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Chapitre 1 : État de lieux

1.4 État des lieux de l’utilisation du biomimétisme dans les disciplines de l’aménagement et du génie

1.4.2 Le biomimétisme dans l’architecture

L’approche du biomimétisme appliquée à l’architecture représente un changement de paradigme dans la manière de concevoir les habitats. Comme l’a souligné Antoni Galdi, l’un des principaux architectes de la fin du XIXe et début du XXe siècle, « l’architecture du futur se construira en imitant la nature parce que c’est la plus

rationnelle, durable et économique des méthodes ». En effet, le biomimétisme peut conduire à des innovations afin de concevoir un environnement bâti soutenable à différents niveaux, que ce soit une maison, un bâtiment,

un quartier ou une ville durable (Chayaamor-Heil et al., 2018). À cet égard, les principes et stratégies rencontrés dans les écosystèmes naturels sont transférés aux projets d’architecture en vue de concevoir des habitats en harmonie avec le fonctionnement de la nature, en ce qui concerne leurs matériaux, leurs formes et leur fonctionnement (Scheffer, 2011). Amer (2019) invite les architectes à explorer la richesse de la nature en vue de changer leur paradigme de conception, non seulement pour améliorer la fonctionnalité et les valeurs esthétiques des projets, mais aussi pour interpréter des stratégies et des méthodologies durables par intégration de la nature. Cependant, cet auteur souligne qu’il faut se méfier d’une interprétation trop directe de la nature nuisant à la compréhension des stratégies et principes naturels. En effet, l’abstraction prend une importance capitale dans la démarche en biomimétisme, car elle facilite la compréhension et le transfert de ces stratégies aux solutions architecturales.

Patricia Ricard (2015) identifie, dans son rapport intitulé Le biomimétisme : s’inspirer de la nature pour innover durablement, trois principes qui guident l’architecture biomimétique : (i) un fonctionnement à travers les énergies renouvelables (p. ex. : énergie solaire, énergie éolienne, énergie hydraulique, biomasse, énergie géothermique, etc.) et une optimisation des ressources s’inspirant des formes et des structures des organismes vivants ; (ii) un fonctionnement en boucle fermée comme dans le cadre des réseaux intersectoriels (p. ex. : écologie industrielle, ville durable, etc.) où les déchets des uns deviennent les ressources des autres et (iii) l’utilisation des ressources permettant la réduction des flux d’énergie ainsi que des émissions de carbone liées au transport de ces ressources.

Un exemple très connu dans la littérature en architecture biomimétique est l’Eastgate Building (Figure 14 ci- dessous) situé à Harare au Zimbabwe, conçu par l’architecte Mick Pearce36F

38 qui s’est inspiré du fonctionnement

des termitières. En fait, les termites réussissent à contrôler les flux d’air à travers l’ouverture ou la fermeture de tunnels à l’intérieur de la termitière en réponse à un changement de température. Selon Chekchak et Lapp (2011, p. 162) :

Les termitières comportent des régulateurs de température très efficaces sous la forme de canaux et d’opercules. Les termites contrôlent les flux d’air en créant de nouveaux tunnels et en ouvrant ou fermant les opercules en fonction de la température extérieure. Cela permet à la termitière de rester fraîche sous des températures caniculaires et de restituer la chaleur accumulée la journée pendant la nuit. La température à l’intérieur reste constante, quelle que soit la température extérieure.

L’Eastgate Buiding s’inspire du même concept que celui des termitières en faisant appel à une méthode de refroidissement passive utilisant des cheminées situées dans le bâtiment tout en assurant la circulation de l’air (Chekchak et Lapp, 2011). Une étude comparative menée auprès de six autres bâtiments a montré que l’Eastgate Building utilise 35 % moins d’énergie qu’un bâtiment conventionnel fonctionnant avec l’air conditionné, soit une économie estimée à environ 3,5 millions de dollars sur cinq ans (Chayaamor-Heil et al. 2018; Levillain et Thebaud, 2016 cités dans Chayaamor-Heil et al. 2018). Néanmoins, le biomimétisme a été utilisé dans ce projet d’architecture uniquement sur la façade du bâtiment, ce qui limite l’analyse de la performance de l’utilisation du biomimétisme dans des projets complets (El Ahmar et Fioravanti, 2015).

Figure 14 : L’Eastgate Building et le système de ventilation des termitières

Source : Chayaamor-Heil et al. (2018)

Malgré la grande disponibilité d’exemples de systèmes naturels qui pourraient être utilisés pour concevoir des habitats durables, il en résulte une grande complexité liée à la compréhension et l’imitation de ces systèmes. En fait, l’imitation des formes et structures complexes présentées dans la nature ne peut se faire sans l’aide de la technologie. Les outils technologiques ainsi que l’utilisation d’ordinateurs à travers des algorithmes complexes pourraient aider à mieux reproduire le fonctionnement de la nature (Aziz, 2016). Par ailleurs, l’absence d’une méthodologie solide capable de garantir l’efficacité du biomimétisme en architecture demeure une des barrières à l’utilisation de cette approche (Chayaamor-Heil et al., 2018).

Dans une dimension plus large, l’application du biomimétisme pourrait être aussi envisagée en urbanisme. À cet effet, Patricia Ricard (2015) souligne que le biomimétisme pourrait constituer un levier pour que les sociétés humaines réussissent à concevoir un univers urbain résilient à travers, par exemple, le développement de villes inspirées des écosystèmes naturels. À l’heure actuelle, il n’existe pas encore un exemple de l’utilisation du biomimétisme à l’échelle des villes, cependant, Scheffer (2011) souligne que cette approche pourrait représenter une grande source d’inspiration pour concevoir des solutions durables à l’échelle des villes.

Conclusion

Le designer de produits est un acteur stratégique incontournable dans la mise en œuvre du développement durable, notamment en ce qui a trait aux produits qu’il conçoit et qui seront ensuite mis sur le marché. Pour ce faire, il dispose de plusieurs approches, telles que l’économie circulaire, l’écologie industrielle, le cradle to cradle et l’écoconception, qui visent à diminuer principalement les impacts environnementaux des produits tout au long de leur cycle de vie. Ces approches présentent des limites, soit par leur complexité de mise en œuvre, comme dans le cas de l’économie circulaire, soit par l’impossibilité de répondre pleinement aux trois sphères du développement durable en offrant des solutions à long terme, comme dans le cas de l’écoconception, du cradle to cradle et de l’écologie industrielle. Ces limites pourraient être atténuées à partir de la combinaison de ces approches à d’autres méthodes (p. ex. : ACV, ACVS, etc.), en dépendant de la complexité et de la nature du projet, avec le but d’augmenter la durabilité des solutions.

L’analyse succincte de ces approches démontre le besoin de développer des outils de conception d’écoproduits s’inscrivant dans une vision à long terme, comme le préconise le développement durable à travers le développement de produits viables pour l’économie et la société, équitables et qui bénéficient à l’économie locale en étant durable (robuste et fiable) pour l’environnement. L’actuelle crise écologique ouvre la voie aux développements de nouvelles approches comme le biomimétisme, peu définies sur le plan méthodologique (Molina et Raskin, 2018), mais pouvant avoir le potentiel de combler plus systémiquement les défis résultant du développement durable. Papanek (1974) affirmait déjà à son époque que le designer doit s’intéresser à l’écologie et à l’éthologie pour trouver des équivalents aux systèmes biologiques, parce qu’il n’est ni possible ni souhaitable de créer un objet, sans tenir compte de son contexte sociologique, psychologique et urbain. De cette façon, le biomimétisme pourrait représenter un véritable changement dans notre économie en transformant nos façons de penser sur la conception, la production, le transport et la distribution de biens et services (Ataide, 2010).