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Chapitre 5 : Présentation des résultats

5.1 Une redéfinition du biomimétisme : au-delà de l’outil de conception formelle de la nature

5.1.4 De l’intelligence naturelle à l’intelligence artificielle

Fred Gelli croit que la biologie et la technologie s’uniront de plus en plus, car il n’existe pas une référence plus prometteuse que la nature en termes d’algorithmes et de traitement d’informations. Il appuie son argumentation à travers le parallèle entre l’intelligence artificielle et l’intelligence naturelle, basé sur l’interrelation et l’interdépendance. Selon les propos de Fred Gelli, la compréhension de l’intelligence naturelle ouvre la voie à de nouvelles façons d’utiliser les connaissances naturelles au service du développement technologique.

Fred Gelli : « […] nous sommes exactement dans un moment où la technologie et la connaissance humaine sont plus proches de la connaissance naturelle. En fait, quand on parle d’intelligence artificielle… l’intelligence artificielle, c’est la biomimétique pure. Quand on entend qu’aujourd’hui la frontière de la technologie est basée sur des algorithmes et la capacité de traiter des informations de garantir l’apprentissage et les résultats… cela est la base du vivant. Nous sommes un grand ensemble d’algorithmes… en réalité. On traite des informations tout le temps et on redonne au monde des attitudes, et… donc, technologie et biologie vont se mélanger de plus en plus. Alors, plus que jamais, je pense que le biomimétisme devienne protagoniste dans ce scénario parce qu’il n’existe aucune source plus puissante pour qu’on puisse continuer à évoluer en tant qu’animal pensant et innovateur que nous sommes, dans ces frontières qu’on ouvre de créer la propre vie, inclusivement, et la propre nature.

Fred continue son argumentation en soulignant l’importance de comprendre l’intelligence naturelle en vue de développer l’intelligence artificielle. Cette dernière, qui se présente comme une voie prometteuse, peut également être à l’origine de quelques menaces comme la question éthique de l’utilisation de certaines technologies, la substitution du travail humain par les machines dans certains domaines augmentant le niveau du chômage, entre autres.

Mais, mon hypothèse c’est qu’il ne suffit pas de regarder la nature et comprendre comment [la nature] crée un virus… parce qu’un virus informatique a beaucoup d’un vrai virus [un virus biologique]. Il se reproduit, il mute pour essayer de se défendre des systèmes de défense. Alors, on ne peut pas regarder la nature seulement avec la vision de dessiner ce qui est agressif. On a besoin de comprendre comment la nature traite l’agressivité du vivant… le vivant a beaucoup d’agressivité. La nature opère toujours avec deux dimensions très fortes qui sont la compétition et la coopération. Ces deux choses sont équilibrées d’une manière très subtile […] l’intelligence artificielle, c’est une voie sans retour. Un chemin avec un grand potentiel, mais un chemin avec beaucoup de menaces… et je fais des parallèles avec l’intelligence naturelle. L’intelligence naturelle d’une certaine manière existe depuis milliards d’années et c’est le fluide qui garantit la connexion de tout ce qui est vivant et l’interrelation et interdépendance… cette grande toile qu’on dit… quand tu tires un point toute la planète bouge… il existe une intelligence qui gère, qui connecte, qui branche les divers organismes dans cette grande toile qui est très similaire à nos intentions en relation à l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle est basiquement la capacité de cumuler et gérer une quantité d’informations à chaque fois plus grande et garantir l’apprentissage à partir de l’intersection de ces informations… c’est une chose que la nature fait depuis milliards d’années. Alors, mon hypothèse c’est que si on regarde la manière dont la nature utilise cette intelligence naturelle, nous pouvons éventuellement découvrir des antidotes et on pourrait éventuellement neutraliser certaines des principales menaces qu’on a aujourd’hui en regardant l’intelligence artificielle ».

La vision du biomimétisme de Fred Gelli est plus pragmatique comparativement à celle de Chloé Lequette qui possède une vision plus philosophique et celle de Moana Lebel qui a une vision à la fois théorique et philosophique. La vision pragmatique de Fred peut s’expliquer par le fait que son processus de développement de produits vise à répondre à un mandat venant de ses clients dont le produit devra être mis sur le marché et répondre à ses contraintes en matière de fabrication, de matériaux, de performance et de compétitivité pour ne citer que celles-ci. Il possède une grande capacité d’abstraction et il fait très bien la part des choses entre ce qu’exige le marché et la possibilité et le potentiel d’explorer de nouvelles opportunités offertes par la nature comme il le mentionne :

« […] J’utilise le biomimétisme en tout temps comme un outil créatif. Quand j’ai un défi conceptuel, un doute stratégique, philosophique ou technique, je pense toujours à comment la nature résoudrait ce problème. […] Ma principale source d’inspiration c’est la nature ».

La vision philosophique de Chloé Lequette se traduit par sa relation personnelle avec le biomimétisme et la sensibilité qui l’habite aussi bien en tant que designer de produits que personne ayant des valeurs environnementales très ancrées :

« […] je me suis vue grandir en tant qu’individu à travers cette démarche-là et, du coup, j’ai du mal à déconnecter ça quand j’en parle, en fait […] ça apporte énormément de choses du point de vue personnel et c’est un grand cadeau ».

La vision théorique et philosophique de Moana Lebel est reflétée par sa formation ancrée en sciences pures de par son parcours en biologie, puis dans le biomimétisme où elle a su, à travers l’institut qu’elle dirige, faire le pont entre la réalité plus concrète des entreprises et celle plus abstraite qu’implique le biomimétisme :

« […] Ben, moi, je suis biologiste de formation, j’ai un certificat en administration de l’UQUAM, puis j’ai travaillé dans le domaine de la biologie pendant plusieurs années. Puis, j’ai fait une maîtrise en développement durable à l’université de Sherbrooke, et c’est là que j’ai entendu parler de biomimétisme en 2008. Et puis, étant donné que j’avais un background scientifique en biologie j’ai décidé… j’ai eu la révélation que, mais oui ! C’est ça qu’il faut faire. Il faut s’inspirer de l’efficacité de la nature pour avoir du développement durable ».

Ces visions très riches et diversifiées offrent un portrait complet des enjeux entourant une redéfinition plus complexe de ce qu’est le biomimétisme. Cette diversité de visions peut, entre autres, s’expliquer par la formation académique et l’expérience professionnelle des experts interrogés en biomimétisme qui ont, chacun, œuvré dans des milieux culturels et pratiques variés.