• Aucun résultat trouvé

Le caractère hétérogène du personnel de direction

2.3 Les dix premières années de l’IMFL sous la direc- direc-tion de Kampé de Fériet (1929-1939)

2.3.2 Le caractère hétérogène du personnel de direction

Du 5 au 8 avril 1934, une première et importante occasion se présente à L’IMFL pour discuter et négocier d’éventuels accords avec les industriels, à savoir les Journées Scientifiques et Techniques de mécanique des fluides. Mieux encore, elles représentent la première grande rencontre entre les divers centres de mécanique des fluides de la France [Figure2.9].

Cet événement fut organisé par la Section Lille-Roubaix-Tourcoing de la So-ciété des ingénieurs Civils de France en collaboration avec l’IMFL. Leur but était de faire un congrès traitant des problèmes de physique des fluides et de leurs ap-plications industrielles, à l’occasion de la Foire commerciale d’Avril 1934. Quand

la section a appris que la séance solennelle d’inauguration de l’IMFL aurait lieu durant la même période, elle a immédiatement pris contact avec Kampé de Fériet pour unifier les deux événements. Le mathématicien accepte avec enthousiasme cette proposition et, immédiatement, il demande une autorisation au ministre de l’Air.

Ainsi, sous le patronage du ministre de l’Air V. Denain et du président de la Société des ingénieurs Civils de France, un comité d’organisation fut par la suite créé en vue de préparer l’événement, qui comprenait : M. de Fréminville, Kampé de Fériet, P. Gadenne (président de la Section Lille-Roubaix-Tourcoing de la So-ciété des ingénieurs Civils de France) , P. Crepelle (Ancien président) et H. Neu (ex directeur général des établissements de ventilation Neu), et J. Caroni (secrétaire de la Section Lille-Roubaix-Tourcoing de la Société des ingénieurs Civils de France). Les Journées comptèrent environ 250 adhérents, en réunissant des personnalités représentant les milieux universitaire, industriel, régional et national. Parmi eux, étaient présents L. Bréguet (administrateur délégué de l’Aviation) L. Couhé (Di-recteur Aéronautique Civile), H. Potez président de la Chambre Syndicale des industries Aéronautiques et administrateur général des Établissements Potez à Meaulte) et des représentants d’autres industries intéressant l’aéronautique, J. Cavalier (directeur de l’Enseignement supérieure) A. Châtelet (recteur de l’Uni-versité de Lille), A. Maige (doyen de la Faculté des Science de Lille), R. Soreau (Président de la Fédération Nationale Aéronautique), A. Caquot (directeur général honoraire de l’Aéronautique), A. Lapresle (chef de la Section Aérodynamique du service des recherches de l’Aéronautique) et des personnalités de la Ville de Lille, de la Chambre de Commerce, de la Société industrielle du Nord de la France et de la Fédération des Aéro-Clubs du Nord, .

Cependant, nous sommes loin de dire que les liaisons entre l’IMFL et l’indus-trie étaient inexistants avant les journées de mécanique des fluides, c’est à dire dans les locaux de l’institut de physique. Elles étaient déjà consolidées bien que dans une échelle plus petite. En effet, comme les autres instituts de sciences ap-pliquées que nous avons mentionnés auparavant, l’IMFL était doué d’un Conseil d’Administration (CA), un organisme qui comprenait des membres représentant la faculté des sciences, l’industrie, la région et la Ville de Lille. Le conseil permettait à l’institut d’être en contact direct avec la société et de lui rendre des services, ce qui lui permettait d’avoir une certaine autonomie envers l’état et l’université et de recevoir les subventions locales nécessaires au fonctionnement de son activité. En 1930 le conseil comprenait : Châtelet (président), Maige (vice-président), Kampé de Fériet (secrétaire) et d’autres membres : M. Genet (directeur de l’IDN), Gallissot, (directeur de l’observatoire astronomique), Swingendauw (directeur de l’institut

électromécanique), des personnalités représentant le ministre de l’Air, la faculté des sciences, l’enseignement technique, des personnalités régionales (Municipalité de Lille, le Conseil Général du Nord, la chambre de commerce), des associations aéronautiques régionales et les industriels. Henri Villat (membre d’honneur) fut un membre du conseil, dans le rôle de celui qui a aidé le ministre dans l’élabora-tion de son programme nal’élabora-tional. Parmi les personnalités industrielles et membres du CA, il y en a deux qui se distinguent pour leur longue et constante collabora-tion avec Kampé de Fériet, jusqu’à la fin de sa direccollabora-tion : Henri Potez et Henri Neu. Le premier était le chef et fondateur d’une importante entreprise française de construction d’avions installée à Meaulte ; elle profitera à partir de 1934 des souffleries de l’IMFL pour réaliser ses essais de prototypes. Le deuxième était à la tête d’un établissement de ventilation et de conditionnement de l’air qui exploitera outre la grande soufflerie, la station des essais des ventilateurs. Kampé de Fériet juge précieuse leur présence pour la vie de l’institut :

"Dès maintenant je me permets d’attirer l’attention des membres du conseil sur l’aide efficace qu’ils peuvent nous apporter, en faisant connaître, dans la Région du Nord, ce que notre outillage scientifique est susceptible de faire pour de multiples industries. M. Henry Potez et M. Henri Neu, en inaugurant les premières relations suivies de l’Indus-trie avec l’Institut, se sont acquis notre profonde gratitude ; qu’ils me permettent de joindre à l’expression renouvelée de cette reconnaissance le souhait que l’échange soit fructueux pour tous, alimentant nos cher-cheurs en problèmes intéressants et renforçant encore le rayonnement de leur maison, dont les bureaux d’études sont toujours à l’avant-garde du progrès"79

Au-delà de ceci, leurs ingénieurs apportèrent leur aide lors de la construction de l’outillage scientifique de l’IMFL. Par exemple, le diffuseur et le ventilateur furent réalisés grâce au directeur actuel de la Maison Neu, R. Chappuis.

Sur un autre niveau, les journées furent un important moment d’échanges scientifiques entre les divers spécialistes de la mécanique des fluides de la France, ce qui renforce les liens entre les instituts et jette les bases d’une future commu-nauté scientifique de mécanique des fluides en France. Parmi les conférenciers, les savants et les ingénieurs des autres pôles de mécanique des fluides furent nombreux80. Par exemple, en ce qui concerne le pôle de Paris, D. Riabounchinsky avait présenté une communication sur les théories de l’hélice propulsive alors que

79. Conseil d’administration du 23 mai 1933, [Archives de l’ONERA Lille].

80. Voir la liste des conférenciers, adhérents, et communications dans le fascicule publié par le comité technique sous le titreLes Journées Scientifiques et Techniques de Mécanique des fluides ,

l’exposé d’H. Bénard portait sur ses tourbillons cellulaires et celui du directeur de l’Institut Saint-Cyr, A.Toussaint, portait sur l’influence des limitations d’une veine rectangulaire sur les caractéristiques des ailes sustentatrices81. De Toulouse, C. Camichel avait parlé des régimes transitoire et hydrauliques et A. Tenot des hélices à pales fixes hydrauliques. De Marseille, ce sont les étudiants de A. Marchand qui présentèrent deux communications : J. Valensi parla d’une étude de l’écoulement de l’air autour d’une hélice et A. Favre des spectres d’ailes dans le canal hydro-dynamique. Quant aux pôles plus petits, le titulaire de la chaire de mécanique des fluides de Strasbourg, R. Thiry, présenta avec son collaborateur L. Sackmann un exposé sur les liens qui existent entre les écoulements entre glaces parallèles et les écoulements théoriques à deux dimensions alors que J. Luneau, assistant de mécanique des fluides rattaché à la chaire de Nantes, parla de l’influence de l’accélération sur la résistance de l’air autour des ailes. H. Villat et A. Marchand ne présentèrent pas de communication mais furent présents ainsi que L. Toretti de la Faculté des Sciences de Caen. Il y avait même deux professeurs provenant de l’étranger : Nokkentwed de l’École Polytechnique de Copenhague et Frédéric Haus, ingénieur aéronautique de Gand. Cette ouverture aux instituts de étranger se manifeste également dans la circulation de leurs publications non seulement en France mais aussi en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, aux États-Unis etc. (cf. annexeE).

Figure 2.9 – La photo souvenir des adhérents aux "Journées Scientifiques et Techniques de Mécanique des Fluides" (Lille, 1934)[Archives de l’ONERA Lille].

2.3.5 L’enseignement. Un équilibre entre théorie,

expérimenta-tion et pratique

Dans la logique du renforcement du côté expérimental de la mécanique des fluides au sein du milieu de la formation, le ministre de l’Air établit un programme d’enseignement qui prévoit que les cours théoriques soient bien proportionnés aux cours expérimentaux et aux travaux pratiques. En particulier, à Lille, la gestion de l’enseignement fut confié au personnel de direction. Plus précisément, l’enseigne-ment de la mécanique des fluides théorique fut conféré à Kampé de Fériet, en tant que titulaire de la chaire de mécanique des fluides, alors que Martinot-Lagarde, en tant que maître de conférence de mécanique des fluides, assurait la direction des travaux pratiques des élèves ainsi que l’enseignement du cours de mécanique des fluides expérimentale et Aérodynamique appliquées à l’Aviation. Les cours et/ou les manipulations s’adressaient aux élèves de la faculté des sciences, de l’IDN, de l’École des Arts et Métiers et de l’Institut Électromécanique (ex-institut électrotechnique) [Table2.2].

la Licence préparant le Certificat de Mécanique des Fluides ainsi que les étudiants d’un niveau supérieur préparant le Certificat d’Aérodynamique et Hydrodyna-mique Supérieure (équivalent au diplôme d’études supérieures). De même, un Diplôme d’Université de Mécanique des fluides était disponible pour les étudiants qui ne possédaient pas le titre universitaire requis pour la Licence ès Sciences mais qui en même temps aspiraient à accéder au personnel technique de l’Aéronautique. Dans tous les autres cas, les élèves de troisième année de l’École des Arts et Métiers effectuaient des manipulations dans les laboratoires de l’institut à partir du 1er

janvier 1935 alors que ceux de l’institut électromécanique ne suivaient que le cours de mécanique des fluides expérimentale, sans postuler à aucun diplôme. Quant à l’IDN, l’institut créa une section d’aéronautique en 1932, spécialement pour les élèves intéressés par les cours de mécanique des fluides de l’IMFL. La section d’aéronautique de l’IDN

Lors de la séance du Conseil d’Administration du 2 juin 1930, Kampé de Fériet proposa un accord entre l’IMFL et l’IDN pour permettre aux élèves-ingénieurs de participer aux cours de mécanique des fluides. Ainsi, une nouvelle section avec mention "Mécanique-Aéronautique" fut adjointe aux autres sections existantes comme option de la troisième année (Mécanique-textile, Électricité, Chimie indus-trielle et agricole). De plus, le Diplôme d’Ingénieur avec cette mention donnait droit à l’entrée directe en deuxième année de l’École Supérieure d’Aéronautique82

et plus généralement permettait de former des élèves-ingénieurs qui pouvaient être facilement recrutables par le ministre de l’Air pour son personnel technique83 . Cette solution fut donnée par Kampé de Fériet pour répondre aux intérêts des élèves de 3e année de l’IDN qui désireraient effectivement suivre les cours de mécanique des fluides. En fait, au début du cours de la rentrée 1929-1930 les auditeurs étaient au nombre de 12 mais après trois semaines ils étaient réduits à la moitié parce que ce cours ne pouvait rien ajouter au programme déjà chargé de leur école. Les élèves de 3ème année de la section aéronautique de l’IDN suivaient à l’IMFL les cours de mécanique des fluides théorique, expérimentale et appli-quées à l’Aviation. En plus, à partir de 1935, il y a aussi une extension du service de l’enseignement aux élèves de deuxième année de l’IDN, lesquels pouvaient effectuer 20 manipulations auprès du laboratoire de l’institut.

En outre, la collaboration entre l’IDN et l’IMFL fut possible grâce aussi à Albert Châtelet, qui avait renforcé les liens entre la Faculté des Sciences et l’IDN à la fin des années vingt, en modifiant l’organisation des études. Selon ces modifications,

82. Association des ingénieurs de l’Institut industriel du Nord, Annuaire 1933 [Archives de l’Association des Centraliens de Lille].

les élèves ingénieurs devaient être immatriculés à la Faculté des Sciences à partir du mois d’octobre 1929 et en dernière année ils pouvaient se spécialiser dans les instituts de la faculté84. De plus, si d’un côté les professeurs donnaient certains cours techniques à l’IDN, de l’autre côté les étudiants suivaient la plupart des cours théoriques à la Faculté des Sciences (mathématiques, physique, chimie, mécanique rationnelle et appliquée)85.

Le programme des cours de l’IMFL

La structure du programme prévoyait un enseignement de base et un enseigne-ment compléenseigne-mentaire. L’enseigneenseigne-ment de base était destiné aux élèves préparant la Licence et à ceux préparant le Diplôme d’Université de mécanique des fluides ; son programme, défini par Villat et Caquot, était le même dans tous les pôles de mécanique des fluides. Sur la base de ce programme, nous pouvons noter une proportion bien équilibrée entre théorie, expérimentation et pratique. En effet, les 25 leçons annuelles de mécanique des fluides théorique étaient accompagnées par autant de leçons de mécanique des fluides expérimentale et 25 leçons d’aérodyna-mique appliquées à l’aviation (cf. annexeD). Ces enseignements étaient suivis par les élèves de la Faculté des Sciences et les élèves de l’IDN. De plus, chaque semaine le cours prévoyait une leçon de mécanique théorique, une leçon de mécanique expérimentale, une leçon d’aérodynamique appliquée à l’aviation, une conférence d’application et une séance de travaux pratiques. En revanche, l’enseignement complémentaire comprend un cours d’Aérodynamique et Hydrodynamique supé-rieure, dont le niveau, plus élevé, est destiné aux élèves de la Faculté des Sciences candidats à l’Agrégation et aux futurs chercheurs. Le cours peut changer dans les différents pôles de mécanique des fluides. A Paris par exemple, le certificat supérieur offrait une option de mathématiques, de mécanique des fluides et d’hy-drodynamique visant à attirer surtout les normaliens et les meilleurs élèves de Sup’Aéro [Fontanon 2017].

A Lille, le cours change chaque année en se focalisant sur l’étude d’un chapitre différent de la mécanique des fluides. En lisant les rapports contenus dans les Annales de l’Université de Lille, pour l’IMFL nous avons trouvé les enseignements complémentaires suivants :

1. Le fluide visqueux 1930-1931

2. Les théories modernes de la résistance des fluides 1931-1932

3. Recherches récentes sur les régimes d’écoulement de l’air 1932-1933

84. Conseil de l’université, séance 15 octobre 1929, [Archives Départemental du Nord, 2T640.] 85. Association des ingénieurs de l’Institut industriel du Nord, Annuaire 1936 [Archives de l’Association des Centraliens de Lille].

4. Étude de la turbulence atmosphérique 1933-1934

5. Étude de la turbulence atmosphérique, recherches théoriques et expérimen-tales 1934-1935

6. Thermodynamique de l’atmosphère 1935-1936 7. ? 1936-1937

8. Mécanique statistique de la turbulence 1937-1938 9. Le spectre de la turbulence 1938-1939

Nous pouvons remarquer qu’à partir de 1933, les enseignements convergent vers la théorie de la turbulence, sujet de prédilection de l’IMFL pendant la direction de Kampé de Fériet. Le cours d’Aérodynamique et Hydrodynamique supérieure semble donc représenter l’identité de certains des instituts du ministre de l’Air.

Nombre d’étudiants participants aux cours ou aux manipulations

Année Cours de base Cours

supé-rieur sectionronautique aé-IDN

École des Arts et Métiers 1929/30 5 4 5 0 1930/31 7 1 N.C N.C 1931/32 7 6 5 0 1932/33 10 6 4 0 1933/34 8 10 5 0 1934/35 10 9 6 94 1935/36 3 11 7 72 1936/37 6 12 28 67 1937/38 8 1 N.C 50 1938/39 12 2 60 21

Tableau2.2 – Tableau du nombre d’étudiants qui suivent les cours de l’IMFL où ils participent aux manipulations. Dans la première colonne, il y a le nombre d’élèves qui ont suivi les enseignements de base de la mécanique des fluides, no-tamment ceux préparant le certificat de licence de mécanique des fluides (Faculté des Sciences) et le diplôme d’université. Dans la deuxième colonne, il y a les étudiants de la faculté des sciences qui ont suivi les cours d’aérodynamique et hydrodynamique supérieure. Enfin, dans les troisième et quatrième colonnes, il y a respectivement le nombre d’élèves-ingénieurs de la section aérodynamique et le nombre d’élèves de l’ École des Arts et Métiers participant aux manipulations. Nous avons fait ce recueil de données grâce aux rapports de Kampé de Fériet sur l’IMFL, contenus dans les Annales de l’Université.