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2.2 Résistance du VIH aux molécules antirétrovirales

2.2.1 Origine et sélection de la résistance

2.2.1.1 Principes

La résistance du VIH peut être définie comme la capacité du virus à se répliquer en présence d’une ou plusieurs molécules ARVs à des concentrations inhibant la réplication d’un virus sauvage sensible. Elle provient de la variabilité génétique intra-individuelle du VIH-1 s’expliquant à la fois par : le taux élevé de réplication du VIH-1 (jusqu’à 1010 virus par jour,

chez un patient non traité), son taux élevé de mutations (~ 1 mutation nucléotidique par cycle viral) ; ainsi que par des recombinaisons fréquentes (paragraphe 1.2.3.3) (Geretti, 2006;

Hemelaar, 2012; Ho et al., 1995; Meyer et al., 1999). Les mutations sont générées par la RT qui est dépourvue d’activité correctrice exonucléasique 3’-5’ (Roberts et al., 1988).

Les mutations surviennent donc de façon aléatoire et la plupart du temps, elles sont délétères pour le virus. Toutefois, certaines d’entre elles sont viables et vont générer des variants minoritaires, appelés aussi « quasi-espèces » (~ 10% de la population virale totale). Parmi ces variants, peuvent se trouver des souches résistantes aux ARVs, qui possèdent une ou plusieurs mutations au niveau du gène pol, codant généralement pour les cibles thérapeutiques principales de la protéase (PR), la région polymérase de la transcriptase inverse (RT), et de l’intégrase (II). Il existe aussi des mutations dans les domaines C-terminaux de la RT (domaine de connexion et RNase H) qui augmenteraient la résistance des souches ayant déjà des mutations aux INTIs (TAMs et M184V) et à certains INNTIs. Toutefois, elles ne sont pas analysées en routine car leur interprétation clinique est encore mal connue (Delviks-Frankenberry et al., 2013; Maiga et al., 2012; Muniz et al., 2014; von Wyl et al., 2010).

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La résistance du VIH aux ARVs est donc un mécanisme d’évolution naturelle, qui permet au VIH d’échapper à la fois au système immunitaire mais aussi à la pression antirétrovirale (Tang et Shafer, 2012). En l’absence de TAR, la souche sauvage qui est généralement bien adaptée à l’environnement naturel de son hôte va se répliquer davantage, comparé aux variants minoritaires ayant une capacité réplicative (fitness en anglais) moindre. C’est donc la souche sauvage qui prédomine largement chez un patient non traité. En présence d’un TAR, les mutations associées à la résistance aux ARVs (mutations de résistance, pour simplifier) apportent un avantage réplicatif plus ou moins important aux variants minoritaires correspondants. Ces derniers étant moins inhibés par le TAR, ils vont pouvoir se répliquer et émerger jusqu’à devenir à leur tour majoritaires, surtout dans les cas les plus courants où la souche sauvage est sensible. Comme le TAR associée au VIH/SIDA est à vie, l’émergence d’un certain degré de résistance aux ARVs est attendue chez les patients traités (même en cas de schéma thérapeutique approprié et de niveau d’observance optimal).

En pratique, on distingue plusieurs catégories de résistances. La résistance acquise (ADR, acquired drug resistance en anglais) survient lorsque la pression de sélection exercée par le TAR entraine l’émergence de résistance chez un patient recevant un TAR. La résistance

transmise (TDR, transmitted drug resistance, en anglais) survient quant à elle chez les patients

ayant été directement infectés par une souche résistante. La résistance pré-thérapeutique (PDR, pre-treatment drug resistance, en anglais) concerne les patients initiant un TAR et qui peuvent avoir des résistances soit transmises, soit acquises au cours d’une exposition préalable aux ARVs (prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant (PTME), prophylaxie post- ou pré-exposition [PrEP], ou TAR antérieur). Plus rarement, on observe une résistance

naturelle qui survient chez des virus n’ayant jamais subi de pression du TAR, comme avec les

INNTIs et pour le VIH-2 et plus de 60% des VIH-1 O (Poveda et al., 2005; Ren et al., 2002; Tebit et al., 2016). Le VIH-2 est aussi naturellement résistant à l’Enfuvirtide (inhibiteur de fusion) et possède une sensibilité réduite à plusieurs IPs (Poveda et al., 2005; Raugi et al., 2016). Avec ces deux virus, un TAR de 1ère ligne à base d’IP (LPV/r) doit être utilisé à la place des

INNTIs généralement recommandés dans les pays du Sud (partie 4.2).

2.2.1.2. Déterminants de la résistance du VIH-1 aux ARVs

Les facteurs contribuants à la sélection de mutations associées à la résistance du VIH-1 aux ARVs (mutations de résistance, pour simplifier) peuvent être regroupés dans les 4 catégories suivantes : (1) TAR, (2) virus, (3) patient (hôte), et (4) environnement.

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Même si un seul facteur suffit parfois (ex. inobservance du TAR), la sélection des mutations de résistance peut-être aussi multi-factorielle.

(1) Facteurs liés au TAR : la notion barrière génétique s’applique aux molécules du

TAR. Elle correspond à leur capacité à ne pas sélectionner des souches résistantes lorsqu’une faible virémie persiste. En pratique, elle dépend de plusieurs conditions : (1) nombre et type (transition < transversion) de changements nucléotidiques nécessaires pour obtenir une mutation de résistance, (2) impact de cette mutation sur le niveau de sensibilité à l’ARV, (3) impact de cette mutation sur la capacité de réplication virale. Comme nous l’avons vu précédemment (partie 2.1), les TAR à base d’INNTIs ont une barrière génétique plus faible que ceux à base d’IPs/r, sélectionnant ainsi plus rapidement des mutations associées à la résistance (Figure 19).

Figure 19. Schéma de la barrière génétique et de la puissance des principaux ARVs couramment utilisés.

Les INNTIs et INTIs généralement utilisés en TAR de 1ère ligne dans les pays du Sud sont colorés en gris. Les IPs

indiqués en TAR de 2ème ligne sont colorés en jaune et les INIs en vert (modifié d’après Tang et Shafer, 2012).

De plus, le risque d’émergence de la résistance est plus élevé en cas d’administration de schémas thérapeutiques sous-optimaux, qui par exemple ne comprennent qu’un ou deux ARVs suite à de mauvaises pratiques de prescription ou à des ruptures de stock fréquentes dans certains pays du Sud. A l’inverse, l’utilisation de schémas complexes avec un nombre élevé de

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comprimés est associée à une diminution de l’observance, favorisant aussi l’émergence de la résistance. L’utilisation de formulations combinées à dose fixe avec un seul comprimé par jour favorise l’observance et diminue le risque de sélection de mutation de résistance. L’utilisation de molécules puissantes limite aussi ce risque. Les interactions médicamenteuses peuvent aussi réduire les concentrations d’ARVs à des niveaux sous-optimaux. Enfin, l’exposition préalable aux ARVs, par exemple lors de l’emploi d’une dose unique de NVP pour la PTME, est susceptible d’entrainer une résistance pré-thérapeutique, pouvant conduire plus rapidement à des échecs virologiques et à l’accumulation de mutations de résistance. En cas de TAR, certains ARVs peuvent sélectionner des mutations qui provoquent aussi des résistances à des molécules auxquelles les patients n’ont pas encore été exposés, on parle alors de résistances croisées.

(2) Facteurs liés au virus : la fréquence et les caractéristiques des profils de mutations

peuvent quelque fois varier en fonction des sous-types viraux. C’est le cas par exemple du VIH- 1 C qui a une barrière génétique plus faible pour acquérir la V106M en présence d’INNTIs. En effet, le nombre de changements nucléotidiques nécessaire pour acquérir la V106M est égale à un pour le VIH-1 C (GTG → ATG), alors qu’il est de deux pour les VIH-1 B (GTA → ATG) (van de Vijver et al., 2006). De même, la mutation K65R émerge plus rapidement avec le VIH- 1 C, en présence de d4T/TDF, du fait d’un polymorphisme unique autour de cette position qui est à l’origine d’un mécanisme de « pausing » au cours de la synthèse d’ADN (Figure 20) (Brenner et al., 2006; Coutsinos et al., 2009).

Figure 20. Description du mécanisme de « pausing » lié au polymorphisme unique du VIH-1 C à l’origine d’une émergence plus rapide de la mutation K65R en présence de TDF et d4T :

(1) Le VIH-1 C possède un polymorphisme unique (en

positions 64, 65 et 66 de la RT) contenant un homopolymère constitué de nucléotides Adénine (A) se terminant en position 65, alors que chez les VIH non C cette série débute plutôt à cette position. (2) Au cours de la synthèse de l’ADN viral, l’ADN polymérase réalise un « pausing » à la fin de l’homopolymère, créant un repliement sur lui-même du brin d’ADN matrice à l’origine d’un mauvais alignement du nucléotide C ; (3) Un nucléotide G du brin d’ADN néosynthétisé se lie correctement au nucléotide C mal- aligné ; (4) Les deux brins d’ADN se ré-alignent correctement ; (5) Un deuxième nucléotide G est incorporé au nucléotide C ré-exposé pour la synthèse de l’ADN qui va pouvoir se poursuivre normalement (modifié d’après Garforth et al., 2014).

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De plus, une étude menée sur environ 1 400 séquences de sous-types/CRFs différents (14% B, 49% C, 3% G ; 25% CRF01_AE, 4% CRF02_AG, 5% autres CRFs) a montré que la fréquence de certaines positions de mutations au niveau de la RT (41, 67, 70, 184, 215 et 219) était entre 9-20% plus élevée avec le VIH-1 C et CRF01_AE, comparé au VIH-1 B (Huang et al., 2016). De façon générale, ces variations ne permettent pas d’observer de différence signicative d’efficacité des TAR entre les variants du VIH-1. Toutefois, elles justifient la nécessité d’un suivi virologique de routine adapté pour détecter précocement les échecs thérapeutiques dans les pays du Sud (Villabona-Arenas et al., 2016).

(3 & 4) Facteurs liés à l’hôte (patient) et à l’environnement : l’inobservance au TAR

est un facteur majeur associé à la sélection de résistance puisqu’il engendre aussi une concentration sous-optimale d’ARVs. Dans les pays du Sud, ce phénomène est fortement

associé aux facteurs programmatiques (partie contexte 4.3.2). De plus, une mauvaise

absorption du TAR et la variabilité inter-individuelle du métabolisme hépatique peuvent aussi être à l’origine de concentrations sous-optimales d’ARVs.

2.2.1.3 Fitness des souches résistantes et persistance des TDR

De façon générale, les mutations associées à une résistance dans RT et PR diminuent la capacité réplicative (fitness en anglais) du virus et par conséquent sa capacité de transmission sexuelle (Nijhuis et al., 2001; Wagner et al., 2012; Yang et al., 2015a). Pendant la transmission sexuelle du VIH, un seul variant génétique (founder virus, en anglais) est généralement transmis au receveur. Le phénomène de « goulot d’étranglement » (bottleneck, en anglais) permet effectivement de sélectionner celui qui possède le meilleur « fitness » parmi l’ensemble des « quasi-espèces » présentes chez le donneur (Carlson et al., 2014). Toutefois, ce biais de sélection n’empêche pas la transmission de souches résistantes, du moment que la charge virale est détectable et que ces souches deviennent prédominantes. S’il n’existe pas d’effet bénéfique de la mutation après la transmission chez le receveur, il est fréquent d’observer une réversion rapide de la souche résistante vers la souche sauvage. L’exemple le plus fréquent est celui de la M184V qui est associée à 3TC/FTC (Figure 21) (Jain et al., 2011; Pingen et al., 2011). Chez certaines souches nécessitant plus d’une mutation pour revenir vers la souche sauvage, il est aussi possible d’observer des réversions incomplètes, qui peuvent persister en l’absence de pression du TAR (ex. formes revertantes de la T215YF).

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Par contre, certaines mutations associées à la résistance réduisent de façon minime la capacité réplicative du VIH et peuvent persister longtemps en l’absence de pression du TAR. L’exemple le plus fréquent est celui de la K103N et plus généralement des mutations associées aux INNTIs. Certaines mutations TAMs associées aux INTIs sont également concernées. Enfin, l’accumulation de mutations compensatoires permet d’améliorer la capacité réplicative de certaines souches ayant acquis des mutations de résistance (Pingen et al., 2014a; Yang et al., 2015a).

Figure 21. Persistance des mutations transmises chez des individus naïfs de TAR (modifié de Jain et al., 2011).