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6. Concepts de psychanalyse

6.2 Le rapport au savoir

Les travaux menés autour de la notion du « rapport au savoir » se situent dans plusieurs champs de recherche.

- D'un point de vue sociologique, le rapport au savoir appréhendé d'après les travaux de Bourdieu (1976) porte sur les notions de « reproduction », d'« héritage », et de « transmission » d’un capital culturel des parents aux enfants : les différences sociales des parents détermineraient les différences scolaires. Dans cette optique, cela signifie que le rapport au savoir de la famille conditionne le rapport au savoir de l’élève et en détermine l'échec ou la réussite scolaire.

Dans cette lignée, on pourrait s'intéresser à la transmission du rapport à l'erreur au sein des familles, de parents à enfants comme héritage familial. Cette approche sociologique pourrait donner lieu à des recherches qualitatives et quantitatives.

Concernant ma recherche sur le rapport à l'erreur inconscient des enseignants, cette transmission familiale sera lue non pas dans un recul sociologique, mais plutôt envisagée dans ce qu'elle peut représenter comme empreinte inconsciente familiale.

Les enseignants qui n'utilisent pas l'erreur en classe garderaient-ils une trace inconsciente d'un rapport à l'erreur familial négatif ? Le rapport à l'erreur qui fait qu'un enseignant l'évacue de sa classe ne serait-il pas cette trace ?

Le rapport à l'erreur des parents serait-il un facteur déterminant la capacité de l’enseignant à l'utiliser à l'école ? De quelle(s) trace(s) familiale(s) le refus de l'erreur pourrait-il être le symptôme ?

- Dans le champ de la recherche microsociologique, les travaux de Charlot (1997) posent une dialectique entre intériorité et extériorité, entre sens et efficacité (Charlot, 2000). Ce champ définit le rapport au savoir par « l’ensemble organisé des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir : objet, « contenu de pensée », activité, relation interpersonnelle, lieu, personne, situation, occasion, obligation, liés en quelque façon à l’apprendre et au savoir » Charlot (1999). Il brise ainsi le déterminisme de l’approche sociologique du rapport au savoir en faisant de tout sujet auteur, et auteur seul de savoir, c’est-à-dire un individu qui se construit en se confrontant avec autrui et avec des objets culturels de savoir et à travers des projets personnels, des aspirations professionnelles et sociales.

En mettant en avant le rôle de l’interaction entre le social et l’individuel dans la construction du rapport au savoir, Charlot souligne le caractère dynamique et évolutif du rapport au savoir. Dans cette approche microsociologique, l’entrée du « rapport au savoir » se fait du côté du sujet psychosocial. Le rapport au savoir est envisagé sous trois angles :

-le rapport épistémique au savoir : apprendre, c'est s'approprier un objet, le savoir.

-le rapport identitaire au savoir : apprendre, c'est faire sens dans l'histoire personnelle du sujet. -le rapport social au savoir : apprendre, c’est faire écho dans l'histoire sociale du sujet.

Considérer le rapport à l'erreur selon ces points de vue, en les lisant à travers le filtre de l'inconscient questionne autrement :

développer un rapport à l'erreur plus ou moins favorable à son utilisation en classe ?

Quelle atteinte à l'identité imaginaire du Sujet, à l'image de soi, à celle qu'il veut donner aux autres, au Moi, à l'idéal du Moi, l'erreur porte-t-elle ? Cette atteinte serait-elle un facteur déterminant du rapport à l'erreur.

Quel valeur inconsciente le Sujet accorde-t-il à l'erreur, ses erreurs, celles des autres, dans son rapport aux autres ? Détermine-t-elle l'usage que l'enseignant en fait en classe ?

- Le courant anthropologique, avec les recherches de Chevallard (1992) se distingue des autres par l’intérêt qu’il porte au savoir, pour étudier la problématique du « rapport au savoir », et par la prise en compte de la relation qu’entretient un sujet ou une institution avec un objet de savoir.

Il existe deux grands types de rapports au savoir : des rapports individuels pour chaque individu et des rapports institutionnels pour chaque institution. Le terme institution couvre à la fois les structures scolaires (école, classe) et d’autres structures comme une famille particulière ou une profession. Un individu, comme une institution, connaît un objet s’il existe une relation, quelle qu’elle soit, entre cet objet et l’individu ou l’institution. Dans cet esprit, « apprendre un objet de savoir pour un individu revient donc à rendre conforme son rapport personnel avec cet objet au rapport institutionnel » (Chevallard, 1992).

Pour cette recherche, l'intérêt est de voir en quoi et comment le Sujet développe un rapport à l'erreur conforme ou pas à l'institution d'après ce qu'elle établit. Si ce n'est pas le cas, quelles peuvent en être les causes ?

Le rejet de l'erreur pourrait-il être, à ce titre, un rejet de l'institution ? Un rejet de ce qu'elle représente pour le Sujet ?

Le point de vue de ce travail étant que le rapport à l'objet erreur comporte une forte part d'inconscient, le champ de la clinique pourra permettre d'investir pleinement ce rapport personnel en tant que Sujet.

Le champ de la recherche clinique représenté par Beillerot, (1989) présente le rapport au savoir lié à son propre désir et désir de savoir.

« Apprendre, c’est investir du désir dans un objet de savoir » a écrit Freud (1925). Dans cette approche, le rapport au savoir réfère à un sujet désirant, avec ses dimensions conscientes et inconscientes.

De son côté Lacan (1954) dit que « Le désir du sujet est le désir de l'autre », cet autre est « symbolique », précise-t-il afin de se préserver des interprétations du désir en termes de relation sociale. Il dit aussi que « C’est de son désir que je suis la trace », jouant de l'homonymie « être » et « suivre ».

Dans ma recherche, analyser le rapport à l'erreur en classe à travers le désir du Sujet et son désir de l'autre peut être très éclairant. Les désirs inconscients « de l'autre » (élève, enseignant, parent, etc.) d'apprendre pour l'autre, de l'autre, pour séduire l'autre, le satisfaire pourraient-ils être constitutifs du rapport à l'erreur ?

Le rapport à l'erreur pourrait-il être déterminé par ce que le Sujet place en l'autre ? De quoi le désir, dans le rejet de l'erreur par l'enseignant est-il la trace ?

Si l'erreur s'oppose au savoir comme un défaut de savoir, ne pas utiliser l'erreur des élèves ne serait-il pas une manière de conserver le désir des élèves ? Désir de savoir, mais aussi, désir de l'enseignant envers ses élèves, désir des élèves envers l'enseignant, autrement dit, désir de l'autre ?

Le rapport au savoir dans le champ clinique est considéré à la fois comme produit et processus. Produit du fait que le rapport au savoir est influencé par des facteurs conscients et inconscients relatifs à la personnalité et à l’histoire du sujet (ses fantasmes, les mécanismes de défense, attentes, conception de la vie, rapports aux autres, l’image qu’il a de lui-même et celle qu’il veut donner aux autres) Processus en ce sens qu’il est le moteur de nouveaux apprentissages car le rapport au savoir est aussi « le processus par lequel un sujet, conscient ou inconscient, utilise ses savoirs acquis pour produire de nouveaux savoirs singuliers qui lui permettent d’appréhender le monde naturel et social qui l’entoure. »

Dans cette approche clinique, le « rapport au savoir » est vu du côté du sujet psychique. C'est l'entrée qui correspond à notre objectif de recherche sur le rapport à l'erreur. Il permet de faire le lien avec des concepts de psychanalyse permettant d'investir ce qu'il peut y avoir d'inconscient dans le rapport à l'erreur du Sujet, ou peut-être devrions-nous dire à du rapport à « l'erreur dans le savoir ».

Si apprendre « c'est investir du désir dans un objet de savoir », et que l'erreur permet d'apprendre, pour quelle(s) raison(s) le Sujet rejette-t-il ce qui est susceptible de mieux accéder au savoir ? Au nom de quoi rejette-t-il l'erreur ? En quoi l'erreur reconnue utile aux apprentissages devient-elle embarrassante ?