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Chapitre 2 : Formulation de la problématique

2.5 Le biomimétisme en design de produits

La start-up américaine, Biomicry Design LLC,49 une équipe d’innovation internationale et multidisciplinaire

fondée en 2012 par cinq membres spécialistes certifiés en biomimétisme par le Biomimicry 3.8 dont France Guertin (génie chimique et environnemental), Maria Luisa Gutierrez (conception de l’emballage), Bill Hsiung (bioscience intégrée), John Paulick (design [industriel] de produits) et Karen Rossin (design d’intérieur), propose l’utilisation de modèles naturels à travers le biomimétisme dans le processus de développement de produits à

48The Global Biomimicry Efforts : An Economic Game Changer. Selon la projection de l’Institut économique américain Fermanian

Business & Economic Institute en 2025, le biomimétisme pourrait équivaloir à 300 milliards de dollars par an du produit intérieur brut des États-Unis (PIB48) en comblant, entre autres, 1,6 million d’emplois aux États-Unis d’ici cette même année. Globalement, le biomimétisme pourrait représenter environ 1 milliard de dollars du PIB mondial en 2025.

moindres impacts environnementaux. L’entreprise se positionne sur le marché en tant que développeur de solutions durables de produits. L’une des trois études de cas présentées sur leur site Web est celle de Wine Hiver (Fig. 19), produit conçu par John Paulick, designer industriel spécialiste en biomimétisme. Le Wine Hiver utilise les structures de nids d’abeilles comme inspiration. Ce rack à vin s’inscrit dans l’approche cradle to cradle en étant construit uniquement avec de l’aluminium 100 % recyclé. Quand il arrive à la fin de vie utile, le matériel peut retourner dans un processus industriel en tant que ressource technique, comme le propose le cradle to cradle. Le Wine Hiver s’inscrit également dans une démarche d’écoconception grâce à leur système de verrouillage breveté composé d’un seul élément structurel en aluminium extrudé qui se répète pour former un réseau de structures de nids d’abeille. Cette stratégie favorise l’optimisation de procédés dans la fabrication du produit tout en réduisant les impacts environnementaux tout au long du cycle de son cycle de vie. En plus, Wine Hiver s’inscrit dans certaines stratégies d’écoconception, comme le proposent Maxime Thibault et Alexandre Leclerc (2014), à savoir (i) la conception pour la réutilisation et la récupération des matériaux (utilisation des matériaux recyclables) ; (ii) le design pour le désassemblage (optimisation de l’opération de démontage, facilité dans l’accès et le remplacement des pièces) ; (iii) le design en vue de la récupération et de la réutilisation des déchets ; (iv) design pour la conservation de la matière première (utilisation de matériaux recyclés, recyclables et renouvelables).

L’inspiration pour ce projet Wine Hiver demeure formelle, même s’il s’inscrit dans le cradle to cradle. Ces structures naturelles, très efficientes dans la nature, ont permis une très bonne résistance du système. Dans cet exemple, la forme suit la fonction.

Figure 19 : Winehive Source : https://www.kickstarter.com50

Un autre exemple de produit conçu dans une l’optique d’approche biomimétique est le concept Bouilloire Nautile51 (Fig. 20). Ce produit bio-inspiré a été conçu en 2012 par le designer Guillian Graves et le bio-ingénieur

Michka Mélo de l’entreprise Enzyme & Co, un collectif de design bio-inspiré basé en France. Ce projet52,

présenté dans un mémoire de fin d’études réalisé à l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI– Les Ateliers) à Paris, s’inspire des principes d’isolation thermique et d’optimisation naturels propres au toucan, au nautile, à l’ours polaire et à la termitière : le toucan, parce que son bec est constitué par une structure alvéolaire très performante qui permet une isolation optimale en restant légère et rigide ; le nautile, parce qu’il possède une coquille spiralée enroulée vers l’avant et divisée en cloisons formant des loges étanches qui sont remplies individuellement lui permettant de descendre vers les fonds marins. L’ours polaire, pour sa part, a servi d’inspiration à deux niveaux : (i) sa peau possède une couche de graisse qui permet d’éviter la perte de chaleur par conduction thermique ; (ii) la structure de ses poils transparents est creuse et remplie d’air, permettant d’éviter la perte de chaleur par des courants d’air au contact de la peau. Finalement, la termitière parce qu’elle possède un système de régulation thermique et de distribution de la chaleur très performant permettant une adaptation très rapide face aux changements de température extérieure. La bouilloire possède des canaux permettant de distribuer la chaleur uniformément à l’intérieur du produit.

Ce projet, qui est resté à l’étape de prototype, est un autre exemple de l’application de l’inspiration d’un système naturel à l’échelle d’un produit. La bouilloire, fabriquée par un processus d’impression 3D, compte tenu de la complexité formelle à intérieur du produit, ne pourrait probablement pas être produite à l’échelle industrielle en considérant les modes de production traditionnels utilisés actuellement (p. ex. injection en plastique). Ce produit pourrait s’inscrire, probablement, dans un mode de production à la demande pour un marché haut de gamme. Malgré la réussite du projet sur le plan conceptuel en ce qui concerne l’application du biomimétisme, les résultats concernant les impacts environnementaux sont encore très peu connus. En réalité, il serait bénéfique et nécessaire de réaliser une ACV de la bouilloire afin de valider le potentiel réel du biomimétisme dans ce projet. L’ACV se présenterait comme une méthode complémentaire à la démarche du biomimétisme permettant de mesurer les impacts environnementaux de la bouilloire en comparaison avec une bouilloire de contenance similaire. Sans une telle analyse détaillée, il est difficile de conclure si ce projet demeure un concept d’inspiration formelle uniquement ou s’il pourrait devenir un écoproduit.

51 http://www.enzymeandco.com/blog/projects/bouilloire-nautile/

52 Guillian Graves (ENSCI) et Michka Mélo (EPFL). Mémoire de fin d’études à l’ENSCI-les Ateliers, volume 2/2.

Figure 20 : Bouilloire Nautile Source : http://www.enzymeandco.com

Le biomimétisme n’est pas toujours synonyme de soutenabilité. Certaines applications biomimétiques ont permis, par exemple, de réduire la consommation d’énergie ou de ressources naturelles à certaines étapes de fabrication et d’utilisation du produit, mais présentent des transferts d’impacts environnementaux sur d’autres étapes du cycle de vie (Durand et al., 2012). C’est le cas de la Supernatural chair du designer Ross Lovegrove (Fig. 21). En s’inspirant de la structure des os, cette chaise est plus légère et utilise moins de matière à l’étape de production. Cependant, elle est fabriquée en polymère plastique en utilisant un processus de moulage par injection. Dans cet exemple, la résultante de l’utilisation du biomimétisme est avant tout esthétique malgré les bénéfices en termes d’économie de matériel sans perte de résistance. En pratique, il existe encore peu d’applications biomimétiques en design de produits dépassant l’analyse formelle et s’inscrivant dans une approche de boucle fermée, telle que présentée par Mc Donough et Braungart (2011) dans leur approche cradle to cradle.

Figure 21 : Supernatural chair, 2005 – 2008 Source : http://www.rosslovegrove.com

Il existe un nombre restreint d’exemples de produits conçus à partir de la démarche du biomimétisme dans la littérature. Les produits présentés dans cette section confirment le potentiel d’inspiration et d’utilisation (même à l’échelle du concept ou du prototype) du biomimétisme en design de produits, principalement comme source d’inspiration formelle et outil créatif. L’inspiration de solutions naturelles et de systèmes biologiques pourrait ouvrir la voie à la conception de produits à moindre impact environnemental, mais aussi sociaux et éthiques. Néanmoins, une analyse du cycle de vie de ces produits n’a pas été réalisée afin de s’assurer de la minimisation des impacts environnementaux et sociaux tout au long du cycle de vie. De plus, la méthodologie utilisée mise en œuvre pour la conception de ces produits n’est rarement, si ce n’est jamais, présentée en ayant pour conséquence une difficulté à bien comprendre le processus de développement de produits ayant mené à la proposition de telles solutions, ni même la possibilité d’analyser leur durabilité. En outre, ces produits ne pourraient pas s’inscrire dans une optique de développement durable, car les sphères sociale et économique ne semblent pas être considérées dans ces projets ou, si elles le sont, elles ne sont clairement pas présentées. En réalité, ces produits semblent combler, principalement, la sphère environnementale du développement durable. Ils peuvent être considérés comme des écoproduits, mais il manque encore une vision plus globale visant la durabilité pour surmonter cette barrière dont les systèmes naturels se présenteraient comme un levier.