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Organiser la participation : Comment ?

Faire les PPRT en concertant : quelques réflexions issues d’expériences en cours

3. Organiser la participation : Comment ?

Les études de terrain ont permis d’appréhender les attentes des acteurs territoriaux quant à la manière dont leur participation devait se dérouler dans le cadre des PPRT. Ci-dessous sont présentées, par catégorie d’acteur, un certain nombre de propriétés régulièrement identifiées lors des différents contextes examinés.

L’Etat : d’une philosophie gestionnaire à une ingénierie de la participation

L’Etat, en tant que responsable du projet PPRT, développe en premier lieu une philosophie gestionnaire qui l’amène à penser la participation comme un projet dont il est nécessaire d’estimer les délais, les contraintes et les ressources. S’ensuit

93 Renn O., The role of stakeholders involvement in risk communication, Research report, Centre for

Technology Assessment, Stuttgart, 1996.

94 Mazri C., Apports méthodologiques pour la structuration de processus de décision publique en

naturellement une planification du déroulement des PPRT qui, par région, peuvent parfois difficilement être menés simultanément en raison de l’importance des ressources consommées. Il est intéressant de relever à ce niveau que ces échelonnements donnent parfois lieu à une méfiance de la part des autres acteurs territoriaux qui pensent y percevoir un manque d’engagement ou un faible avancement dans la réalisation des PPRT.

En plus de cette philosophie gestionnaire, l’Etat s’intéresse à la dimension procédurale de la participation. En effet, il s’agit tout d’abord de coordonner les différents services (DRIRE, DDE, préfecture et/ou sous-préfecture) en vue de combiner efficacement ces différentes compétences. Dans un second temps, l’Etat s’intéresse à l’identification des personnes et organismes associés (POA) qui participeront à la co-élaboration de la stratégie PPRT. Enfin, sont déterminées les modalités de concertation et d’association à adjoindre à l’arrêté de prescription qui marque le début officiel de la procédure PPRT.

Au-delà de ces démarches gestionnaires et procédurales, les services de l’Etat se lancent de plus en plus dans une ingénierie de la participation qui s’intéresse à définir les outils de communication et de débats les plus à mêmes à répondre aux spécificités de leurs contextes (nombre d’acteurs, types de médias pertinents pour les atteindre, niveau de culture locale du risque…). A titre d’exemples, peuvent être cités les sites Internet dédiés aux PPRT, la mise en place de communications régulières (lettres PPRT…), le recours à d’autres dispositifs de participation (SPPPI95 par exemple) pour

compléter les débats ayant lieu au sein des comités locaux d’information et de concertation (CLIC). D’autres initiatives remarquables peuvent aussi être considérées, à l’image de la DRIRE Alsace qui a fait appel à un prestataire en communication pour organiser et définir les outils de communication à mettre en place avec les acteurs locaux. La DRIRE Provence Alpes Côtes d’Azur a elle eu recours à une étude préalable de sensibilité des territoires pour identifier, en amont des PPRT, les enjeux importants qui devront être considérés, ainsi que les attentes des acteurs locaux en termes de débats et de participation.

Les collectivités territoriales : conjuguer sécurité des populations et développement économique

En tant que gestionnaires de leurs territoires et au regard des pouvoirs de police qui leur sont attribués, les élus locaux doivent mener de front des politiques de développement sociales et économiques tout en s’assurant de la préservation de la sécurité des populations. Or, ces objectifs peuvent parfois se trouver en conflit du fait des fortes contraintes que peuvent imposer sur le territoire les servitudes d’utilité publiques liées à certaines installations classées.

Par conséquent, l’entrée des élus dans la participation s’effectue avec l’espoir de trouver un équilibre conciliant les deux objectifs suscités. Pour cela, leurs attentes en termes de modalités de réalisation de la participation sont les suivantes :

- S’assurer que toutes les contraintes relatives au territoire sont effectivement prises en compte. Les décisions auxquelles aboutira le PPRT se doivent d’être réalistes et réalisables dans la mesure où les élus seront en première ligne pour en gérer les conséquences ;

- Une attente forte est aussi la transparence et la véritable co-construction des décisions. Toute démarche participative se doit d’avoir comme première qualité la transparence et la démonstration que « tout n’est pas joué d’avance » ;

- L’amélioration de l’accessibilité aux débats en évitant, autant que possible, un langage trop technique et inaccessible aux profanes ;

- Du point de vue des collectivités locales, il est important de noter aussi que la communication avec les populations doit, en premier lieu, passer par les élus car ils demeurent les premiers représentants de ces populations.

En résumé, les démarches participatives sont vues par les élus comme des démarches nécessairement collaboratives dans la mesure où ils sont, de la même manière que l’Etat, décideurs sur leur territoire. De ce fait, la participation doit permettre, à travers la simplification du langage et la transparence, un débat d’égal à égal entre l’ensemble des participants.

Les associations environnementales et les riverains

Les associations environnementales et riverains interrogés lors de nos enquêtes s’accordent le plus souvent à identifier un certain nombre de qualités que toute démarche participative devrait respecter. Ces qualités sont :

- Le non cloisonnement des sujets de débats. Une démarche participative se doit de traiter l’ensemble des sujets de débats ayant un intérêt pour chaque participant. Il ne s’agit pas de traiter exclusivement des questions souhaitées par certains et d’éluder « les sujets gênants ».

- Une ouverture maximale des débats. Une propriété fortement souhaitée de la part des riverains et associations environnementales est la promotion, autant que possible, de la représentation directe. En d’autres termes, toute représentation individuelle ou collective doit, autant que possible, être préférée à une représentation institutionnelle, quelle qu’elle soit.

- Une propriété régulièrement rejetée par le milieu associatif et les riverains est le caractère trop institutionnalisé de certaines structures participatives qui empêche le débat de se développer. De plus, dans certains cas, la mise en place d’une démarche participative organisée et fortement cadrée est non pas vue comme une ingénierie de la participation96 mais plutôt comme une tentative de manipulation pour pouvoir

orienter les débats selon les souhaits de l’organisateur.

Au regard des différentes observations présentées ci-dessus, les questionnements méthodologiques suivants peuvent en être déduits :

- Les démarches d’ingénierie de la participation développées par l’Etat en vue d’organiser et de planifier le déroulement des PPRT étant nécessaires, quelle place et quels apports pour ces démarches dans le cadre des PPRT sachant qu’elles peuvent être considérées comme des tentatives de manipulation des débats ?

- Au regard des différentes attentes exprimées par les acteurs sur la manière dont devrait se dérouler une démarche participative, se pose la question de ce qu’est une bonne démarche participative. En d’autres termes, pouvons-nous identifier des

96 Ingénierie de la participation dans le sens où l’on s’intéresse à définir les outils participatifs adaptés

critères permettant de qualifier la qualité d’une démarche participative mise en place ?

Ingénierie de la participation : Définition et problématique

L’INERIS propose de considérer comme définition de l’ingénierie de la participation l’ensemble des approches, méthodes ou outils qui visent à apporter des réponses partielles ou complètes aux questionnements suivants97 : Quels objectifs pour la

démarche participative à mettre en place ? Quels sont les acteurs pertinents à considérer ? Pour chacun de ces acteurs, quel niveau de participation prévoir ? une simple information, une consultation ou une implication ? A quels sujets de débats devra s’attaquer la structure participative ? Quels canaux de communication privilégier avec les différents acteurs identifiés ?

Relativement à cette définition, il est important de noter ici les éléments d’information suivants :

- Pour élaborer une démarche participative, il est nécessaire d’apporter des réponses exhaustives à l’ensemble des questions posées ci-dessus. En effet, même si chacune de ces questions peut être abordée par des approches et méthodes distinctes, élaborer une démarche participative nécessite de considérer l’ensemble de ces questions. Ainsi, pour exemple, ne pas définir, au préalable, les objectifs de la démarche participative aboutit à laisser place, tel que présenté plus en amont dans ce document, aussi bien à une vision régalienne qu’à une vision plus ouverte de la participation. Or, appliquer indistinctement l’une ou l’autre de ces visions sans considérer au préalable les objectifs de la participation peut aboutir à des conséquences importantes sur l’aboutissement du processus de décision ou sur l’acceptabilité des décisions finales.

- Réfléchir à une ingénierie de la participation peut aussi bien s’effectuer en vue d’assurer « le meilleur débat possible » que dans une optique de manipulation des débats en faveur d’un ou plusieurs acteurs. Pour exemple, sélectionner les sujets de débats à aborder peut servir à mettre plus en avant les enjeux de certains acteurs par rapport à d’autres. Or, une telle ingénierie demeure nécessaire si l’on souhaite gérer la complexité générée du fait de la difficulté des sujets de débats abordés98 et le

nombre potentiellement important d’acteurs impliqués. De ce fait, il est important pour les services de l’Etat d’expliquer la pertinence des choix effectués quand il s’agit de la définition des modalités de concertation et d’association de manière à démontrer leur apport en vue de l’organisation d’un débat de qualité.

- Enfin, pour répondre à l’ensemble de ces questions, une parfaite connaissance du contexte technique, économique et social dans lequel cette concertation doit s’insérer est nécessaire. Les connaissances ici en question peuvent être de natures très diverses : historique des relations entre acteurs, enjeux et projets des différents acteurs, contexte socioéconomique local. Or, ces connaissances ne peuvent être recueillies qu’auprès des acteurs locaux avec qui la concertation doit être menée. Par conséquent, l’ingénierie de la participation ne peut se passer des acteurs locaux à qui elle se destine. En d’autres termes, l’élaboration d’une démarche participative est en

97 Cf. Mazri C., op. cit.

98 Notamment dans le cadre du PPRT où les problématiques d’aménagement du territoire tiennent une

soit un processus participatif99. Un exemple de cet état de fait est donné par la DRIRE

PACA, qui, en prévision des PPRT à venir sur son territoire, s’est intéressée à répondre aux questions précisées en amont. Pour cela, elle s’est appuyée, dans le cadre d’une démarche d’ouverture, sur une enquête auprès des acteurs territoriaux en vue de mieux comprendre leurs objectifs, enjeux et intérêts pour certains sujets de débats.

En résumé, l’ingénierie de la participation peut être d’un apport important dans le cadre des PPRT dans la mesure où elle permet d’organiser des débats qui peuvent impliquer un nombre important d’acteurs et porter sur des sujets très variés tels que la réduction des risques à la source, la maîtrise de l’urbanisation existante et future, les conventions financières, etc. Une telle organisation des débats est aussi un outil permettant de conjuguer la nécessaire philosophie gestionnaire de l’Etat et les attentes variées exprimées par les différents acteurs présentés ci-dessus.

Les critères d’évaluation d’une démarche participative

Pour évaluer une démarche participative, deux possibilités existent100 : 1) en se

basant sur l’évaluation a posteriori qu’en font les différents acteurs ayant été plus ou moins impliqués dans la démarche participative en question. Une telle évaluation est conforme à une rationalité substantive dans la mesure où elle évalue le processus participatif en fonction des résultats qu’il a générés ; 2) en se basant sur une évaluation en cours de déroulement du processus participatif sur la base de critères procéduraux. Une telle démarche est conforme une rationalité procédurale dans la mesure où elle évalue le processus participatif sur la base de ses propriétés et non de ses résultats.

Il nous semble qu’une évaluation procédurale est plus adaptée, et ce essentiellement pour deux raisons :

- Tout gestionnaire d’un processus participatif a besoin d’une évaluation durant le déroulement du dit processus de manière à y apporter les corrections et amendements nécessaires. Toute évaluation a posteriori est tardive au regard d’un tel objectif.

- Les évaluations faites par les participants peuvent être empreintes du leur degré de satisfaction quant à la prise en compte ou non de leurs intérêts propres. Or, dans de nombreux cas, les décisions ne peuvent satisfaire l’ensemble des parties prenantes, ce qui ne veut pas dire que ces décisions sont mauvaises ou que l’intérêt général n’ait pas été respecté. Par conséquent, le niveau de satisfaction des acteurs est un indicateur biaisé de la qualité du processus participatif.

Au regard d’une telle démarche procédurale, les critères d’évaluation suivants peuvent être considérés101 :

99 Cf. Mazri C., op. cit.

100 Simon H., « A behavioural model of rational choice », The quarterly journal of Economics, vol. 69,

1954, p. 99-118.

101 D’après Habermas J., Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987. Voir également :

Webler T. « “Right” discourse in citizen participation : an evaluative yardstick », in Renn O., Webler T., Wiedemann P. (eds.), Fairness and competence in citizen participation, Dordrecht, Kluwer Academic Press, 1995, p. 35-77.

- Equité : Le terme désigne ici la possibilité donnée aux acteurs d’accéder aux débats. Un processus participatif équitable est un processus permettant à tout acteur qui le souhaite d’accéder aux débats. Cette équité peut prendre différentes formes : équité dans l’accès à la parole pour présenter ou défendre des arguments ; équité dans l’accès à la meilleure connaissance disponible en vue de défendre et de porter ses arguments ; équité dans le nombre de représentants des différentes catégories d’acteurs102.

- Compétence : une bonne démarche participative est une démarche permettant d’augmenter le niveau de participation des acteurs en fonction de l’augmentation des niveaux de ressources qu’ils peuvent mobiliser pour permettre le succès du processus participatif. Les ressources en question peuvent être ici aussi de plusieurs ordres : un pouvoir décisionnel ; une connaissance pertinente pour une meilleure compréhension du problème et des enjeux qui lui sont associés (ces connaissances peuvent aussi bien être scientifiques, à l’image de celles d’un expert, que contextuelles, à l’image de celles que possèdent les acteurs du territoire) ; un capital social important (par exemple, un acteur qui a la confiance d’un groupe de personnes est plus légitime pour les représenter, et donc participer au débat, qu’un acteur à qui cette représentativité n’est pas reconnue).

- Efficience : une bonne démarche participative est celle qui permet d’implémenter les conditions d’équité et de compétence avec le minimum de ressources. Dans le cas des PPRT, le délai de 18 mois fixé par la réglementation est un exemple de l’importance de ce critère lors de l’implémentation de démarches participatives, notamment dans le cadre des décisions publiques.

Les trois critères présentés ci-dessus peuvent être utilisés comme des objectifs idéaux qu’il s’agit d’essayer d’atteindre par des améliorations continues tout au long du processus. En effet, c’est en se posant la question de la conformité de son processus participatif à ces trois critères que l’on peut définir les actions d’amélioration à entreprendre, et ce, durant le déroulement du processus participatif en question. 4. Conclusion

Le travail présenté ci-dessus s’appuie aussi bien sur des études pratiques que sur des réflexions théoriques. Ainsi, sur la base d’études de terrain menées sur des PPRT approuvés ou en cours d’élaboration, la mise en lumière de questionnements récurrents a permis de remonter vers des problématiques théoriques qu’il nous semble important de partager, notamment avec le monde académique.

Ces problématiques que sont la définition d’une ingénierie de la participation ainsi que l’élaboration de critères d’évaluation des processus participatifs nécessitent la conjugaison de disciplines très variées. Cela appelle donc à une appropriation forte par la communauté académique de ces questionnements dans la mesure où les enjeux qui leur sont associés sont importants.

En effet, la réussite de l’action publique de manière générale, et celle des plans de prévention des risques technologiques en particulier, nécessite une acceptation, voire une implication, des acteurs locaux pour passer d’un PPRT approuvé à un PPRT appliqué.

L’après-loi Bachelot des associations de protection de