Le designer utilise habituellement le biomimétisme comme inspiration formelle

L’exemple de la Bone chair (Fig. 22) du Joris Laarman Lab53_{, un studio de design situé à Amsterdam, illustre}

l’utilisation formelle du biomimétisme. Le design de la Bone chair a débuté en 1998, lorsque Adam Opel GmbH, la filiale allemande de General Motors, a développé un nouveau logiciel d’imagerie et de simulation numérique dont la finalité était de créer un moteur plus efficace en ce qui concerne la consommation de carburant et la légèreté lors de son utilisation. Une partie du processus de développement s’est fait grâce à la création d’un modèle virtuel en trois dimensions avec la simulation de l’application d’une contrainte de force à des points spécifiques sur le modèle. Tous les éléments qui n’étaient pas nécessaires ont été enlevés de façon à alléger la structure, sans l’affaiblir. Ce processus s’inspire du principe d’évolution des organismes vivants. Les os sont très efficaces durant la croissance humaine des structures internes pour parvenir à un rapport optimal poids- force (Pereira et al., 2015). Ils ajoutent et enlèvent de la matière progressivement en réponse aux contraintes de leur environnement. Le logiciel répète le même processus en ajoutant le matériau où la force est nécessaire et en amincissant où il y a peu de contraintes. Ainsi, le design créé permet d’atteindre une résistance maximale avec un minimum de matériau. Le résultat final est un produit au design « conceptuel » avec un attrait principalement esthétique. Dans un processus de développement de produits utilisant le biomimétisme, la structure des os peut apporter des solutions, comme le châssis de la Bionic Car présenté plus haut dans le texte. La forme, dans ce cas-ci, suit la fonction comme dans la nature qui vise à avoir une structure plus légère en utilisant le minimum de matériau nécessaire. C’est également le cas du projet de Ross Lovegrove, la Supernatural chair, mais avec un matériau qui offre une possibilité d’amélioration pour ce qui est de l’approvisionnement des ressources en faisant appel à de l’aluminium.

Figure 22 : Bone Chair, 1998

Source : www.jorislaarman.com

Les projets présentés dans cette section démontrent que l’inspiration purement formelle de la nature ne garantit pas la durabilité des solutions. En fait, ces solutions pourraient être même plus dommageables sur l’environnement, sans permettre une contribution effective sur le cycle de vie du produit. Volstad et Boks (2012) soulignent que la nature possède une grande richesse de formes qui peuvent être utilisées comme une inspiration pour le développement des solutions offrant des avantages fonctionnels, telles que la réduction de la résistance à l’air, par exemple. Cependant, l’attrait esthétique des formes naturelles peut nuire à la vision du designer de produits sur ce qui est réellement utile dans le projet (Ibid.). Ainsi, l’aspect environnemental des alternatives peut être traité de manière marginale dans le projet.

Une étude réalisée en France en 2012, intitulée Étude sur la contribution du biomimétisme à la transition vers une économie verte en France, dressait un état des lieux de la recherche et de l’innovation française en matière de biomimétisme, ainsi qu’une évaluation de son potentiel de développement et d’innovation dans la perspective d’une économie verte et résiliente en France. À partir de recherches bibliographiques et de rencontres avec de nombreux acteurs, l’étude brosse un portrait du biomimétisme en France et dans le monde (Durand et al., 2012).

Cette étude a permis d’identifier 80 départements de recherche publique qui investissent dans le champ de la bio-inspiration, directement ou indirectement, et aucun d’entre eux n’est rattaché au domaine du design (Fayemi et al., 2013). Ces auteurs expliquent que ce constat illustre un probable manque de maturité de l’aspect méthodologique lié à la conception bio-inspirée.

Comprendre les raisons pour lesquelles les designers de produits n’utilisent pas le biomimétisme au-delà de l’analyse formelle représente un défi important pour faire avancer les connaissances et réorienter la pratique de la conception de produits vers les besoins et enjeux du développement durable. Le manque d’outils méthodologiques adaptés au processus de développement des produits peut expliquer cette situation. Le biomimétisme peut être une alternative pour répondre aux enjeux de mise en œuvre d’une société plus durable en proposant des méthodes et outils possédant un réel potentiel d’innovation. Comme l’a souligné Albert Einstein, « on ne peut pas résoudre un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». En fait, la crise écologique actuelle démontre, à juste titre, l’inefficacité des tentatives actuelles de résoudre les problématiques environnementales par des moyens technologiques et sociaux (Bogatyrev et Bogatyreva, 2014b).

Conclusion

Bien qu’il existe plusieurs exemples d’application du biomimétisme en conception et développement de produits, les études faisaient la démonstration de leur véritable soutenabilité (cf. développement durable) sont encore peu présentes dans la littérature (Fayemi, 2016; De Pauw et al., 2014; Montana-Hoyos, 2010). L’une des raisons pouvant notamment expliquer cette situation est l’absence d’une méthodologie systématique solide (comme c’est le cas en écoconception) capable de faciliter le transfert entre les systèmes biologiques et non biologiques (p. ex. : l’économie, l’industrie, etc.) (Badarnah et Kadri, 2015). En effet, le manque de maturité de l’aspect méthodologique peut être un possible frein lié à l’utilisation du biomimétisme (Chayaamor-Heil et al., 2018 et Fayemi et al., 2013). Ce contexte pourrait même expliquer la raison pour laquelle les designers de produits s’intéressent surtout à l’aspect formel de la nature comme source d’inspiration. Pour dépasser l’inspiration formelle du biomimétisme par le designer de produits, les principes naturels (tels qu’interdépendance, cycle fermé, efficacité énergétique, etc.) devraient être intégrés à la pensée et à la méthode de conception de produits.

C’est sur la base d’une analyse exhaustive de la littérature qu’il a été possible de constater que i) l’utilisation du biomimétisme est souvent formelle dans la plupart des disciplines (ingénierie, architecture, etc.), surtout en design de produits et ii) les méthodologies soutenant l’utilisation du biomimétisme sont inachevées ou,