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Chapitre 4 : Banlieue et actualisation, des perceptions hétérogènes et polysémiques

4.4. Actualisation du territoire, un regard mitigé et dubitatif

4.4.2. Diversification désirée, mais pas si l’intimité et la voiture en pâtissent

Les perceptions quant aux différents types de diversification sont dans l’ensemble très positives (Figure 45). Contrairement à la densification qui évoque l’augmentation du nombre d’individus et de bâtiments sur un territoire, la diversification est synonyme d’ajout de commerces, de services, de transports et de types de logements sur le territoire. Étant donné que les participant(e)s accordent une grande importance aux services de proximité, à la mobilité et à l’offre résidentielle, il n’est pas étonnant que la diversification sur le territoire soit perçue positivement. Dans une moindre mesure que la densification, la diversification peut occasionner des questionnements, principalement lorsqu’elle est fonctionnelle et signifie la venue de commerces dans des quartiers résidentiels.

4.4.2.1. Diversification fonctionnelle. Formalité et informalité en progression.

La diversification fonctionnelle engendre des réactions mitigées de la part des participant(e)s puisqu’elle est souhaitée, mais pas si elle perturbe la tranquillité des quartiers résidentiels. D’une part, la plupart des participant(e)s identifient de la satisfaction ou une volonté de voir leur quartier se diversifier relativement aux commerces (9), aux espaces verts et aux jardins collectifs (4), aux logements dans les zones commerciales (3), aux espaces consacrés à la culture (2) et aux services sociaux, notamment pour les personnes âgées (2). D’autre part, trois participant(e)s déplorent la disparition des quelques zones industrielles restantes au profit de nouveaux quartiers résidentiels. Il existe donc un désir de voir s’installer dans le quartier une plus grande diversité d’activités et de fonctions. Tout comme la densification douce, une certaine diversification fonctionnelle s’inscrit de manière informelle sur le territoire. Selon le règlement de zonage, le secteur d’étude est relativement monofonctionnel en permettant peu de mixité des usages. Néanmoins, le constat est tout autre lorsqu’on se penche sur les activités informelles, donc qui ne cadrent pas avec les activités autorisées par la Ville dans les différents secteurs du zonage. Effectivement, 12 participant(e)s mentionnent des pratiques professionnelles ou commerciales informelles ayant lieu dans des zones monofonctionnelles résidentielles : « Notre voisin, il fait du paysagement. Pis euh, c’est ça, il a pas le droit non plus. Il le dit, il fait pas de bruit, ahah. On s’entraide. Si je faisais une plainte que lui il me dérange, là, ça pourrait lui nuire. Il a pas le droit » (Éloïse [citoy.] 21 février 2016). La diversité des pratiques est très large et couvre des activités du secteur secondaire (paysagement, artisanat, travail du métal et du verre), tertiaire (denturologie, physiothérapie, architecture, massothérapie, herboristerie, marketing, notariat et vente de vêtements) et aussi illicite (vente de drogues). Par ailleurs, 5 participant(e)s ont déclaré pratiquer des activités professionnelles dans leur logement, malgré les restrictions dictées par le zonage. Les activités informelles, mais licites sont dans l’ensemble très bien acceptées : « c’est toute des commerces de proximité. C’est le fun tsé. Pis le monde s’encourage tsé » (Éloïse [citoy.] 21 février 2016). Cependant, les activités illicites sont très mal perçues et renforcent la perception que le crime et l’insécurité sont présents dans le quartier : « il y a certains appartements, c’est carrément des crackhouses, il y a des appartements, ils font pousser du pot. Des maisons un peu de débauche là. Moi, j’ai peur le soir de me promener dans le quartier » (Fanny [citoy.] 23 février 2016). Licite ou illicite, la diversification fonctionnelle à l’intérieur des zones résidentielles pose problème lorsqu’elle perturbe la tranquillité du quartier :

Il faudrait pas que ça soit un commerce qui demande un va-et-vient incessant. Comme un dépanneur comme une pharmacie. Tu peux pas avoir un commerce de détail pur. En fait, je dirais non aux commerces de détail pis oui aux commerces de service. (Charles [citoy.] 10 février 2016)

La source du problème est l’incompatibilité entre l’achalandage que pourraient créer certaines activités non résidentielles et la volonté de vivre dans un milieu de vie calme. Inversement, l’absence d’achalandage due à la très faible densité du territoire d’étude renforce l’idée que la diversification fonctionnelle, entre autres par l’augmentation du nombre de commerces, est impossible puisque non viable :

Ben je pense qu’il faut être réaliste. C’est pas viable des commerces là-dedans. C’est pas viable, je veux dire, c’est parce que t’as pas de stationnement, t’as rien tsé. À l’époque, quand les gens avaient pas d’auto, c’était viable, mais aujourd’hui, je pense qu’il faut pas rêver en couleur. (Isabelle [citoy.] 28 mars 2016)

La diversification fonctionnelle est donc bien perçue, déjà en progression de manière informelle, mais ne doit pas entrer en conflit avec la très forte volonté de conserver la tranquillité du quartier. En termes de diversification des infrastructures naturelles, trois participant(e)s ont souligné l’importance des berges naturelles comme rempart à l’érosion et des abords de la carrière Laval comme écosystèmes abritant plusieurs espèces animales et végétales d’intérêt. Par ailleurs, la perception des berges est extrêmement positive et une majorité des participant(e)s ont identifié leur souhait de voir davantage de parcs aux abords de la rivière des Prairies.

4.4.2.2. Diversification typologique. Équilibre entre intérêts collectifs et personnels

La diversification typologique est perçue très favorablement par les participant(e)s. La quasi-totalité des mentions (7) porte sur la création de logements communautaires (sociaux et coopératives d’habitation) ou sur les logements multigénérationnels (3). Les membres du personnel municipal sont particulièrement sensibles à la question des logements communautaires : « Dorénavant, on veut jouer un rôle plus proactif dans la revitalisation des secteurs, dans l’aménagement de logements sociaux » (Albert [e.m.] 23 janvier 2016) et affirment être déjà en processus d’idéation pour trouver un moyen de diversifier les types résidentiels : « l’offre de logement social à Laval, on cherche des pistes » (Benoît [e.m.] 1er février). En outre, les participant(e)s citoyen(ne)s sont nombreux à identifier le logement social comme élément clé à la diversification des types de logements présents sur le territoire d’étude : « il manque de HLM, de coops, des choses comme ça. Les jeunes avec qui je travaille, ils cherchent, ils cherchent des appartements à prix abordables, pis c’est un gros problème » (Fanny [citoy.] 23 février 2016). Les participant(e)s signifient donc un désir de diversification typologique davantage axée sur l’intérêt collectif que sur l’intérêt personnel. Pourtant un projet de construction de logements sociaux a récemment rencontré une grande opposition sur le territoire d’étude :

C’est un projet municipal pour la cause sociale, un bâtiment de quatre étages. On a reçu une pétition là. Le bâtiment avait tous les défauts, c’était trop haut, ça allait faire des corridors de vent, des ombres portées. Ils [les pétitionnaires] avaient un urbaniste avec eux autres, ils avaient toute la liste des inconvénients d’un projet là. Pis là en plus, on amenait des pauvres là! (Benoît [e.m.] 1er février 2016)

Cet employé municipal souligne un important aspect intrinsèque à la diversification typologique, soit la diversité socio-économique. Le seul participant ayant une perception principalement négative concentre son argumentaire sur cette diversité socio-économique dans le cas hypothétique où des semi-sous-sols seraient transformés en petits appartements locatifs adaptés aux personnes âgées ou aux étudiant(e)s : « je pense que ça diminuerait le valeur du quartier [sic] » (Gerry [citoy.] 23 février 2016). Dans ce cas, l’intérêt avancé n’est pas collectif, mais personnel puisque le participant appréhende les effets négatifs de la diversification typologique sur la valeur de son quartier, donc de sa propriété personnelle. Dès lors, il semble que les perceptions positives de la diversification typologique soulignent les externalités pour la collectivité tandis que la perception négative indique des externalités affectant l’individu.

4.4.2.3. Diversification modale. Souhaitable, mais pas au détriment de la voiture

La diversification modale est souhaitée puisqu’associée à une augmentation de la mobilité. Les participant(e)s sont très conscient(e)s que le territoire d’étude est fortement dépendant de la voiture, mais valorisent beaucoup les alternatives modales déjà présentes ou qui pourraient s’implanter dans leur quartier. L’intérêt pour des transports collectifs plus efficaces et plus fréquents est réellement présent, tout comme celui de voir des aménagements piétons et cyclables de meilleure qualité. Toutefois, la présence de l’automobile dans le mode de vie des participant(e)s reste extrêmement élevée et constitue un élément central dans leur mobilité. Seulement deux individus utilisent le transport en commun pour leurs activités principales et deux utilisent la marche. À ce sujet, les propos d’Hélène sont révélateurs de son cocktail transports : « moi j’ai une BMW hein! Bus, métro, walk » (Hélène [citoy.] 10 mars 2016). Cependant, la femme, comme les deux autres participant(e) s n’utilisant pas la voiture comme moyen de transport principal, restent très fortement attaché(e) s à la voiture et à la place qu’elle occupe sur le territoire, stationnements compris. Lorsqu’il est question du nombre limité de stationnements incitatifs autour du métro, la femme affirme : « Je conduis pas fac moi ça me dérange pas, mais par contre pour ceux qui voyagent qui aimeraient voyager peut-être en transports en commun [métro], mais ils peuvent pas parce qu’il y a pas de place pour stationner leur voiture » (Hélène [citoy.] 10 mars 2016). Ou lorsqu’il est question d’ajouter un tramway sur le boulevard des Laurentides, elle mentionne en se référant aux voies automobiles transformées en

rails : « Tu perds le boulevard des Laurentides. Ça serait pas un truc non » (Hélène [citoy.] 10 mars 2016). Bien qu’elle n’utilise pas la voiture, la participante maintient l’importance de ce moyen de transport sur le territoire. Le constat est le même pour les participant(e)s automobilistes, non sans rappeler les travaux de Fortin, Villeneuve et Rioux sur l’omniprésence de la voiture dans le mode de vie banlieusard (2008). Sandrine Jean affirme quant à elle que « la description d’une "journée typique" est claire sur ce point : une des ressources utilisées pour faciliter l’organisation familiale est la voiture » (Jean 2014, 118). Néanmoins, tout le monde s’entend sur l’importance de la diversification modale, mais celle-ci ne doit idéalement pas se faire au détriment de l’automobile : Tsé des trottoirs de 6 pieds de large, tu te fais éclabousser, il y a pas d’arbres, euh, c’est vraiment pas agréable marcher là [boulevard des Laurentides] alors il faut se questionner : est-ce que, est-ce que c’est transformable sans euh reprendre sur le domaine automobile, pis si on reprend sur le domaine automobile on a quoi comme alternative? On n’a pas d’alternative. On n’a pas d’alternative dans l’axe nord-sud dans ce secteur-là. (Benoît [e.m.] 1er février 2016)

Par ailleurs, un des regards mitigés porte sur l’impact de l’arrivée du métro sur la disponibilité du stationnement. Bien que le participant membre du personnel municipal n’est pas contre l’arrivée du métro, il mentionne : « Depuis l’arrivée du métro, il y a un système de vignettes qui a été implanté parce qu’il y avait beaucoup beaucoup d’insatisfaction des citoyens » (Benoît [e.m.] 1er février 2016). Cette insatisfaction liée à la diminution du nombre de places de stationnements disponibles est probante de la place qu’occupe la voiture dans la mobilité des personnes interviewées. La voiture domine largement le paysage du territoire d’étude, mais semble perdre du terrain face aux alternatives de transport qui s’y implantent progressivement.