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Chapitre 5 : Présentation des résultats

5.1 Une redéfinition du biomimétisme : au-delà de l’outil de conception formelle de la nature

5.1.2 Un outil systémique : la nature, l’homme et le produit

Le potentiel d’innovation du biomimétisme, notamment son aspect créatif qui permet l’exploration de solutions et stratégies naturelles, est souligné par les trois répondants de l’étude. Selon Fred Gelli, le biomimétisme est la meilleure source de référence pour un designer de produits souhaitant développer des produits compatibles avec la biosphère :

Fred : « […] la solution naturelle pour un problème, c’est la solution la plus adéquate, la solution précise […] C’est séducteur… c’est sexy […] je pense que toute solution qui vient de la nature, elle vient “éco sexy”, elle n’est pas “éco plate”. L’avantage de regarder la nature quand tu veux développer des solutions qui soient des solutions pour le futur, parce que toute solution du futur doit être éco dans le sens d’être amicale avec la vie, c’est le fait que la nature représente un méga raccourci, parce qu’elle vient “éco sexy”, elle vient complète, elle vient en considérant toutes les variables qu’une bonne solution de design doit considérer pour être une solution compatible avec le futur […] ».

À cet effet, Fred Gelli souligne le caractère systémique de la nature en le mettant en opposition avec le fonctionnement de l’Homme. En effet, la compréhension des cycles naturels ainsi que de l’interrelation entre des organismes pourrait constituer un levier pour le développement non seulement de produits à moindre impact environnemental, mais aussi pour le développement et la réorganisation des sociétés plus soutenables :

Fred : « […] à l’opposé de la nature […] nous sommes “maximums” et non “optimums”. Nous fragmentons tout au lieu de comprendre la logique de l’intégration. Nous ne pensons pas de manière cyclique […]. Parfois, l’inspiration qui vient du regard holistique de la compréhension du système fait que tu dessines la forme d’une autre façon. La forme doit être au service du système et non le contraire, c’est-à-dire que le système c’est qui est intéressant. Le système, c’est l’interrelation entre des organismes et, si je sous-estime le système, je vais créer des formes qui vont être incompatibles avec d’autres formes qui cohabitent dans ce système. Donc, d’une manière générale, je préfère commencer par le système ».

Le biomimétisme permet de se questionner, dans une optique plus large, à une (re)adaptation de l’être humain avec la nature. Selon Moana Lebel, le biomimétisme serait un levier pour augmenter la résilience du vivant sur la planète. De cette façon, cette démarche ne vise pas simplement l’inspiration naturelle dans le but de développer des nouvelles technologies et produits. Certaines problématiques auxquelles les individus sont confrontés n’ont pas nécessairement besoin de nouveaux produits ou technologies :

Moana Lebel : « […] dans une société en santé, où on a des connexions humaines qui sont positives, où tout le monde peut être logé, nourri et habillé, etc. on n’a pas besoin d’autre chose que ça. La reconnaissance sociale, oui, mais pas nécessairement par les matériels. Le biomimétisme, ce n’est pas juste imiter la nature pour faire de nouvelles technologies (qui seraient plus polluantes, qui utilisent plus de matériel pour aller plus vite, polluer plus, etc.), c’est vraiment dans un aspect de réduire l’impact de l’humain sur l’environnement et que l’humain retrouve son pouvoir dans l’écosystème terrestre […] Tous les principes que la nature utilise pour se développer sont les meilleurs exemples de développement durable. Il ne pourrait pas y avoir autre chose ».

La vision de Fred Gelli concernant la compréhension des systèmes présente un lien très étroit avec la pensée design (design thinking). Le design thinking est une approche d’innovation basée sur l’utilisation d’outils et de méthodes propres aux designers de produits pour la résolution de problèmes (Cross, 2011) et sur « les processus cognitifs de l’acte de design » (Vial, 2015, p. 99). En fait, le processus de développement d’un produit considère dans son approche le système, c’est-à-dire le contexte d’intervention incluant les usagers, les objets et l’environnement, dans lequel le produit va se développer. De cette manière, le designer conçoit des produits

à partir de la documentation et de l’observation de ce contexte d’intervention lui permettant de bien cerner et ancrer la problématique à laquelle il souhaite répondre par la proposition d’un produit qui transformera une situation non désirable en situation désirable (Findeli et al., 2010; Vial, 2015). Le produit final conçu devrait être au service du système tout autant que de la nature. Par exemple, une voiture est un produit qui doit cohabiter avec tous les éléments composant un réseau de transport.

Fred : […] « Cela (la compréhension des systèmes) a à voir avec le design thinking, la méthodologie qu’on utilise pour faire du design de manière générale, qui est de comprendre les systèmes, de comprendre les environnements [physiques]. Ce que je vais faire dans un environnement, l’intervention que je vais proposer, c’est une intervention qui va être au service du système et ça va être développé avec les gens qui occupent cet espace et qui cohabitent dans ce système. Ce sont ces personnes qui comprennent en profondeur cet environnement et le rôle du designer est d’être un catalyseur dans cet environnement qui est déjà créatif. Croire que les espaces sont tous créatifs et ce que nous (designers) faisons, c’est de catalyser et faire en sorte que les connections se produisent. D’après moi, c’est ça le travail du designer, surtout […] La nature fait des prototypes en tout temps, elle expérimente tout le temps… la nature considère ce dont on a déjà parlé, le système, tout le temps. N’importe quelle solution […] telle que le sujet qui évolue dans le processus d’évolution de la nature est le plus apte, mais le plus apte signifie le plus intégré aux conditions de l’environnement qui est un principe basique du design thinking, c’est-à-dire que tu dois comprendre la dynamique de l’environnement et ta solution va potentialiser la dynamique de cet environnement ».

Les résultats présentés dans cette section soulignent que la finalité du biomimétisme dans le processus de développement de produits est de créer de l’innovation compatible avec les enjeux du développement durable grâce à l’inspiration de stratégies et structures naturelles. Alors que le biomimétisme est souvent perçu comme une approche permettant au designer de produits de concevoir des produits soutenables, il s’agit également, d’après nos trois experts, d’un outil plus complexe (allant au-delà de la conception) accompagnant une façon de penser, de vivre et d’être en relation harmonieuse avec la nature. Ainsi, le biomimétisme est un outil systémique connectant la nature, l’homme et le produit.