Discussion

Différents auteurs avancent que la surconformité aux normes de l’éthique du sport est associée à la vulnérabilité des athlètes à vivre différents types de violence (Alexander et coll., 2011; Coker-Cranney et coll., 2018; Hughes et Coakley, 1991; Kavanagh, 2014; Smits et coll., 2017; Waldron et coll., 2011; Young, 2019). Ces normes, ancrées dans la communauté sportive, amèneraient une banalisation ainsi qu’une tolérance généralisée des comportements violents par les différents acteurs du milieu sportif incluant les athlètes (Kavanagh, 2014). Cette théorie permet de jeter un éclairage intéressant sur nos résultats de recherche et, par conséquent, de proposer des pistes de prévention des violences en contexte sportif. Jusqu’à ce jour, aucune étude n’avait exploré spécifiquement le lien entre la conformité à l’éthique du sport et la violence sexuelle en contexte sportif, bien que certains auteurs aient suggéré des liens possibles entre certaines croyances ou valeurs et l’expérience de la violence sexuelle (Jeckell et coll., 2018; Johansson et Larsson, 2016; Kirby et Wintrup, 2002). D’ailleurs, les systèmes de croyances auxquels ces auteurs référaient se rapprochent de la théorie de l’éthique du sport de Hughes et Coakley (1991). Ainsi, le but de cette étude était d’explorer plus précisément les liens entre la conformité aux normes de l’éthique du sport et les expériences de violence sexuelle chez les jeunes athlètes, en tenant compte des possibles variations entre les sexes et les types de sport.

Les résultats de la présente étude chez des jeunes athlètes québécois démontrent qu’une augmentation de la conformité à la norme d’aspirer à la distinction contribue à augmenter la probabilité de vivre de la violence sexuelle de la part des autres athlètes. Lorsque la contribution du type de sport est examinée, il ressort toutefois que, chez les athlètes pratiquant un sport individuel, se conformer davantage à la norme d’aspirer à la distinction diminue la probabilité de vivre de la violence sexuelle de l’entraîneur tandis qu’un effet inverse est observé chez les athlètes pratiquant un sport collectif, se conformer davantage à cette norme augmente la probabilité de vivre de la violence sexuelle de l’entraîneur. Par ailleurs, pour les athlètes qui pratiquent un sport individuel, l’augmentation de leur conformité à la norme du sacrifice de soi contribue à augmenter la probabilité de vivre de la violence sexuelle de la part de l’entraîneur.

Tout d’abord, les résultats démontrent que l’augmentation de la conformité à la norme d’aspirer à la distinction augmente la probabilité de vivre de la violence sexuelle des autres athlètes. À cet effet, Jeckell et ses collaborateurs (2018) ont souligné que plusieurs comportements dans le hazing représentent de la violence sexuelle de la part des coéquipiers et que ces évènements ont pour but de tester les initiés, de tester leurs valeurs et de les amener à partager les mêmes croyances que les autres membres de l’équipe. Selon plusieurs études, le hazing servirait principalement à transmettre aux initiés différentes valeurs et croyances reliées à la discipline sportive pratiquée (Jeckell et coll., 2018; Kirby et Wintrup, 2002; Waldron et coll., 2011; Waldron et Kowalski, 2009). D’ailleurs, ces croyances mentionnées par les auteurs se rapprochent des normes de l’éthique du sport telles que théorisées par Hughes et Coakley (1991). De plus, les caractéristiques spécifiques de la violence sexuelle entre les pairs pourraient expliquer le lien avec la norme d’aspirer à la distinction. En effet, ce type de violence permet aux athlètes de prouver différentes valeurs associées à la masculinité hégémonique – à noter que ces valeurs sont promues également chez les sportives féminines – ainsi que d’affirmer leur statut supérieur dans l’équipe (Jeckell et coll., 2018; Kirby et Wintrup, 2002; Waldron et Kowalski, 2009). En effet, le hazing est souvent effectué dans le but de maintenir la hiérarchie dans l’équipe (Waldron et coll., 2011). D’ailleurs, ce sont principalement les vétérans qui harcèlent les initiés (Crow et Macintosh, 2009). En ce sens, les athlètes initiés qui aspirent à la distinction, c’est-à-dire qui accordent une grande importance à la victoire et désirent dominer les autres (Hughes et Coakley, 1991) pourraient menacer le pouvoir des vétérans ce qui les placerait à risque de vivre de la violence sexuelle. Mais la violence sexuelle entre les pairs peut aussi avoir lieu à l’extérieur du contexte de

hazing et prendre la forme d’intimidation et de harcèlement sexuel (Alexander et coll., 2011;

Brackenridge, 2001; Fasting et coll., 2002; Kirby et Greaves, 1997; Vertommen et coll., 2016; Young, 2019). Dans le cas de l’intimidation, les comportements violents ont aussi pour but de renforcer un déséquilibre de pouvoir avec la victime (Evans et coll., 2016). Bien que les quelques études qualitatives consultées ne permettent pas d’établir un lien spécifique entre la conformité à l’éthique du sport et la violence sexuelle dans d’autres contextes que le

hazing, les résultats de la présente étude permettent de supposer que le lien se manifeste

également à l’extérieur de ce contexte. En effet, le questionnaire utilisé aux fins de cette étude inclut une section sur la relation avec les pairs excluant les rituels d’initiation.

Ensuite, les résultats suggèrent un effet différent de la norme d’aspirer à la distinction selon le type de sport. Dans le sport individuel, se conformer davantage diminue la probabilité de vivre de la violence sexuelle de la part de l’entraîneur tandis que dans le sport collectif, se conformer davantage augmente la probabilité de l’expérimenter. Cette différence entre les sports individuels et collectifs pourrait s’expliquer, notamment, par l’attention de l’entraîneur accordée aux athlètes. En effet, les athlètes qui aspirent davantage à la distinction chercheront à tout prix à s’améliorer, à se perfectionner et à gagner (Hughes et Coakley, 1991). En ce sens, ces athlètes écouteraient et appliqueraient les recommandations des entraîneurs. Ainsi, l’étude de Smits et ses collaborateurs (2017) fait ressortir que les gymnastes qui écoutent systématiquement les demandes de l’entraîneur reçoivent moins d’attention négative de l’entraîneur. Ils vivent moins de violence psychologique qui est plutôt utilisée par les entraîneurs chez les athlètes refusant de se conformer (Smits et coll., 2017). Les récits d’athlètes féminines victimes de violence sexuelle dans le livre The Girls (Pesta, 2019) soutiennent cette explication. Plus précisément, certaines anciennes athlètes rapportent des expériences de harcèlement sexuel de la part de leur entraîneur en réponse à de mauvaises performances de leur part en entraînement (Pesta, 2019). Ainsi, en sport individuel, la violence sexuelle serait parfois utilisée comme moyen de punition et de contrôle par l’entraîneur pour amener les athlètes ne se conformant pas à la norme d’aspirer à la distinction à accomplir de plus grands efforts. À l’inverse, les athlètes qui se conformeraient déjà seraient moins susceptibles de vivre de la violence dans ce contexte.

Pour ce qui est des sports d’équipe, les résultats supposent un lien inverse; les athlètes qui aspirent davantage à la distinction sont ceux qui vivent plus de violence sexuelle de l’entraîneur. Comme mentionné plus haut, les athlètes qui aspirent à la distinction travaillent très fort pour perfectionner leur pratique sportive (Hughes et Coakley, 1991). On peut donc penser qu’ils sont parfois meilleurs que les autres athlètes. De ce fait, Cense et Brackenridge (2001) soutiennent que les athlètes ayant une position isolée dans l’équipe, entre autres en raison de leurs meilleures capacités sportives ou de l’attention plus grande reçue de l’entraîneur, sont plus vulnérables à vivre de la violence sexuelle. Les auteurs suggèrent que cet isolement leur enlève le support qu’ils pourraient recevoir de leurs coéquipiers, ce qui les rend plus vulnérables. Ainsi, en sport d’équipe, les athlètes « étoiles » de l’équipe pourraient attirer une plus grande attention positive de l’entraîneur et ainsi, être plus isolés de leurs pairs.

En ce sens, l’isolement face aux pairs place les jeunes en position de vulnérabilité (Parent et Fortier, 2018). Également, un parallèle est possible avec le processus de grooming qui commence généralement par une attention spéciale donnée à l’athlète et se développe graduellement vers la violence sexuelle (Brackenridge, 2001).

Enfin, les résultats de cette étude démontrent qu’en sport individuel, se conformer davantage au principe du sacrifice pour le sport augmente la probabilité de vivre de la violence sexuelle de l’entraîneur. Ces résultats vont dans le même sens que ceux de Smits et ses collaborateurs (2017) concernant la violence émotionnelle. En effet, les gymnastes rencontrées par les chercheurs expliquent qu’elles acceptent les entraînements intenses exigés par leur entraîneur malgré la présence de violence émotionnelle, car elles ont tout sacrifié pour performer à ce niveau. Plus spécifiquement, ce résultat rejoint les récits d’athlètes concernant la violence sexuelle présentés dans l’ouvrage The Girls (Pesta, 2019). Certaines athlètes rencontrées mentionnent qu’elles et leurs parents ont fait de grands sacrifices pour poursuivre dans la gymnastique ce qui les a amenées à vouloir continuer à tout prix. Elles ont travaillé trop fort pour se résigner à quitter le sport donc elles ont toléré plusieurs types de violence à leurs égards, dont la violence sexuelle de la part d’un entraîneur et du médecin sportif (Pesta, 2019). Cette réalité concorde avec les résultats de Kavanagh (2014). Sélectionné en vue des Jeux Olympiques, un athlète d’élite interrogé soutient que les sacrifices requis étaient graduellement de plus en plus importants, au fur et à mesure que la compétition visée approchait. Ainsi, même s’il se rendait compte que ces actes exagérés auraient été inacceptables dans un autre contexte, il poursuivait afin d’éviter d’avoir sacrifié diverses sphères de sa vie pendant cinq ans sans atteindre le but visé (Kavanagh, 2014). Il existerait un continuum de sacrifices pouvant aller, à l’extrême, jusqu’à sacrifier son corps, son bien-être physique et psychologique. S’ils augmentent progressivement en nombre et en sévérité, il est possible que ces sacrifices placent les jeunes à risque de tolérer davantage la violence sexuelle, l’objectif sportif devenant alors plus important que le bien-être personnel. Il importe également de souligner que les sports individuels placent davantage les jeunes en position d’isolement (Bisgaard et Støckel, 2019). En effet, certains jeunes passent énormément de temps à s’entraîner, sacrifient leur temps en famille, leur vie sociale et scolaire ainsi que leurs passe-temps afin de performer dans un sport (Coker-Cranney et coll., 2018). Ainsi, il est plus facile pour l’entraîneur d’être seul avec un athlète (Stirling et Kerr,

2009). La combinaison de ces deux facteurs (sport individuel et sacrifice pour le sport) peut donc favoriser un contexte où l’athlète est isolé et donc, à risque de vivre de la violence sexuelle de la part de l’entraîneur.

Cette étude a des implications aux plans théorique et pratique. Tout d’abord, les résultats confirment le lien entre la conformité à l’éthique du sport et les expériences de violence sexuelle commises par d’autres athlètes et par l’entraîneur. Ces résultats soulèvent certaines situations spécifiques dans lesquelles les jeunes athlètes sont plus vulnérables à la violence sexuelle, notamment l’augmentation de la conformité aux normes d’aspirer à la distinction et du sacrifice de soi. À l’inverse, dans le contexte des sports individuels, ce serait la diminution de la conformité à la norme d’aspirer à la distinction qui augmenterait la vulnérabilité à la violence sexuelle de l’entraîneur. Par conséquent, il serait difficile de contrer le problème en menant uniquement une lutte contre la conformité aux normes de l’éthique du sport sans tenir compte des particularités propres aux différents types de sport. Au niveau pratique, les résultats permettent de cibler certains groupes d’athlètes plus à risque afin d’agir en prévention de la violence sexuelle et les informer sur les formes que peut prendre la victimisation à caractère sexuel. Également, les résultats amènent un questionnement par rapport à la culture du sport et aux pratiques qui ont lieu dans les organisations sportives favorisant une conformité aux normes de l’éthique du sport ainsi qu’une tolérance à la violence sexuelle. Cela suggère le besoin d’agir au niveau de la culture du sport pour prévenir la conformité aux normes de l’éthique du sport. Les interventions mises en place doivent permettre aux athlètes de développer une pensée critique pour trouver un équilibre entre les exigences de la réussite dans leur sport et l’importance de leur bien- être. Par exemple, Waldron et Kowalski (2009) proposent des discussions d’équipe permettant entre autres aux athlètes de remettre en question les normes de l’éthique du sport. Plus spécifiquement au niveau du hazing, les auteurs suggèrent de promouvoir le partenariat dans l’équipe en mettant en place des rituels positifs pour les jeunes à l’inverse des rites de passage abusifs. De plus, comme les entraîneurs sont les auteurs possibles de la violence sexuelle (Vertommen et coll., 2017) ainsi que des modèles pour les athlètes (Waldron et Kowalski, 2009), il est essentiel que leur formation soit bonifiée afin de développer des pratiques éthiques et non violentes.

3.6.1 Limites

Cette étude comprend certaines limites. Tout d’abord, l’échantillonnage de volontaires ne permet pas d’avoir un échantillon représentatif de la population (Bhattacherjee, 2012). D’ailleurs, les filles sont surreprésentées dans l’échantillon ce qui pourrait causer un biais. Puis, peu de la variance de la violence sexuelle est expliquée par la conformité à l’éthique du sport. En ce sens, comme ce phénomène est multifactoriel, plusieurs variables sont à prendre en compte pour mieux le comprendre et le prévenir (Ohlert et coll., 2018; Parent et Fortier, 2018). De plus, comme l’étude ne comporte qu’un seul temps de mesure, le modèle de régression logistique ne permet pas d’identifier une relation de cause à effet entre les variables. En ce sens, l’état des connaissances actuelles ne permet pas de soutenir la formulation d’hypothèses explicatives. C’est pourquoi la présente étude est de nature exploratoire et vise à étudier l’existence d’une association entre les variables. D’autre part, l’étude comporte plusieurs forces, notamment l’utilisation de deux outils de mesure validés. Également, à notre connaissance, c’est la première étude quantitative examinant le lien entre la conformité à l’éthique du sport et la violence sexuelle en contexte sportif. Par ailleurs, le fait que l’échantillon soit constitué d’adolescents qui, lors de la collecte de données, sont dans la pratique actuelle de leur discipline sportive, permet d’éviter le biais de rappel (Bhattacherjee, 2012; Eisenhower et coll., 2011) des études rétrospectives menées auprès de participants adultes ayant terminé leur parcours sportif. Dans le futur, il serait pertinent d’explorer les variations du lien entre la conformité à l’éthique du sport et la violence sexuelle selon le type de violence soit le harcèlement sexuel et l’abus sexuel. De plus, il serait intéressant d’observer les différences dans la relation selon le niveau de sport, car la théorie de Hughes et Coakley (1991) pourrait être mieux adaptée aux sports de haut niveau (Young, 2019). Enfin, comme la présente étude ne permet pas de préciser le sens du lien entre les variables, des travaux ultérieurs de nature qualitative seraient nécessaires afin d’explorer en profondeur le vécu des athlètes qui vivent de la violence sexuelle. Puis, de futures études quantitatives permettraient d’étudier l’évolution du degré de conformité à l’éthique du sport et le lien avec les expériences de violence sexuelle afin de mieux cerner le sens de la relation.

3.6.2 Conclusion

Pour conclure, la présente étude a permis de mettre en relief une association entre la conformité à l’éthique du sport et la violence sexuelle, mais uniquement pour les normes du sacrifice pour le sport et d’aspirer à la distinction. Il est important de s’intéresser à ce phénomène, car un nombre important de jeunes athlètes sont victimes de violence sexuelle au cours de leur parcours sportif (Alexander et coll., 2011; Parent et coll., 2016; Vertommen et coll., 2016) et ces évènements ont des conséquences à long terme chez plusieurs d’entre eux (Cense et Brackenridge, 2001; Fasting et coll., 2002; Ohlert et coll., 2019; Vertommen et coll., 2018). Les normes de l’éthique du sport constituent un système de croyances ancré et auquel se conforment plusieurs acteurs de la communauté sportive, notamment les athlètes, les entraîneurs, les médias sportifs et les partisans (Hughes et Coakley, 1991). Pourtant, ce système de croyances peut favoriser la victimisation des athlètes et mérite donc d’être remis en question, ce qui nécessitera des actions au niveau macrosocial. Il serait possible de s’inspirer des campagnes de sensibilisation intenses mises en place par le gouvernement dans d’autres domaines ayant réussi à transformer les croyances populaires.

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