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2.2 Résistance du VIH aux molécules antirétrovirales

2.2.2 Mécanismes de résistance et mutations associées

Dans cette partie, les mécanismes de résistance du VIH-1 aux principaux ARVs recommandés par l’OMS et utilisés dans les pays du Sud seront brièvement décrits, ainsi que les mutations de résistance cliniquement significatives les plus communes. On parle de

mutations majeures pour décrire les mutations associées à une diminution importante de la

sensibilité à certains ARVs, qu’elles soient seules ou en association avec d’autres mutations. En plus de ces mutations, il est possible d’observer des mutations accessoires (ou mineures) qui contribuent aussi à diminuer la sensibilité aux ARVs. La liste des mutations associées à la résistance de l’IAS (International AIDS Society) sert en général de référence au niveau international (Figures 22) (Wensing et al., 2015).

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Figure 22. Liste des mutations de résistance du VIH-1 aux ARVs référencées par l’IAS en 2015.

(a) Mutations de résistance aux INTIs et INNTIs, (b) Mutations de résistance aux IPs et aux INIs. Cette

figure qui ne peut être ni modifiée, ni traduite est directement extraite de Wensing et al., 2015. Les notes ne pouvant pas être reproduites, elles sont à consulter sur l’article mais les éléments principaux sont rappelés dans la suite de ce chapitre.

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2.2.2.1 Résistance aux INTIs

(1) Mutations « discriminantes » des INTIs

Les INTIs ne bloquent pas l’activité de la RT mais s’incorporent en tant que « terminateurs de chaine » au cours de la polymérisation de l’ADN viral, comme nous l’avons brièvement expliqué (paragraphe 2.2.1.1). Le premier mécanisme de résistance aux INTIs implique des mutations qui diminuent leur taux d’incorporation (kpol) au profit des dNTPs

naturels, entrainant ainsi une augmentation de la réplication virale. Cette « voie discriminatoire » est principalement représentée par les mutations M184V/I et K65R, ainsi que les mutations K70E, L74V, Y115F, et le « complexe Q151M » (Figures 22 & 23) (Wensing et al., 2015).

Figure 23. Mutations de résistance aux INTIs et INNTIs.

Les sites de mutation communément observés de de résistance aux INNTIs (bleu ciel) et aux INTIs (violet). La M184V est située au niveau du site de polymérisation de l’ADN proviral, formé par le motif des quatre acides aminés « YMDD » (Tyrosine, Méthionine, Acide aspartique, Acide aspartique) et situé dans l’espace entre la « paume », le « pouce » et les autres « doigts ».

Ces mutations peuvent effectivement diminuer l’affinité de liaison des INTIs- (bi)triphosphorylés (kD), en créant par exemple un encombrement stérique au niveau du site

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groupement 3’-OH du résidu osidique des dNTPs qui est absent des INTIs (ex. Q151M) (Iyidogan and Anderson, 2014; Menéndez-Arias, 2013). Elles peuvent également réduire directement le kpol des INTIs en modifiant la conformation du site actif de la polymérase

(ex. K65R).

Ø La mutation M184VI est sélectionnée par 3TC/FTC auxquels elle confère une forte résistance, en réduisant par plus de 100 fois leur sensibilité, en comparaison à une souche sauvage (Frost et al., 2000). Elle peut aussi diminuer la sensibilité à ABC et ddI lorsqu’elle est associée à d’autres mutations, générant ainsi des résistances croisées. Inversement, elle augmente la sensibilité au TDF et AZT/d4T, ce qui justifie le choix de conserver 3TC/FTC malgré la présence de virus porteurs de M184VI lorsqu’ils sont associés à TDF ou AZT, dans le TAR de 2ème ligne dans les pays du Sud (Gallant, 2006) (WHO, 2016a).

La M184VI réduit également le taux d’incorporation (kpol) des dNTPs naturels, surtout

lorsqu’ils sont présents à de faibles concentrations, ce qui diminue le « fitness » du virus. Ainsi, la M184VI est associée à une baisse de 0,5 log10 copies/mL de la charge virale de l’ARN du

VIH-1, et à une diminution de la capacité de transmission du virus (Pingen et al., 2014b; Tang et Shafer, 2012; Winand et al., 2015). Elle persiste aussi rarement en l’absence de pression antirétrovirale (Castro et al., 2013; Jain et al., 2011). La M184I résulte d’une substitution nucléotidique plus commune que la M184V : elle émerge habituellement en premier puis elle est remplacée au bout de quelques semaines par la M184V (Frost et al., 2000). Enfin, la prévalence de M184VI semble significativement plus élevée chez les patients recevant un TAR à base de 3TC+TDF, plus souvent utilisé dans les pays du Sud, en comparaison à FTC+TDF (Marcelin et al., 2012).

Ø La mutation K65R est généralement sélectionnée par TDF, ainsi que par ABC, d4T et ddI, réduisant par 2 fois environ leur sensibilité (Garforth et al., 2014; Tang et al., 2013; Wensing et al., 2015)3. De plus, elle réduit d’environ 5 à 10 fois la sensibilité de 3TC/FTC. A

l’inverse, elle augmente la sensibilité à l’AZT. La K65R est généralement sélectionnée plus rapidement chez les patients infectés par le VIH-1 C (Garforth et al., 2014; Villabona-Arenas et al., 2016).

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Ø La mutation L74V/I est principalement sélectionnée par ABC et ddI et réduit respectivement par 5 et 2 fois leur sensibilité, en association avec la M184V/I. A l’inverse, elle augmente la sensibilité à l’AZT3. En outre, elle est occasionnellement sélectionnée par TDF

mais seule, elle est insuffisante pour diminuer sa sensibilité. Les mutations Y115F et K70E (rare), toutes les deux sélectionnées par ABC et TDF, réduisent uniquement la sensibilité à ABC (pour Y1115F) et TDF (pour K70E).

Ø La mutation Q151M est généralement combinée à au moins deux mutations accessoires (A62V, V75I, F77L et F116Y). On parle ainsi de « complexe Q151M », qui confère une multi-résistance à tous les INTIs, à l’exception du TDF (Wensing et al., 2015). D’autres mutations, entre les positions 62 et 72, semblent associées à ce complexe (T69N, K70G/Q ou délétion en position 69) (Iyidogan et Anderson, 2014). La Q151M requiert deux changements nucléotidiques engendrant des formes intermédiaires (ex. Q151KL) : elle n’est donc pas fréquente et survient dans un contexte d’échec virologique prolongé (Menéndez-Arias, 2013).

(2) Mutation de « déblocage » de l’élongation ou mutations des analogues de la thymidine (TAMs)

L’autre mécanisme de résistance aux INTIs implique des mutations qui modifient la structure de la RT et favorisent l’excision nucléotidique de certains INTIs, en inversant le sens de la réaction de polymérisation (Arion et al., 1998; Meyer et al., 1998, 1999). Cette réaction de pyrophospholise utilise comme co-substrats l’ATP (adénosine triphosphate), ou plus rarement le PPi (pyrophosphate ou diphosphate inorganique). Grâce aux mutations, ils entrent plus facilement à proximité du site des INTIs incorporées sous forme monophosphatée, en 3’ de l’ADN viral. La pyrophospolise va donc libérer les INTIs sous les formes respectives de dinucléoside tétraphosphate ou de nucléoside triphosphate, et permettre ainsi la restauration de la polymérisation de l’ADN viral. En outre, la réaction d’excision peut être bloquée par la translocation des dTNP naturels et INTIs avec l’ADN en un « complexe fermé ». Comme elles sont couramment sélectionnées par AZT et d4T, ces mutations sont souvent appelées « mutations des analogues de la thymidine » (TAMs, thymidine analogue mutations en anglais).

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Ø Les TAMs confèrent la résistance à AZT et d4T, mais également des résistances croisées avec TDF, ABC et ddI. Classiquement, il existe huit TAMs présentes à six positions différentes sur le gène de la RT : M41L, D67N, K70R, L210W, 215Y/F et K219Q/E. Il existe deux profils d’acquisition des TAMs (1 et 2), qui sont distincts tout en pouvant se chevaucher. Comme TAM-1 (M41L, T215Y, et L210W) engendre un « coût de fitness » viral plus faible, il survient plus fréquemment et cause une résistance plus forte que TAM-2 (D67N, K70R, K219Q/E, et T215F) (Gopalakrishnan et al., 2014; Hu et al., 2006; Marcelin et al., 2004).

En présence de pression antirétrovirale, L210W et T215F améliorent in vitro le « fitness » des souches possédant respectivement M41L et T215Y (TAM-1) et D67N, K70R et K219Q/E (TAM-2) (Hu et al., 2006). En l’absence ou non de pression antirétrovirale, T215Y possède un meilleur « fitness » que T215F et serait plus facilement transmise. Toutefois, les patients infectés avec des souches contenant T215YF développent rapidement les formes révertantes T215ACDEGHILNSV.

Comparées aux souches ayant des mutations « discriminantes » (K65R, L74V), les souches résistantes contenant déjà plusieurs TAMs sont plus susceptibles de continuer à en développer d’autres. Ainsi, la présence de 4 à 5 TAMs associées à la M184V/I correspond au profil résistance à tous les INTIs le plus courant (Tang et Shafer, 2012). L’accumulation des TAMs est souvent rapportée chez les patients en échec virologique dans les pays du Sud et dans ce contexte, leur nombre augmente avec la durée de TAR (Cozzi-Lepri et al., 2009; Messou et al., 2013; Tang et Shafer, 2012; Tang et al., 2013; Villabona-Arenas et al., 2016). Par ailleurs, la présence de TAMs pourrait atténuer la sélection de K65R chez les VIH-1 C (Invernizzi et al., 2013; Wensing et al., 2015).

On peut également observer de nombreuses mutations accessoires (ex. E40F, E44D et V118I), en associations avec les TAMs, qui pourraient contribuer à réduire la sensibilité des INTIs3. Dans ce contexte, la T69ins (substitution T69S + insertion ≥ 2 acides aminés en position

69) peut survenir de façon rare, créant un complexe qui confère la résistance à tous les INTIs. A noter que les TAMs sont rarement sélectionnées chez les patients infectés par le VIH-2 chez lesquels on observe plus souvent les mutations « discriminantes » aux INTIs (M184V et Q151M) (Charpentier et al., 2014, 2015).

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2.2.2.2 Résistance aux INNTIs

Le mécanisme de résistance aux INNTIs implique des mutations qui sont situées au niveau de leur site actif, dans la poche hydrophobe située à proximité du site de polymérisation de l’ADN (Figures 22 & 23) (Wensing et al., 2015). Ces mutations réduisent l’affinité des INNTIs à leur site actif ou elles leur en empêchent l’accès.

Ø Les mutations K103NS, Y181CIV, et G190GSA sont les plus communes, ainsi que

L100I, K101EP, V106AM, Y188CL et M230L. La présence d’une seule de ces mutations

majeures confère généralement la résistance aux INNTIs de 1ère génération (EFV et NVP). A

l’exception de K103NS et V106AM, elles réduisent aussi la sensibilité des INNTIs de 2ème

génération (ETR et RPV). Comparée aux INTIs et surtout aux IPs, la barrière génétique des INNTIs est plus faible, car une seule mutation suffit généralement à conférer une résistance à EFV/NVP et RPV. Bien que RPV et ETR aient une structure chimique similaire, la barrière génétique de l’ETR semble plus élevée. Comme ces mutations ont généralement peu d’impact sur le « fitness » viral, elles sont relativement bien transmises et persistent en l’absence de TAR (Castro et al., 2013; Jain et al., 2011). Il n’est donc pas recommandé de conserver EFV, NVP ou RPV en présence des mutations de résistance associées aux INNTIs.

Ø La mutation E138K peut être sélectionnée par RPV et ETR et semble réduire plus fortement la sensibilité de RPV lorsqu’elle est associée à M184VI. Toutefois, les mutations de cette position (E138AGKQ) représenteraient plutôt un polymorphisme génétique chez les VIH- 1 non B (Abecasis et al., 2015). Par exemple, E138A est présente chez 5% des VIH-1 C4.

Ø Les mutations en positions 181 et/ou 188 de la RT sont présentes chez les VIH-2 et de nombreux VIH-1 O (60%), conférant ainsi une résistance naturelle à tous les INNTIs (Ren et al., 2002; Tebit et al., 2016).

2.2.2.3 Résistance aux IPs

Le mécanisme de résistance aux IPs implique généralement des mutations situées dans les régions naturellement conservées du site actif de la protéase (mutations majeures) ainsi que des mutations plus à distance (mutations accessoires) (Figures 22 & 24) (Wensing et al., 2015).

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Les IPs sont des molécules à forte barrière génétique car ils nécessitent généralement d’accumuler plusieurs mutations de résistance pour voir diminuer significativement leur affinité de liaison avec le site actif de la protéase. Ainsi, la présence d’au moins 3 mutations est habituellement nécessaire pour conférer une résistance aux IPs les plus couramment utilisés (ATZ/r, LPV/r et DRV/r).

Figure 24. Structure de la protéase du VIH-1 et sites de mutation associés à une résistance aux IPs.

La protéase est un homodimère constitué de 99 acides aminés. Les zones d’interface entre les dimères sont représentées par des pointillés bleus. C’est une aspartyl protéase qui contient un motif conservé « DTG » dans chaque sous-unité, correspondant à Asp25-Thr26-Gly27, et qui représente le site actif de la protéase. En présence de

pression antirétrovirale, on peut distinguer les régions hautement conservées (jaune et lettres bleues), les régions naturellement variables (gris) et les régions naturellement conservées où apparaissent les principales mutations de résistance (vert) (modifié d’après Louis et al., 2011; Menéndez-Arias, 2013).

Ø Les mutations majeures sont souvent sélectionnées en premier et concernent les 13 positions suivantes: D30N, V32I, L33F, M46IL, I47AV, G48VM, I50LV, I54VTALM, L76V, V82AFTSL, I84V, N88DS et L90M (Figure 22 & 24) (Wensing et al., 2015)3. Généralement,

elles vont d’abord modifier les interactions de liaison entre les IPs et le site actif de la protéase, entrainant un réarrangement pour les ré-ajuster. Il en résulte une baisse de la capacité réplicative du virus. Même si certaines de ces mutations sont spécifiques d’un IP (ex. I50L pour ATZ), la plupart d’entre elles entrainent une résistance croisée aux autres molécules de la classe, d’autant plus forte que le nombre de mutations est élevé.

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Ø Les mutations accessoires viennent ensuite s’accumuler pour améliorer le « fitness » viral et renforcer ainsi la résistance. Certaines d’entre-elles représentent communément des polymorphismes génétiques chez les VIH-1 non B (Vergne et al., 2000; Wensing et al., 2015).

2.2.2.4 Résistance aux INIs

Quatre positions principales de mutations majeures aux INIs de 1ère génération (RAL et

EVG), situées à proximité du site actif de l’intégrase, ont été décrites : E92, G140, Q148 et

N155 (Figure 22 & 25) (Menéndez-Arias, 2013; Wensing et al., 2015). Située légèrement en

dehors du site actif, la position Y143 interagit aussi avec RAL.

Figure 25. Structure du site actif de l’intégrase du VIH-1 et sites de mutation associés à une résistance aux INIs.

Le site actif de l’enzyme (acides aminés 50-212) contient notamment le motif « DDE » correspondant à Asp64-

Asp116-Glu152 (bleu) et les cations Mg2+ sont indiqués en violet. Les principales positions de mutations sont

indiquées en rouge (modifié d'après Menéndez-Arias, 2013).

Il existe trois profils distincts d’acquisition de résistances avec RAL, définis par la présence d’une mutation majeure plus ou moins souvent accompagnée d’au moins une mutation accessoire : (1) « Voie Q184 » (plus fréquente) inclut Q148HKR avec souvent G140AS et/ou

E138AK, ou L74M parfois ; (2) « Voie N155 » inclut N155HST, avec occasionnellement

L74M, E92Q, T97A, G136R ou V151I ; (3) « Voie Y143 » (plus rare) inclut Y143CHR, avec parfois L74AI, E92Q, I203M et S230R. Certaines mutations accessoires peuvent représenter des polymorphismes génétiques chez les VIH-1 non B (Monleau et al., 2012).

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Ø La mutation Q184HKR réduit entre 5 et 100 fois la sensibilité de RAL/ELV si elle est seule, et de plus de 100 fois lorsqu’elle est associée avec G140SA. Cette association réduit aussi de 10 fois la sensibilité de DTG. La plupart des mutations associées au RAL sont croisées avec ELV, sauf la « voie Y143 » qui est plus rare. De plus, la mutation E92Q seule confère une plus forte résistance à ELV que RAL. Il existe aussi des mutations majeures qui sont spécifiques à ELV, comme T66IAK ou S147G. Le DTG possède une barrière génétique plus élevée que les molécules de 1ère génération (RAL et ELV) et il semble possible de l’administrer chez des

patients en échec virologique avec des souches résistantes à RAL/ELV (Castagna et al., 2014).

2.3 Analyse et interprétation de la résistance