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Les origines de l’IMFL à l’Institut de Physique (1929-1933)

2.2 L’institutionnalisation de la mécanique des fluides à Lille.à Lille

2.2.2 Les origines de l’IMFL à l’Institut de Physique (1929-1933)

Nous avons vu dans le paragraphe ci-dessus que la faculté des sciences de Lille a été très claire dans le choix de confier à Kampé de Fériet la direction de l’Institut. Le parcours académique de Kampé de Fériet est un cas assez particulier parce que même s’il n’était ni un normalien, ni un polytechnicien, ni agrégé il a obtenu très

55. Allocutions prononcés par Chatelet le 23 juin 1932 [Archives de l’ONERA Lille].

56. L’histoire de l’institut de mécanique des fluides de Marseille reste moins connu par rapport aux instituts. Toutefois, quelques éléments sont fournis par Jacques Valensi, directeur de l’institut pendant les années 1950, dans son discours prononcé lors des Journées de Mécanique des fluides (Marseille 1952) qui sera par la suite publié dans le volume 296 de "Publications scientifiques et technique du ministère de l’Air".

vite une considérable position institutionnelle. La preuve en est qu’il a soutenu sa thèse de doctorat à la Sorbonne à l’âge de 22 ans et il était un jeune maître de conférence quand il a été nommé directeur de l’IMFL.

Cet aspect devient encore plus intéressant si nous pensons aux parcours aca-démiques des autres directeurs des instituts de mécanique des fluides. Joseph Pérès, agrégé et docteur en sciences mathématiques, fut un élève de l’École Nor-male Supérieure (promotion de 1908)57. Charles Camichel, est reçu à l’École Polytechnique et à l’École Normale en 1889 (à l’âge de 18 ans) où il suit le cours de Brillouin et il reçoit une solide formation en physique théorique qui influence ses premières recherches. Il est reçu également à l’Agrégation de Physique en 1892. Enfin, Henri Villat, normalien (1899) et docteur ès sciences mathématiques, revêt une autorité scientifique et institutionnelle toujours croissante après sa thèse mathématique en mécanique des fluides pour la réalisation de laquelle il prend contact avec des grands spécialistes du domaine comme Boussinesq et Brillouin. En 1919, après l’expérience de Caen et Montpellier, il fut nommé professeur de mécanique rationnelle à la Faculté des Sciences à Strasbourg. Ici, il enseigne des sujets d’hydrodynamique et s’investit fortement dans la pédagogie de la méca-nique des fluides théorique [Aubin 2006]. Entre-temps, il fréquente et collabore avec le milieu parisien des chefs mathématiciens et physiciens (Picard, Appell, Brillouin et Koenigs) et il obtient des postes importants dans l’édition scientifique : rédacteur et puis directeur duJournal de mathématiques pures et appliquées (1921),

directeur des Nouvelles annales de mathématiques pures et appliquées (1922), et

fondateur et directeur de deux collectionsMémorial des sciences mathématiques

etMémorial des sciences physiques. En 1925-1936, tandis que la mécanique des

fluides parisienne trouvait son plein élan suite à la création de la chaire, Villat eut la grande opportunité d’être nommé à la Sorbonne en tant que chargé de deux séries de conférences à la fois dans la chaire de Painlevé et à l’École nationale supérieure aéronautique. C’est dans ce contexte que, grâce aussi au réseau parisien qu’il a tissu et le soutien de Painlevé dans sa candidature, il est nommé directeur de l’institut de mécanique des fluides de Paris. Pour ce qui concerne les autres villes, à Strasbourg la chaire de mécanique des fluides fut confiée à un mathé-maticien normalien et élève de Villat, René Thiry (1886-1968) alors qu’à Poitiers le titulaire de la chaire fut Georges Bouligand (1889-1979), un autre

mathémati-57. Joseph Pérès (1890-1962) se consacre totalement à la recherche en mathématiques pures jusqu’au moment où il sera nommé professeur de mécanique rationnelle et appliquée à Marseille (1921). Il s’intéresse à la mécanique des fluides seulement quelques années plus tard, après qu’il est devenu directeur de l’institut de mécanique des fluides de Marseille. Ici, ses recherches concernent la dynamique des fluides visqueux, le problème de la résistance d’un fluide, la théorie des tourbillons, et le calcul expérimental analogique, dont il devient un grand spécialiste au niveau international.

cien reçu à la fois à l’école polytechnique et à l’école normale supérieure en 190958. Étant donné ce contexte, il devient légitime se demander pourquoi le choix de Kampé de Fériet et quels éléments scientifiques et institutionnels ont-ils influencé ce choix.

En premier lieu, un facteur décisif fut sa mobilisation à la Commission de Gâvre où il a familiarisé avec la mécanique des fluides et les questions expéri-mentales, comme nous avons vu dans le premier chapitre. Outre à la faculté des sciences, même Henri Villat appréciait ses premières travaux de balistique59.

Ensuite, il faut aussi considérer également le rapport entre lui et le recteur de l’université de Lille, Albert Châtelet. Mobilisés tous les deux à Gâvre, ils se sont retrouvés à Lille après la guerre : Kampé de Fériet maître de conférence de mécanique rationnelle à la faculté des sciences de Lille (1919) et professeur de mécanique à l’IDN (1920)60; Châtelet maître de conférence de mathématiques générales (1919) à la faculté des sciences et professeur de mathématiques spéciales à l’IDN (1919)61. Leur collaboration scientifique se concrétisera plus tard dans la publication d’uncours de calcul vectoriel relatif à l’année 1920-1921, c’est-à-dire

d’un cours intermédiaire entre l’enseignement de mathématiques générales de Châtelet et celui de mécanique rationnelle de Kampé de Fériet.

En dernier lieu, un autre facteur marquant concerne le degré d’importance d’un domaine de recherche en fonction de la période dans laquelle est envisagée. A titre d’exemple, prenons le cas de Louis Bachelier (1870-1946). Ce mathématicien avait soutenu en 1900 une thèse à la Sorbonne intituléeThéorie de la spéculation.

Sa thèse fut très originale à l’époque parce qu’il montre pour la première fois l’utilisation du mouvement brownien pour évaluer les options financières, ce qui anticipe les travaux de Wiener. Malgré son audace, son travail ne fut pas bien reçu à cause des ses applications dans une zone encore inconnue et exotique pour les mathématiciens. Sa mention honorable au lieu de très honorable lui ferma les portes de l’université [Murad 2001]. Seulement Poincaré, l’un des rapporteurs a su apprécier son originalité. Toutefois, à l’étranger ses travaux furent appréciés, notamment par l’école russe de Kolmogorov. A propos de lui, Mazliak écrit :

"N’étant ni normalien, ni polytechnicien - autant dire rien du tout - il

58. Par contre nous ne savons pas qui sont les titulaires des chaires de Nantes, Lyon et Caen. 59. A ce propos, voir le premier chapitre.

60. En 1929, le poste de maître de conférence en mécanique de Kampé de Fériet sera confiée, sera confié à Robert Mazet (1909-1991), le futur fondateur du laboratoire de mécanique expérimentale à Lille.

se heurta à une indifférence un peu méprisante, notamment de la part de Levy qui ne voulut jamais l’écouter, avant de se rattraper in extremis à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale pendant laquelle il avait enfin pris connaissance des travaux de Bachelier, un an avant la mort de celui-ci (1946), dans un acte de repentance assez impressionnant où il demande de lui pardonner l’injustice de son premier jugement " [Mazliak 2006, 12].

Pendant sa vie, il ne reçoit que des bourses occasionnelles pour poursuivre ses études (sur recommandation d’ Émile Borel (1871-1956)) et il donne des confé-rences à la Sorbonne en tant que professeur gratuit entre 1909 et 1914. C’est seulement à l’âge de 57 ans qu’il aura un poste fixe à Besançon.

Comme Bachelier, Kampé de Fériet n’est ni normalien ni polytechnicien mais il choisit ses domaines d’intérêt dans des moments où ils jouissent d’une certaine im-portance. En 1915 il soutient une thèse en analyse, domaine dominant à l’époque et pour laquelle il obtient une mention très honorable. C’est seulement pendant et surtout après la guerre qu’il se lance vers la mécanique des fluides, dans un climat rendu très favorable grâce à l’Aéronautique et à l’impulsion de Paul Painlevé ainsi qu’aux recherches académiques de Henri Villat et Marcel Brillouin.

2.3 Les dix premières années de l’IMFL sous la