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Le premier décret conciliaire concernant les pratiques homosexuelles fut promulgué par le Concile d'Elvire en 305 et 306. Ce décret interdisait la communion aux stupratores puerorum, et ce même au moment de leur mort. Le décret du Concile d'Ancyre, qui eut lieu en 314 en Asie Mineure, a eu une très grande influence sur l'Église d'Occident : il fut en effet fréquemment cité par les décrets conciliaires suivants comme une référence faisant autorité. Le canon 17 concerne "ceux qui ont subi ou qui ont commis la souillure avec des animaux, ou avec des hommes de sexe mâle"24. Le concile ordonne différents

châtiments en fonction de l'âge et de la situation conjugale de l'accusé : les hommes mariés et de plus de cinquante ans pourront recevoir la communion, mais seulement au moment de leur mort. Basile de Nysse, dans une lettre adressée en 353 à Amphiloque, évêque d'Iconium, écrit : "Celui qui est coupable d'inconduite avec des hommes sera en même temps condamné pour adultère" (Epist. Ccxvii (ad Amphiloch), can. 62). Grégoire de Nysse, dans une lettre canonique à Leotius, évêque de Mélitène (vers 390), explique pourquoi il faut en même temps condamner les homosexuels, qu'il nomme les sodomites, pour adultère : parce qu'ils cumulent les plaisirs illicites avec le tort infligé à autrui (Epist. Canonica iv). Basile et Grégoire réclament tous deux quinze ans

de pénitence et de privation des sacrements pour les personnes jugées coupables. En 693, Egique, roi de l'Espagne gothique, dans son discours d'ouverture du seizième Concile de Tolède, pressait le clergé de participer lui- même à la répression des pratiques homosexuelles, et une fois de plus, en faisant implicitement appel à l'histoire de Sodome : "Entre autres affaires, considérez qu'il faut vous appliquer à éliminer ce crime obscène commis par ceux qui couchent entre hommes, ceux dont l'effrayante conduite souille l'agrément d'une honnête vie et provoque dans les cieux le courroux du juge suprême" (Conc. Tolitan 16, 3, Mansi xii, col. 71).

La plus importante série de mesures prise contre les pratiques homosexuelles pendant le Moyen Age est celle des canons promulgués lors du Concile de Naplouse le 23 janvier 1120 par Baudouin II, roi de Jérusalem, et Garmond, Patriarche de Jérusalem (Conc. Neapl. 8, Mansi xxii, cols. 261-264). A cette occasion, on prêcha un sermon qui attribuait aux individus coupables d'homosexualité tous les maux qui avaient frappé le Royaume de Jérusalem, aussi bien les tremblements de terre que les signes menaçants et les attaques des Sarrasins. C'est pourquoi le Concile publia trente canons contre les péchés de chair, dont quatre concernaient les actes homosexuels : les coupables étaient condamnés au bûcher. Vers la fin du XIIe siècle, la sodomie était un péché spécial, et on ne pouvait obtenir l'absolution qu'en faisant appel à l'évêque ou au pape lui-même (Cf Synod. Constit. Odo. Episc Paris (vers 1196) 4, 5, Mansi xxiii, col. 678).

Les pénitentiels, des recueils traitant du sacrement de pénitence et provenant des Églises celtes d'Irlande et du Pays de Galles, montrent comment l'Église s'efforça de traiter la question des pratiques homosexuelles. Sa préoccupation majeure était de distinguer le mieux possible les différentes sortes d'actes – selon leur nature et les circonstances – pour leur assigner le type de pénitence approprié. L'utilisation et l'influence des pénitentiels se

répandirent en Angleterre, en France, en Allemagne et même en Italie, et ils furent, pendant près de cinq siècles, considérés comme des références pour l'administration des pénitences. Le document le plus important au sujet des pratiques homosexuelles au Moyen Age reste le Liber Gomorrhianus de Pierre Damien, adressé en 1051 au Pape Léon IX. Dans cet ouvrage, Pierre Damien s'insurge contre la façon dont les pénitentiels distinguent différents types d'actes homosexuels et leur assignent différentes pénitences. Il réclame en particulier la révocation de tout membre du clergé reconnu coupable de tels actes. La réponse de Léon IX, Nos Humanius Agentes, souligne la nécessité de relativiser et d'approcher de façon plus humaine le problème des pratiques homosexuelles. Il blâme la sévérité et l'inflexibilité du livre, et soutient que ceux qui se sont livrés à des actes homosexuels, n'étant pas tous également coupables, ne méritent donc pas la même censure ecclésiastique. Il précise en particulier qu'il n'est pas nécessaire d'exclure des ordres un clerc à cause de cela, et conclut : "Si quiconque devait oser critiquer ou gloser celui-ci de nos décrets, qu'il sache que c'est lui-même qui est en danger pour ses ordres" (Mansi xix, cols. 685-686).

Par conséquent, comme l'a montré Bailey dans Homosexuality and the Western Christian Tradition, l'apparition de l'attitude chrétienne occidentale vis-à-vis des pratiques homosexuelles a suivi un processus de type cumulatif où de nombreuses et diverses influences sont entrées en jeu : par exemple, la réinterprétation du récit de Sodome par le judaïsme d'après l'Exil, les développements païens et chrétiens de la loi romaine, les enseignements des Pères de l'Église, l'héritage des conciles de l'Église et les Synodes, le système pénitentiel, etc. Vers la fin du XIIIe siècle, et en particulier avec les écrits de Thomas d'Aquin, cette tradition était complètement formée. L'influence de l'interprétation de Sodome dans un sens homosexuel est évident à chaque maillon de cette évolution. Il y avait aussi, de la part des autorités civiles, la

tendance à voir dans toute catastrophe naturelle ou tout évènement grave la marque du jugement divin contre les pratiques homosexuelles. Par exemple, à propos du naufrage de la Blanche-Nef, au cours duquel périrent l'héritier d'Henri Ier d'Angleterre et plusieurs jeunes nobles, Guillaume de Nangis affirme qu'il s'est agi d'un châtiment divin contre des hommes "qui étaient tous sodomites".

I.5. Homosexualité et transvestisme depuis le XVIe siècle