• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Introduction diastéréosélective de la chaîne éthyl-3-furyle via une

I.2 Mécanisme réactionnel :

Un premier mécanisme est proposé dès 1973 par Mukaiyama, selon lequel le TiCl4 effectuerait d’abord une transmétallation avec le silicium afin de former l’énolate métallique puis coordinerait également l’aldéhyde de manière à former une espèce chélatée (Schéma 183).

Schéma 183 : Premier mécanisme postulé par Mukaiyama (1973).

Ce mécanisme a ensuite été révisé par Mukaiyama dès 1974, suite à son étude de préparation de thiovinyl éthers227 à partir d’aldéhydes activés par le TiCl4 et du sulfure de vinyle. C’est un mécanisme d’aldolisation totalement concerté qui est alors proposé et qui est toujours admis aujourd’hui (Schéma 184).

Chapitre 3 : Introduction diastéréosélective de la chaîne éthyl-3-furyle via une stratégie d’aldolisation de Mukaiyama

151

Schéma 184 : Second mécanisme postulé par Mukaiyama (1974).

L’acide de Lewis est capable d’activer l’électrophile tandis que le contre-ion active l’énolate silylé, permettant l’attaque nucléophile sur le carbonyle et la formation d’une nouvelle liaison C-C. Il a été en effet démontré qu’aucune transmétallation, telle que Mukaiyama le proposait en 1973, n’intervient lors de la réaction.228

Cette réaction permet de former non seulement une nouvelle liaison C-C mais génère également deux nouveaux centres stéréogènes. Aucun modèle général de prévision de la stéréosélectivité de la réaction n’est parfaitement établi car elle est très souvent substrat-dépendante et gouvernée par les interactions de type Van der Waals des constituants, de l’acide de Lewis employé, ou encore des conditions réactionnelles. Il est cependant admis qu’un modèle d’état de transition « fermé » de type Zimmermann-Traxler (ZT) ne conduit pas, la plupart du temps, aux stéréosélectivités observées (Figure 33).229

Figure 33 : Modèle de Zimmerman-Traxler.

En effet, à contrario des énolates métalliques de type énolates de titane, d’étain ou de bore par exemple, qui, lors d’une aldolisation, font généralement intervenir un état de transition de type ZT, la stéréosélectivité des énolates silylés est difficilement prévisible.230

En revanche, dès 1984, Heathcock et al. ont effectué plusieurs essais d’aldolisation d’éthers d’énol silylés et d’aldéhydes en présence d’une quantité stoechiométrique de TiCl4, SnCl4, BF3.OEt2.231 Malgré de faibles ratios diastéréomériques (70:30 à 28:72, syn:anti) obtenus dans la plupart des cas, une excellente stéréosélectivité trans est observée dans le cas de l’éther d’énol silylé de la 2,2-diméthylpentan-3-one 125 avec le benzaldéhyde ou l’isobutyraldéhyde, quel que soit l’acide de Lewis employé (Schéma 185).

228 Chan, T. H.; Brook, M. A. Tetrahedron Lett. 1985, 26, 2943–2946.

229 Zimmermann, H. E.; Traxler, M. D. J. Am. Chem. Soc. 1957, 79, 1920-1923.

230 (a) Kuwajima, I.; Nakamura, E. Acc. Chem. Res. 1985, 18, 181–187.

(b) Yamago, S.; Machii, D.; Nakamura, E. J. Org. Chem. 1991, 56, 2098–2106.

Chapitre 3 : Introduction diastéréosélective de la chaîne éthyl-3-furyle via une stratégie d’aldolisation de Mukaiyama

152

Schéma 185 : Formation préférentielle du produit anti lors des essais de Heathcock et al. (1984).

Afin d’expliquer ce résultat, un modèle d’état de transition de type « ouvert » a été proposé par Heathcock.232 Il repose sur l’hypothèse que le carbonyle et l’éther d’énol silylé se placent en position anti-périplanaire afin d’éviter toute interaction dipôle-dipôle entre les deux oxygènes (Figure 34).

Figure 34 : Modèle d’état de transition « ouvert » selon Heathcock et al.

Afin de postuler cet état de transition favorisé, plusieurs états de transition ont été proposés et commentés par Heathcock concernant l’aldolisation de l’éther d’énol silylé de configuration Z de la 2,2-dimethylpentan-3-one 125 avec le benzaldéhyde (Figure 35). Dans chaque cas, l’hypothèse selon laquelle l’acide de Lewis se coordine en position cis de l’hydrogène de l’aldéhyde afin d’éviter tout interaction défavorable avec le groupement R de l’aldéhyde est postulée.

Figure 35 : Etats de transitions « ouverts » possibles.

Les états de transition T1 à T3 mènent au produit anti, tandis que T4 à T6 mènent au produit syn. Les états de transition T3 et T6 ne sont pas favorisés à cause de l’interaction dipôle-dipôle entre les deux oxygènes.

Chapitre 3 : Introduction diastéréosélective de la chaîne éthyl-3-furyle via une stratégie d’aldolisation de Mukaiyama

153 T3 présente d’autant plus une gêne stérique entre le groupement phényle et le groupement tert-butyle. Cette gêne est également présente pour T5. De la même façon, T1 présente une gêne stérique entre l’acide de Lewis et le groupement tert-butyle. Enfin, T4 présente une gêne stérique entre le carbonyle et le groupement tert-butyle, tandis que le groupement silylé et le phényle interagissent également défavorablement. Finalement, pour toutes ces raisons, l’état de transition T2 semble être le plus favorisé et mène au produit anti.

En revanche, lorsque le groupement tert-butyle est remplacé par un plus petit groupement, T1, mais aussi T4 etT5 deviennent plus favorables et cela entraîne une diminution de la stéréosélectivité de la réaction.

Enfin, si le groupement méthyle (R3) est remplacé par un gros groupement, et le groupement tert-butyle (R1) est remplacé par un petit groupement, l’état de transition T5 est le plus favorisé et conduit majoritairement au diastéréomère syn.

Les diastéréosélectivités obtenues par Heathcock étant comparables pour un même couple éther d’énol silylé / aldéhyde quel que soit l’acide de Lewis employé, il semble bien qu’il n’y ait pas d’interaction entre l’acide de Lewis coordiné à l’aldéhyde et l’éther d’énol silylé, lors de l’état de transition. Ceci n’est pas le cas lorsque c’est l’énolate lithié correspondant qui est mis en réaction, puisque l’on observe dans ce cas un produit majoritaire de configuration cis (98 :2).233

La stéréosélectivité de formation du produit majoritaire d’aldolisation entre un éther d’énol silylé et un aldéhyde possédant un autre groupement coordinant est encore différente. En effet, deux modèles de formation de chélate peuvent être proposés, et, c’est T5 qui ne présente aucune gêne stérique qui conduit au produit de configuration syn (Figure 36).234

Figure 36 : Etats de transitions favorisés dans le cas où l’aldéhyde possède un groupement coordinant.

233 Heathcock, C. H.; Buse, C. T.; Kleschick, W. A.; Pirrung, M. C.; Sohn, J. E.; Lampe, J. J. Org. Chem. 1980, 45,

1066–1081.

234 (a) Reetz, M. T.; Kesseler, K.; Jung, A. Tetrahedron 1984, 40, 4327–4336.

b) Reetz, M. T. Pure Appl. Chem. 1985, 57, 1781-1788. (b) Reetz, M. T. Acc. Chem. Res. 1993, 26, 462–468.

Chapitre 3 : Introduction diastéréosélective de la chaîne éthyl-3-furyle via une stratégie d’aldolisation de Mukaiyama

154 Tel qu’annoncé plus haut, ces stéréosélectivités ne sont pas toujours valables, puisqu’elles dépendent surtout des substrats, mais aussi des conditions réactionnelles. Par exemple, le produit majoritaire peut être de configuration relative complètement différente suivant l’aldéhyde utilisé, comme dans le cas d’un éther d’énol silylé diènyle cyclique décrit par Barner et al. en 1989 (Schéma 186).235

Schéma 186 : Proposition d’état de transition d’une réaction d’aldolisation par Barner et al.

Dans cet exemple, la diastéréosélectivité dépend fortement du groupement R porté par l’aldéhyde. En effet, dans le cas d’un groupement encombrant (tert-butyle), le produit majoritaire est syn (81:19), mais lorsque celui-ci est plus petit (méthyle), le produit majoritaire est anti (26:74), tandis qu’en présence d’un groupement intermédiaire (éthyle), la diastéréosélectivité est moins bonne, en faveur du produit anti (40:60). Ceci a pu être expliqué selon deux modèles cycliques de type Zimmerman-Traxler proposés par Barner et al. La réaction semble avoir lieu selon le modèle « chaise » tant que le groupement R est petit, permettant la formation du produit anti. En revanche, lorsque la taille du groupement R augmente, le modèle « bateau » devient plus favorable, puisqu’il permet d’éviter une interaction défavorable entre R et le méthyle porté par le carbone 6. Il conduit alors au produit syn. Enfin, l’éther d’énol silylé tout comme l’aldéhyde peuvent être chiraux, et il est également possible d’ajouter des ligands chiraux à la réaction.236 Ces possibilités ne seront pas plus détaillées dans ce chapitre car nous ne souhaitons pas particulièrement contrôler la stéréosélectivité de formation du nouveau centre chiral C(11), puisque celui-ci est voué à être éliminé lors de la suite de la synthèse pour obtenir une chaîne éthyle-3-furyl simple.

Il est donc essentiel de retenir que, malgré l’existence de modèles de prévision de la stéréosélectivité de cette réaction, elle reste très dépendante du substrat et des conditions réactionnelles.