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Oublis, lapsus, actes manqués : erreurs et doctrine freudienne

7. L'erreur en psychanalyse

7.2 Oublis, lapsus, actes manqués : erreurs et doctrine freudienne

Dans l'ouvrage Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Freud écrit :

« Goethe a dit de Lichtenberg : « dans chacun de ses traits d'esprit il y a un problème caché ». On peut en dire autant des passages cités de mon livre : derrière chaque erreur, il y a quelque chose de refoulé ou, plus exactement, une absence de sincérité, une déformation reposant sur des choses refoulées. » Dans ce célèbre ouvrage, compilation d'exemples cliniques recueillis chez lui-même, ses patients ou des connaissances, Freud se consacre entièrement aux bévues du sujet, à « ces problèmes cachés », « ces choses refoulées ».

Le fait d'être publié dans la même période que l'ouvrage consacré à la Science des rêves, (1904) n’est pas anodin, tout comme le fait que L'introduction à la psychanalyse, (1917) s'ouvre sur les actes manqués et se prolonge à nouveau par une partie sur le rêve. C'est qu'il y a à voir, dans le rêve comme dans l'erreur, ce qui échappe du (au) sujet.

L’acte manqué est, au même titre que les symptômes ou les rêves, vu comme une formation de l’inconscient et la manifestation des nœuds névrotiques auxquels le sujet est confronté. Introduire la psychanalyse, en commençant par tout ce qui échappe, commencer par le ratage est donc un point essentiel.

Les actes manqués, lapsus

Pour Freud, ce sont les ratages : lapsus, oublis, ou actes, qui donnent des indices à la compréhension du sujet dans sa structure psychique. « Pour nous, ce sens n’est autre chose que l’intention qu’il sert et la place qu’il occupe dans la série psychique. Nous pourrions même, dans la plupart de nos recherches, remplacer le mot « sens » par les mots « intention » ou « tendance » .

Si l’on lui objecte que les lapsus sont affaires de ressemblances sonores avec le mot que l’on voulait dire, il précise que le lapsus va au-delà des similitudes, confusions, proximités linguistiques ou sonores (ce qui a néanmoins été l'objet d'études dans d'autres contextes), et qu'ils offrent une lecture qui laisse peu de place au hasard : la majorité des substitutions rentrant dans la catégorie du lapsus linguae sont inexplicables par ces lois de relations tonales. Quant à l'utilisation de mots plutôt que d'autres, ils parlent d'eux-mêmes. Ainsi ce sont parfois des pensées inacceptables, réprimées par la conscience, qui sont libérées par les lapsus.

Parmi bien d'autres, Freud donne l'exemple de « cet homme qui dédaigne les rapports sexuels dits « normaux » et qui dit, au cours d’une conversation où il est question d’une jeune fille connue

pour sa coquetterie : « si elle était avec moi, elle désapprendrait vite à koëttieren ». Il n’est pas difficile de voir que le mot koëttieren (mot inexistant), employé à la place du mot kokettieren (coqueter), n’est que le reflet déformé du mot koitieren (coïter) qui, du fond de l’inconscient, a déterminé ce lapsus.

Petites erreurs, grandes révélations

Par un infime écart de prononciation, il arrive que quelqu'un dise avec force le contraire de ce qu'il voulait dire. L'analyse délivre le sens de cette erreur, toujours inscrite à l'intérieur du contexte et du moment où elle a eu lieu. Pour Freud, il en est de même pour tous les ratés : « Les actes manqués ont un sens et indiquent les moyens de dégager ce sens d'après les circonstances qui accompagnent l’acte. »

Pour lui, aussi petites qu'elles puissent paraître, aussi infimes qu'elles puissent être jugées, les erreurs sont à explorer et détiennent un sens. « Ne méprisons pas les petits signes, ils peuvent nous mettre sur la trace de choses plus importantes. Lorsque vous vous livrez [...] à une enquête sur un meurtre, vous attendez-vous à ce que le meurtrier ait laissé sur le lieu du crime sa photographie avec son adresse, ou ne vous contentez-vous pas, pour arriver à découvrir l'identité du criminel, de traces souvent très faibles et insignifiantes ? »

Citons l'exemple du président de la Chambre des Députés autrichienne qui ouvre la séance d'un cinglant lapsus : « Messieurs, je constate la présence de tant de députés et déclare, par conséquent, la séance close. » L'hilarité générale que provoqua cette déclaration fit qu'il s'aperçut aussitôt de son erreur et qu'il la corrigea. L'explication la plus plausible dans ce cas serait la suivante : dans son for intérieur, le président souhaitait pouvoir enfin clore cette séance, dont il n'attendait rien de bon.

Quand ses détracteurs mettent les actes manqués sur le compte de l'inattention, la fatigue, ou l'excitation, Freud répond :

« Nous voyons que beaucoup d'actions réussissent particulièrement bien lorsqu'elles ne sont pas l'objet d'une attention spéciale, et que l'erreur peut se produire précisément lorsqu'on tient d'une façon particulière à la parfaite exécution, c'est à dire lorsque l'attention se trouve plutôt exaltée. On peut dire alors que l'erreur est l'effet de l'excitation. Mais pourquoi l'excitation altérerait-elle l'attention à l'égard d'une action à laquelle on attache tant d'intérêt ? ».

L'erreur se laisserait difficilement expliquer par la théorie psycho-physiologique, ou par la théorie de l'attention.

Une palette d'erreurs au quotidien

Les erreurs concernent le sujet qui oublie (les noms propres, les mots appartenant à une langue étrangère, les souvenirs, les impressions, les projets), qui commet des lapsus, erreurs de langage, ou encore d'écriture ou de lecture. On trouve également les erreurs d'audition, appelées lapsus auditifs, (Verhören) c'est à dire entendre une chose à la place d'une autre (bien entendu sans qu'il n'y ait de problème physiologique chez le sujet). Le lapsus auditif est une formation de l’inconscient peu investie par la littérature psychanalytique, identifiée par Freud mais passée sous silence dans la

Psychopathologie de la vie quotidienne et très rapidement évoquée dans l’Introduction à la psychanalyse. Clavurier (2013) voit dans le verhören le savoir-faire de l’analyste reposant sur une

forme d’entendre de travers, " de saisie d’une plurivocité du message de l’analysant." Il considère le « savoir-faire hören » ou « savoir-verhören » comme un savoir entendre de travers.

Ces erreurs se trouvent réunies autour d'une similitude lexicale : le préfixe ver– qui signifie « raté » , qu’on retrouve dans das Vergessen (oubli), das Versprechen (lapsus linguae), das Verlesen (erreur de lecture), das Verschreiben (lapsus calami), das Vergreifen (méprise de l’action), das Verlieren (fait d’égarer un objet). Selon Freud le sens de toutes ces erreurs vient de l'acte et de l'intention. Par exemple, sortir inconsciemment sa clé devant la porte du domicile d’un autre vient comme l'expression du désir de se sentir chez l’autre comme chez soi. Le sujet est un sujet qui agit, de façon erronée et significative. Freud montre que ces actes manqués sont, comme les symptômes, des « formations de compromis entre l'intention consciente du sujet et le refoulé ». (Laplanche et Pontalis, 2004)

L'acte manqué pourrait aussi acquérir une fonction utile. Freud en témoigne suite à son (célèbre) oubli du mot Signorelli : « Une fois dégrisés, nous approuvons ce mouvement interne qui, pendant que nous étions sous l'empire du désir, ne pouvait se manifester que par un lapsus, un oubli, une impuissance psychique. »

Oubli, erreurs et refoulement

Pour Freud, l'oubli d'un nom propre, et sa substitution par d'autres noms, représenterait un compromis entre ce que le sujet a oublié, et ce dont il veut se souvenir. Le souvenir n'est pas la mémoire. La mémoire, c’est ce qui a été oublié, voire ce qui n’a jamais été conscient et s’est inscrit comme empreintes, traces mnésiques, échos d’une jouissance à jamais inaccessible. Ces restes, ces résidus, comme Freud les appelle, sont des souvenirs qui « n’ont rien à voir avec la conscience. Les

plus intenses et les plus tenaces de ces souvenirs sont ceux laissés par des processus qui ne sont jamais parvenus à la conscience ».

Freud compare les souvenirs excessivement nets et anormalement clairs à des hallucinations, et montre qu’ils résultent d’un compromis : on se souvient d’autant plus, qu’on a besoin d’oublier autre chose.

A travers l'oubli d’une adresse, d’un objet ou tout autre oubli, Freud va poser l’hypothèse d’un refoulement, d'un quelque chose de désagréable, refoulé. Ce quelque chose qui peut-être désagréable peut aussi exprimer le désir refoulé : c'est l'exemple du gant oublié chez la personne aimée, manière peut-être d’oublier... pour la revoir. Dans ce cas, la question du désir qui est en jeu, mèle ce qu'il peut y avoir d'inconfortable, d'interpelant, dans le désir.

L’oubli peut être aussi ce qui surgit dans le champ de la réalité de ce que l’on ne voudrait surtout pas voir de nos désirs inconscients. C'est donc un surgissement qu'on est plus ou moins enclin à vouloir voir ou entendre, même quand il s'affiche ou « s'est dit », tant ces erreurs témoignent et questionnent les désirs, tout en « n'en voulant rien en savoir » .

L'oubli de noms peut avoir pour but d'assurer l'oubli d'un projet, d'une personne. Par exemple, « un monsieur Y aimait sans retour une dame qui ne tarda pas à épouser un monsieur X. Or, bien que Y connaisse depuis longtemps X et se trouve même avec lui en relations d'affaires, il oublie constamment son nom, au point qu'il est souvent obligé, lorsqu'il veut écrire à X, de demander son nom à des tierces personnes. » Dans ce cas, les motifs de l'oubli sont transparents, régis par la loi du rapport personnel. Ici l'oubli apparaît comme une conséquence directe de l'antipathie que Y éprouve à l'égard de son rival : il ne veut rien savoir de lui, et « qu'il ne soit pas question de lui. ».

La colère peut être la cause d'un oubli de noms également. C'est le cas de cette femme, qui, au moment de citer le nom d'une personne se retrouve « hors d'état de me le rappeler, tout en sachant que le porteur de ce nom était un de mes amis les plus intimes. En entendant, quelques jours plus tard, prononcer par hasard ce nom, je le reconnus aussitôt comme étant celui du démolisseur de ma théorie. La colère que, sans m'en rendre compte, je nourrissais à son égard, s'était manifestée par l'oubli de son nom, qui m'était cependant si familier. »

Les faux-souvenirs consistent à se rappeler un nom qui échappe, et retrouver dans sa conscience d'autres noms, des noms de substitution, reconnus aussitôt comme incorrects, mais qui n'en continuent pas moins à s'imposer obstinément.

Dans l'oubli se trouvent également les souvenirs d'enfance qui « doivent leur existence à un processus de déplacement [...] à des impressions réellement importantes, dont l'analyse psychique

révèle l'existence, mais dont la reproduction directe se heurte à une résistance. » Ce sont les souvenirs écrans, souvenirs qui « doivent leur conservation, non à leur propre contenu, mais à un rapport d'association qui existe entre ce contenu et un autre, refoulé. »

La doctrine freudienne qui fait de l'erreur un acté manqué, indice de lecture et révélateur de l'inconscient et de la structure psychique du sujet, oriente pleinement cette présente recherche.

Il s'agira :

- de chercher le sens de l'erreur d'Antoine comme acte manqué, dans son intention inconsciente, - d'analyser cette erreur et ses manifestations comme symptôme de la division du sujet, de voir de quoi il est le signe,

-de chercher le sens des lapsus, oublis, et actes manqués d'Antoine observés au cours des trois entretiens et de la séance de classe filmée, qui mettent à jour ce qu'il y a d'inconscient dans son rapport à l'erreur, et qui « justifient » son erreur (de ne pas utiliser l'erreur individuelle des élèves en classe).