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Chapitre 1 : État de lieux

1.2 Le design de produits dans le contexte du développement durable

Le processus de fabrication des produits a des impacts sur l’environnement (p. ex : consommation des matériaux et d’énergie, émissions de polluants, génération de déchets, etc.) (Schiesser, 2011). McAloone et Bey (2009) ainsi que Caya et al. (2012) estiment qu’environ 80 % des impacts environnementaux et « 70 % des coûts environnementaux et sociaux des produits et services » (Ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec12F

14) sont déterminés lors de l’étape de conception, car c’est à cette étape du cycle de vie que les

matériaux, procédés, les technologies et la durée de vie du produit sont définies. Ce pourcentage, très communément cité dans la littérature pour illustrer les impacts environnementaux d’un produit lors de sa conception, résulte d’une recherche financée par l’Agence danoise de protection de l’environnement, en collaboration avec la Confédération de l’industrie danoise (DI), l’Union interparlementaire13F

15 (IPU) et l’Université

technique du Danemark (DTU) en 2009. Cette recherche visait à réaliser une analyse des méthodes existantes en matière de conception de produits plus respectueux de l’environnement dans des entreprises danoises (Coloplast, Fritz Hansen, Gabriel, Grundfos Management et LEGO Group)et internationales, ainsi que sur une série d’ateliers avec des entreprises industrielles.

Les décisions prises par les designers de produits et toute l’équipe de conception (ingénieur, marketing, etc.) lors du développement d’un produit (p. ex problèmes de gaspillage, surexploitation des ressources naturelles), principalement à l’étape de conception, peuvent avoir une incidence sur l’environnement (Åkermark, 2003). En effet, la complexité en matière de développement durable se transpose dans la conception de produits à travers la forte compétitivité entre les entreprises, les prix des produits, la conformité à la législation environnementale et au marché. Ce contexte place la conception et la production de produits durables dans une position stratégique pour atteindre la durabilité et les objectifs de production plus propres (Ahmad et al., 2018b). La

14https://www.economie.gouv.qc.ca/objectifs/ameliorer/developpement-durable/page/en-entreprise-

22980/?tx_igaffichagepages_pi1%5BbackPid%5D=&tx_igaffichagepages_pi1%5Bmode%5D=single&tx_igaffichagepages_pi1%5Bpare ntPid%5D=&cHash=780a48bcdb22e1017e8aeb91af613366

durabilité dans la conception de produits peut être définie comme la capacité d’un produit à fonctionner au fil du temps (robustesse), tout en garantissant de faibles impacts environnementaux, ainsi que des avantages sur les plans économique et social pour toutes les parties prenantes (p. ex. : utilisateurs, fournisseurs, etc.) (Ibid.).

Néanmoins, il est également admis dans la littérature (Mc Donough et Braungart, 2011; Thibault et Leclerc, 2014) que parfois, la meilleure approche pour minimiser les impacts environnementaux et répondre aux besoins des usagers sera de concevoir un produit à courte durée, impliquant une approche monomatériaux, par exemple, afin que lesdits matériaux soient recyclés et/ou compostés en fin de vie du produit (p. ex. : la vaisselle jetable). Les produits électroniques seraient un autre exemple où des produits plus récents (p. ex. : les réfrigérateurs) consomment parfois moins d’énergie qu’un produit plus vieux que le consommateur veut conserver. Ainsi, la mise en ouvre du développement durable vise, entre autres, « l’amélioration des modes de consommation et de production par la mise en œuvre de la pensée cycle de vie » (Belem et Revéret, 2014, p. 7). La pensée cycle de vie comporte une grande pertinence dans le contexte de l’augmentation de la durée de vie des produits et, en conséquence, dans le progrès vers la consommation durable (Cooper, 2005). Elle prend en compte l’intégration des aspects environnementaux dans toutes les étapes composant le développement d’un produit, soit l’extraction, la fabrication, la distribution, l’utilisation, et l’élimination (Ibid.).

La pensée cycle de vie est un principe central en écoconception et en écologie industrielle (voir section 1.3.4, chapitre 1). Belem et Revéret (2014) présentent quatre sources qui inciteraient les entreprises à avoir recours à l’analyse du cycle de vie (ACV) :

a) La réglementation : le concept de responsabilité de la chaîne de production fait en sorte que chaque fabricant et détaillant sont poussés à assumer leurs responsabilités en tant que membre de la chaîne de valeur du produit. De cette façon, ils sont responsables du financement et de la gestion en fin de vie des produits qu’ils mettent sur le marché, une fois que les consommateurs s’en débarrassent. C’est la responsabilité élargie des producteurs (REP) qui oblige les fabricants à récupérer leur produit en fin de vie en vue de les recycler selon les meilleures techniques disponibles sur le marché. Une autre mesure accompagnant la REP, la directive européenne (2005/32/CE), a pour objectif d’améliorer, depuis 2005, la performance environnementale des appareils liés ou consommant à l’énergie tout au long de leur cycle de vie. Cette directive vise concrètement soutenir la mise en œuvre de l’écoconception des produits. Il n’y a pas d’équivalent réglementaire au Canada.

b) Les consommateurs : Les « produits verts » sont de plus en plus ce qui permet aux entreprises d’accroître leur part sur ce marché en pleine croissance. Ces entreprises peuvent se démarquer

vie simplifiée (ACVS) ou des déclarations environnementales comme outil de conception écologique par l’apposition d’un label environnemental (p. ex. : labels Ange Bleu en Allemagne, NF Environnement en France, le Cygne nordique dans les pays scandinaves et l’éco label européen pour toute la communauté européenne) ;

c) Les marchés financiers : orientent de plus en plus leurs investissements et placements (p. ex. : Fidelity Investments Canada14F

16, Caisse de dépôt et placement du Québec

15F

17, etc.) afin d’encourager

les entreprises à adopter des pratiques responsables à travers le développement durable. Ces investissements peuvent inciter les entreprises à adopter des pratiques et stratégies durables qui sont de plus en plus reconnues par le marché (consommateurs, marchés financiers, etc.). À cet effet, l’Autorité des marchés financiers16F

18 a été instituée le 1er février 2004 par le gouvernement du

Québec à travers la Loi sur l’encadrement du secteur financier en vue d’encadrer le secteur financier québécois et prêter assistance aux consommateurs de produits et services financiers ; d) Les coûts d’utilisation de matières premières : l’augmentation du coût des matières premières liée

à leur raréfaction.

La responsabilisation des designers de produits concernant les problématiques environnementales coïncide avec l’émergence de l’écoconception dans les années 1970. Plusieurs auteurs ont contribué à l’émergence de l’écoconception et par conséquent à la définition du rôle du designer de produits dans le contexte du design durable, notamment Buckminster Fuller (1895-1983), designer, architecte, inventeur et écrivain américain qui est considéré comme le pionnier du design appliqué aux problématiques environnementales avec sa notion d’efficience énergétique et sa vision technocentriste (Petit, 2015). Fuller est devenu une référence pour toute une gamme d’approches contemporaines telles que l’écoconception. Parmi ses œuvres connues mondialement, on compte le Pavillon des États-Unis de l’Expo 67qui se tenait à Montréal (Massey, 2012). Massey (2012) souligne que Fuller aspirait à la maximisation du bien-être humain à travers l’efficacité technocratique et énergétique pour contrer le gaspillage, la minimisation de l’utilisation des ressources et la production de déchets avec l’objectif de tracer une voie plus durable pour l’humanité. Selon Petit (2015), « le dôme géodésique de Fuller inclura aussi une série de “géoscopes” et une base de données du système-terre ; il était la manifestation du rêve de Fuller, cet architecte de la maison-terre dont le but fut d’optimiser les ressources du “vaisseau-spatial terre” » (p. 33).

16 https://www.fidelity.ca/developpementdurable/index.html 17 https://www.cdpq.com/fr/investissements/investissement-durable

18https://lautorite.qc.ca/grand-public/a-propos-de-lautorite/programme-de-partenariats-strategiques-en-education-financiere-

Dans les décennies suivantes, Pauline Madge a souligné la responsabilité des concepteurs (designers, ingénieurs, architectes, etc.) face aux problèmes environnementaux avec une analyse des notions historiques du vert design à l’écodesign. Selon Madge, il y a un consensus sur le fait que les concepteurs ne peuvent pas ignorer les problèmes environnementaux. Par ailleurs, l’auteure affirme que l’adoption d’une approche écologique par le designer signifie remettre en question et s’opposer au statu quo. Dans ce contexte, le designer assume une implication plus critique par rapport aux problèmes environnementaux générés par les modes de production et consommation traditionnels. Selon Madge (1997), « la transition des termes “vert (vert)” à “éco” à “durable (sustainable)” dans le domaine du design représente un élargissement constant du champ d’application théorique et pratique et, dans une certaine mesure, une perspective de plus en plus critique sur l’écologie et le design » (p. 44). Dans les années 2000, Ezio Manzini, sociologue du design, auteur de plusieurs ouvrages et professeur italien, s’est positionné dans le champ de l’innovation sociale et du développement durable en utilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour faire travailler de manière collaborative toutes les parties prenantes d’un projet. Manzini (1994) souligne deux changements de perspective nécessaires pour faire face à l’évolution des enjeux environnementaux dans notre société. Le premier implique un changement par rapport à la question de l’environnement qui passe d’une critique minoritaire à un problème officiellement reconnu et inscrit à l’ordre du jour de tous les acteurs de la société, y compris le gouvernement. Le deuxième changement positionne la question environnementale au centre d’un phénomène plus vaste représenté par la crise généralisée causée par notre modèle économique capitaliste dominant et son développement depuis la révolution industrielle jusqu’à aujourd’hui.

Finalement, il y a eu Stuart Walker, professeur de design pour la durabilité et codirecteur du centre de recherche ImaginationLancaster17F

19 de l’Université de Lancaster, au Royaume-Uni. Selon Walker (2011), le véritable esprit

du design consiste à attribuer des références symboliques aux notions plus profondes de sens des objets quotidiens. En effet, le sens d’un objet dépasse ses caractéristiques physiques et fonctionnelles et peut comporter un sens plus profond de possession et de valeur. D’après Pantaleão (2017), le travail de Walker propose une « typologie esthétique » du design contemporain basée sur la sensibilisation et la promotion des nouvelles relations d’utilisation des objets, fondées sur la redéfinition de ses fonctions esthétiques et fonctionnelles en vue de concevoir des produits durables.

À la suite de la présentation de ce bref historique de certains auteurs clés dans la littérature ayant contribué à l’émergence de l’écoconception et à la responsabilisation des designers de produits face aux défis sociétaux, la

prochaine section consistera en une analyse des principales approches utilisées par le designer de produits visant la conception de produits compatibles avec le développement durable.

1.3 Les approches de conception/développement de produits s’inscrivant dans une démarche de