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Chapitre 1 : Essais d’introduction diastéréosélective de la chaîne éthyl-3-furyle via

I.2 Origines de la réduction de Birch alkylante :

Cette réaction a ensuite été appliquée à la réduction d’éthers phénoliques en cétones α,β-insaturées (énones), pouvant être elles-mêmes réduites en cétones saturées (Schéma 30).55 Ce type de chimie est fortement utilisé à cette époque du fait du plein essor de la chimie des stéroïdes.

Schéma 30 : Réduction de Birch d’un éther phénolique en énone, puis d’une énone en cétone d’après Wilds et Nelson.

I.2.1 Mécanisme réactionnel de la réduction de Birch pour une énone cyclique :

Le mécanisme réactionnel de réduction d’une énone en cétone est le suivant (Schéma 31). Le contre-ion métallique n’a pas été indiqué pour des raisons de clarté.

54 Zimmerman, H. E. Acc. Chem. Res. 2012, 45, 164–170.

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Schéma 31 : Réduction de Birch de la cholest-5-en-7-one selon Barton et Robinson.

Un premier électron s’additionne sur la double liaison avec délocalisation des électrons pour former un radical anion, puis une seconde addition d’électron a lieu afin de former le dianion. Celui-ci est ensuite protoné par l’ammoniac au niveau de sa position la plus basique, pour former l’énolate. Il est important de noter que la protonation peut se faire par l’ammoniac tel que présentée ci-dessus, mais celle-ci n’est parfois pas complète pour certains substrats : une source extérieure de protons (telle qu’un alcool ou de l’aniline ou encore de l’eau) peut être ajoutée au milieu réactionnel. L’énolate n’est quant à lui pas assez basique pour être protoné par l’ammoniac, il le sera lors de l’hydrolyse de la réaction et conduira à la cétone.

Barton et Robinson sont les premiers à s’être intéressés à la stéréospécificité de cette réaction en assurant que la protonation s’effectue de façon stéréospécifique pour former le produit thermodynamique.56 Stork, n’étant pas satisfait de cette rapide conclusion, a décidé de compléter leurs investigations.

I.2.2 Considérations sur la stéréospécificité de la réduction de Birch d’une énone cyclique:

En 1960, Stork effectue une étude plus complète afin d’expliquer les résultats empiriques de Barton et Robinson à propos de la stéréospécificité de la protonation de l’énolate, concernant des énones bicycliques.57 En effet, Barton et Robinson expliquaient la stéréospécificité de la protonation par la formation du produit thermodynamique (le plus stable).

Pour ce faire, Stork s’est intéressé à la réduction de l’octalone A (Schéma 32).

56 Barton, D. H. R.; Robinson, C. H. J. Chem. Soc. 1954, 3045–3051.

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Schéma 32 : Réduction de l’octalone A et considérations mécanistiques proposées par Stork en 1960.

Dans cet exemple, le produit thermodynamique correspond à la cis-décaline C. La représentation spatiale III.c. de la cis-décaline l’illustre bien puisque le méthoxy en position 3 et le méthyle angulaire sont en positions équatoriales ce qui conduit à une molécule de plus basse énergie. En suivant le raisonnement de Robinson et Barton, le produit de la réaction devrait donc être le produit thermodynamique : la cis-décaline C. Cependant, lorsque la réduction est effectuée dans les conditions de Birch (Li, ammoniac, alcool (H+)), la trans-décaline B est exclusivement obtenue.

Stork s’est alors intéressé à la configuration géométrique de l’intermédiaire carbanion (dianion). Si celui-ci conservait sa géométrie trigonale plan telle que pour l’énone, la protonation pourrait s’effectuer d’un côté comme de l’autre et conduire au mélange des produits cis et trans-décalines, ce qui n’est pas le cas. Le carbone C(10) est donc tétrahédrique et l’intermédiaire peut alors être représenté selon les structures I, II et III. Dans le cas des structures I et II, l’orbitale p de l’anion est placée de telle façon qu’elle permet le recouvrement orbitalaire avec les orbitales du système conjugué de l’énolate, et conduit à la protonation en position axiale. En revanche, la représentation III conduisant à la formation du produit cis-décaline ne permet pas de recouvrement orbitalaire.

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47 Cet intermédiaire réactionnel est donc beaucoup moins stable que les intermédiaires I et II. Enfin, bien que les intermédiaires I et II permettent tous les deux un recouvrement orbitalaire, l’intermédiaire II, conduisant lui aussi au produit cis-décaline, est moins stable que l’intermédiaire I de par la proximité électronique de l’orbitale p et le méthyle angulaire. L’intermédiaire de réaction le plus stable et favorable est donc l’intermédiaire I conduisant au produit trans-décaline.

Stork a par la suite énoncé la règle selon laquelle « le produit de réduction de Birch d’une énone est l’isomère le plus stable parmi les deux isomères ayant le proton nouvellement introduit en position axiale ».58 Autrement dit, le produit correspond à celui issu de l’intermédiaire réactionnel de conformation la plus stable (de plus basse énergie).

Ce modèle sous-entend deux hypothèses :

- Le carbone C(10) acquiert sa fonction de carbanion sans forcément subir une protonation concomitante de l’ammoniac.

- Ce carbanion peut être potentiellement neutralisé en position axiale ou équatoriale, ce qui signifie que les états de transitions I et II sont en équilibre.

Stork a pu confirmer ces hypothèses dans un second article où il synthétise le cyclopropane 82 intramoléculairement via l’état de transition II (Schéma 33).59 Cette réaction prouve le caractère carbanionique du dianion qui réagit sur le groupement méthyl-tosylate en position 5 plutôt que d’être protoné. Bien que la conformation I soit la plus stabilisée, la formation du cyclopropane 82 permet de déplacer l’équilibre entre les conformations I et II en faveur de la conformation II.

Schéma 33 : Formation intramoléculaire du cyclopropane Y.

Stork et Darling réexpliquent ensuite ce modèle en 1964 en utilisant une nouvelle décalone et confirment le fait que le produit formé n’est pas le produit final le plus stable, mais celui issu de l’état de transition le plus favorisé parmi ceux qui maintiennent le recouvrement orbitalaire entre le carbanion et l’énolate lithié.60 Bien que dans la plupart des cas le produit final répondant à ces critères soit le produit trans-décaline, il est important de toujours étudier en détail les intermédiaires réactionnels, comme l’illustre l’exemple suivant (Schéma 34).

58 Traduit de l’anglais de J. Am. Chem. Soc. 1960, 82, 1512–1513

59 Stork, G.; Tsuji, J. J. Am. Chem. Soc. 1961, 83, 2783–2784.

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Schéma 34 : Exemple de réduction de Birch d’une énone polycyclique rigide conduisant au produit cis-décaline.

Dans ce cas, les deux conformations I et II sont les seules permettant le recouvrement orbitalaire entre l’orbitale p et l’énolate. Même si à première vue la configuration I semble être la plus stable, le cycle C est d’une conformation « bateau », générant une forte interaction entre le méthyle en position 18 et l’hydrogène en position 9 (jonction de cycle B/C), tandis que les carbones C(7) et C(15) forment un arrangement butane éclipsé très défavorable. C’est donc par la conformation twistée II que va préférentiellement s’effectuer la protonation, conduisant ainsi au produit cis-décaline.

Finalement, le modèle de Stork selon lequel la réduction d’une énone cyclique en conditions de Birch conduit au stéréoisomère dont l’état de transition permis par un recouvrement orbitalaire de l’orbitale p du carbanion avec les orbitales π de l’énolate est le plus stable (le moins haut en énergie) est valide. L’équipe de Stork s’est ensuite intéressée à l’alkylation de ces énolates issus de la réduction de l’énone, en ajoutant un électrophile avant l’hydrolyse de la réaction. Cette variante est alors appelée « réduction de Birch alkylante ».