ont pas orienté le développement comme l’avait fait les ponts et les noyaux urbains préexistants. Oubliant le plus souvent le tracé des chemins anciens, on y a juxtaposé une nouvelle génération de boulevards et d’autoroutes. (Pluram inc. 1981, 55)

Effectivement, il devient très ardu de deviner les anciennes délimitations des différents espaces agricoles avec une trame de ce genre qui fait souvent abstraction des particularités du territoire sur lequel elle s’implante. Cependant, la trame curvilinéaire du territoire d’étude est relativement bien connectée à la trame de type côtes et rangs en assurant une continuité de certaines rues. En effet, on constate qu’il existe peu de ruptures entre les deux types de trames qui donnent une impression générale de fluidité malgré leurs morphologies très différentes.

Figure 11 : Trame de type curvilinéaire Figure 12 : Trame de type curvilinéaire (Ronds-points et culs-de-sac)

Bref, le territoire d’étude est constitué d’un maillage de trois types de trames différentes, soit organique, de type côtes et rangs, et curvilinéaire. Cet enchevêtrement de trames reste relativement fluide considérant les différences propres à chaque type. D’ailleurs, l’observation simultanée des trames et des périodes construction révèle que plusieurs quartiers résidentiels d’après-guerre ont été construits en continuité avec la trame de types côtes et rangs tandis que d’autres ont été planifiés sur une trame curvilinéaire. Le territoire d’étude présente donc un réseau viaire intéressant démontrant la transition s’étant opérée sur le territoire quant à la manière d’occuper l’espace.