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Chapitre 2 : Théorie des représentations sociales

2.1 Origine de la théorie

Le concept, amené en premier lieu par Durkheim à la fin du 19e siècle sous le terme de « représentations collectives », s’opposait aux représentations individuelles. En effet, selon Durkheim, les représentations collectives attribuaient une plus grande importance au domaine social par rapport au domaine individuel dans la création des représentations (Herzlich, 1972). Selon lui, tous les membres d’une communauté partagent les représentations collectives, car celles-ci ont le pouvoir de s’imposer aux individus. On peut donc les comparer à une langue qui est partagée par tous les citoyens d’un même pays. Ainsi, les représentations collectives constituent un savoir commun transmis et reproduit par les membres d’un groupe social leur permettant de conserver la cohésion et d’agir d’une manière semblable (Moscovici, 1994). De plus, elles sont plutôt homogènes et stables à travers le temps. En ce sens, selon Durkheim, les représentations perdurent de génération en génération (Moscovici, 1994). Bref, à l’époque, les représentations collectives étaient conceptualisées comme un phénomène plutôt statique (Palmonari et Doise, 1986) et la vision de Durkheim était déterministe (Herzlich, 1972).

Par la suite, le concept des représentations collectives a été délaissé jusqu’aux années 60 et 70, où il a été repris en psychologie sociale par Moscovici sous le nom des « représentations sociales ». Moscovici est ainsi un précurseur important de la théorie comme on la connaît aujourd’hui (Jodelet, 1984). D’autres auteurs ont également contribué à l’élaboration de la théorie, notamment, Abric, Doise, Flament, Herzlich et Jodelet (Moscovici, 1986). Cependant, à ses débuts, la prédominance du béhaviorisme en psychologie a freiné la croissance du concept. Selon les tenants du béhaviorisme, les comportements s’expliquent par le stimulus-réponse, les processus cognitifs n’étant pas considérés. C’est lors du déclin du béhaviorisme et de l’essor du cognitivisme que le domaine

de la psychologie s’est ouvert à d’autres manières d’expliquer les comportements (Jodelet, 1994). En effet, les chercheurs ont commencé à étudier les attitudes sociales, puis les cognitions sociales. On commençait à voir l’humain comme une machine pensante qui perçoit son environnement et analyse l’information qui l’entoure. Ainsi, on observe graduellement la mise en place d’un contexte favorable à l’émergence de la théorie des représentations sociales (Moscovici, 1986).

Puis, la théorie a pu s’étendre à divers champs de recherche voisins de la psychologie, dont l’anthropologie, la sociologie et l’histoire (Jodelet, 1994). En travail social, cette théorie est particulièrement pertinente et utilisée en recherche, en raison de la place centrale qu’elle accorde aux processus de construction des représentations sociales. En effet, ces processus se situent à l’interface entre la personne et son contexte social ou entre les interactions avec les autres personnes et réseaux de son entourage. De plus, les représentations sociales impliquent autant les facteurs individuels que sociaux (Jodelet, 1994). Ainsi, la théorie se retrouve à l’intersection entre différents domaines d’étude. Cette transversalité implique que la théorie est plus complexe, car elle requiert la prise en compte de nombreux éléments, entre autres, les états affectifs, les états psychologiques, le langage et la communication, les rapports sociaux ainsi que le contexte social global. En ce sens, la théorie est complète, systématique et globale (Jodelet, 1994).

2.2 Définition des concepts

Plus précisément, une représentation sociale est un savoir social qui permet d’interpréter la réalité, de donner un sens au vécu et de classifier ce qui nous entoure. C’est une image mentale d’un objet qui est partagée par un groupe de personnes. Les représentations sociales permettent alors de trouver consensus sur la définition des objets et des positions à prendre les concernant (Jodelet, 1994). En ce sens, les représentations sociales sont une manière pour les individus de s’approprier leur environnement (Herzlich, 1972).

L’image mentale comprend trois dimensions soit l’information, le champ et l’attitude. L’information concerne tout ce qui est connu par rapport à l’objet, c’est-à-dire qu’elle inclut la quantité ainsi que la qualité des connaissances le concernant. En ce sens, une représentation peut être complète et comprendre de nombreuses informations par rapport à un objet ou

sommaire, et ne comprendre qu’un nombre limité d’éléments. Quant au champ, il fait référence à la hiérarchie et à l’organisation des informations connues par rapport à l’objet. Celui-ci peut être plus ou moins riche. Le champ et l’information peuvent varier entre les groupes sociaux ainsi que d’un individu à l’autre à l’intérieur d’un même groupe social. L’attitude concerne généralement l’orientation positive ou négative de la représentation. Cette dimension des représentations serait davantage, plutôt primitive, car elle pourrait exister malgré un nombre d’informations réduit et un champ peu élaboré (Herzlich, 1972). L’attitude a un rôle important dans la sélection des informations et dans l’organisation des représentations (Pouliot, Saint-Jacques, et Camiré, 2013). En effet, l’information qui confirme nos hypothèses ou attitudes préétablies est priorisée tandis que l’information qui les infirme est souvent exclue (Moscovici, 1986). Pour cette raison, l’attitude est résistante au temps et n’est pas passagère (Pouliot et coll., 2013).

Il existe deux processus de création des représentations sociales : l’objectivation et l’ancrage. Tout d’abord, l’objectivation consiste à rendre un objet abstrait plus concret en sélectionnant l’information pertinente le concernant et en l’ordonnant de manière cohérente (Jodelet, 1984). En d’autres mots, l’objectivation implique de choisir parmi les informations dans l’environnement afin de construire une représentation de l’objet. Les informations peuvent autant provenir de la société que des expériences personnelles des individus (Herzlich, 1972). L’objectivation implique trois étapes. Premièrement, l’individu sélectionne l’information pertinente en fonction de ses représentations préexistantes. Puis, il se crée un schéma figuratif formant ainsi sa compréhension de l’objet. Ceci implique qu’il omet d’incorporer tout ce qui peut contredire la représentation ainsi formée. C’est à partir de ces informations que la représentation sociale sera construite et transmise à d’autres individus. Finalement, le noyau ce de schéma devient une réalité pour le groupe social (Pouliot et coll., 2013).

Pour ce qui est de l’ancrage, ce processus consiste à utiliser un cadre de référence connu afin de se représenter un objet inconnu (Palmonari et Doise, 1986). Ce processus ancre donc les représentations dans le contexte social de l’individu, selon les valeurs et croyances de la société. En ce sens, l’ancrage rend la représentation cohérente avec le reste de la compréhension de l’environnement (Jodelet, 1994). Puis, l’ancrage permet d’attribuer une

fonctionnalité à la représentation en la rendant utilisable pour l’individu. Ce processus permet à l’individu d’utiliser la représentation sociale pour interpréter ce qui l’entoure et guider ses actions (Jodelet, 1994).

Ces deux processus (objectivation et ancrage) représentent la composante cognitive des représentations sociales. Cette composante laisse une certaine place à la créativité et à l’autonomie du sujet (Jodelet, 1994). Cependant, bien que les représentations se forment via des processus cognitifs et sont pensées par les individus, il y a une influence de l’environnement et du contexte dans leur création, car elles émergent à la suite d’échanges et constituent des réalités partagées par un groupe. Ainsi, les représentations sociales n’émergent pas de manière isolée (Palmonari et Doise, 1986). Entre autres, la culture, les valeurs, le contexte historique, l’appartenance à un groupe social, la communication et le langage sont des facteurs influençant le contenu des représentations sociales (Jodelet, 1994). Cette idée est également promue par le travail social, qui insiste sur l’importance d’examiner le contexte dans lequel les croyances et les expériences des individus se construisent. Par exemple, la culture dominante ainsi que les idéologies transmises par les médias influencent l’information qui circule dans une société. De cette manière, le contexte social influence les représentations sociales des individus de cette même société. Également, indirectement, les expériences de vie influencent l’interprétation, la manière de réfléchir et ainsi, les représentations sociales des individus. En ce sens, comme le statut social et les rôles sociaux des individus jouent un certain rôle dans les expériences vécues, l’influence de l’environnement se doit d’être considérée, même au niveau de la composante cognitive des représentations sociales (Herzlich, 1972). Bref, les représentations sociales sont un produit ainsi qu’un processus puisqu’elles impliquent un processus cognitif, mais elles sont également le produit des expériences et de l’influence de l’environnement (Jodelet, 1994).

En résumé, la théorie de Moscovici propose les représentations sociales comme étant dynamiques et malléables contrairement aux représentations collectives de Durkheim. En effet, les représentations sociales actuelles ne sont pas les mêmes que celles des communautés primitives car elles changent à travers le temps et selon le contexte social (Palmonari et Doise, 1986). Les représentations varient également selon les positions et les fonctions sociales des individus; elles ne sont pas uniformes dans une société (Jodelet, 1994).

Ainsi, la vision de Moscovici est moins déterministe et plutôt dynamique puisqu’une certaine hétérogénéité dans le degré d’adhésion des individus est reconnue (Herzlich, 1972).

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