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Conclusion — Des dispositifs participatifs ambivalents Jean-Pierre Galland

S’il est de notoriété publique que la loi Bachelot a constitué une réponse politique à la catastrophe d’AZF de 2001, avec la mise en avant de son dispositif phare, le PPRT, il est peut être moins reconnu que la catastrophe a contribué à ouvrir la question des risques industriels à la discussion publique et ce, à deux niveaux. Au premier niveau, local, l’implication de la population toulousaine, à travers de nombreuses associations, a eu un impact non négligeable sur une série de décisions importantes (modifications de certains process industriels et surtout fermeture d’une usine pour des raisons de sécurité, en dehors de tout impératif économique). Au deuxième niveau, national, l’instauration réglementaire du dispositif CLIC par la loi Bachelot constitue une tentative de généralisation et d’organisation de la participation du « public » à la gestion des risques industriels. Mais évidemment, ce qui s’est fait spontanément d’un côté, avec une mobilisation importante de la « société civile » dans l’immédiat après-AZF en région toulousaine, ne se « transpose » pas, ni ne s’organise facilement dans d’autres lieux, lorsque l’administration se doit d’une certaine manière de routiniser le procédé pour mettre en œuvre cette partie précise de la loi.

Tout d’abord, les dispositifs prévus par la loi Bachelot supposent à minima, du côté des services déconcentrés de l’Etat, un partenariat fort entre DRIRE et DDE, ce qui en raison de cultures historiquement différentes, ou pour des raisons de personnes, est loin d’être évident à construire rapidement. Dans le meilleur des cas, une équipe interministérielle a été constituée, qui s’est entre autres choses attelée à cette tâche nouvelle d’organisation de la participation du public, dans et hors du cadre des CLIC. Hors du cadre des CLIC, l’essentiel de l’organisation de la participation du public à la gestion des risques industriels a résidé, en Alsace, dans la mise en place d’un site Internet interactif dans le cadre des PPRT en cours d’étude. Or, la participation du public, via ce site Internet ou les registres déposés en mairie, a été nulle : même si le site a été fréquenté à des fins d’information, aucune question n’y a été déposée. Les représentants des DRIRE et DDE se disent bien sûr déçus de ce constat, surtout compte tenu de l’investissement nécessaire pour la mise en place de ces outils de concertation. Mais la participation effective du public est-elle le seul critère à retenir pour considérer cette expérience comme un échec ? Peut-être faut-il distinguer deux aspects : celui de la conception d’une ingénierie de la participation et celui de l’évaluation de ses performances76.

L’organisation de la concertation dans le cadre des CLIC pose, elle, des problèmes de nature différente. Le dispositif CLIC apparaît d’un côté comme un mécanisme imposé et rigide, alors qu’il est de l’autre adaptable aux situations locales et aux intérêts en

76 La question, transversale à de nombreux domaines, de l’évaluation des dispositifs participatifs, a fait

l’objet d’un certain nombre de travaux, plutôt anglo-saxons, et d’un séminaire récent à Paris : Qui est

vraiment prêt pour évaluer la concertation ?, Séminaire du programme Concertation Décision

présence. Si la typologie des divers collèges du CLIC est imposée, la manière concrète de composer chaque collège, en particulier celui des riverains, est sujette à interprétations diverses. Si le CLIC constitue un nouveau dispositif de concertation qui s’ajoute à et se distingue d’autres dispositifs préexistants sur des questions connexes (SPPPI), il doit bien, sur le terrain, composer avec ces dispositifs divers et se voir comparer à eux. Sur ce plan, il est indéniable que les CLIC « parlent » moins aux habitants, et même peut-être aux associations de défense de l’environnement, que les SPPPI ou les Conférences riveraines, ne serait-ce que parce que n’y sont justement pas abordés, par construction, les sujets qui touchent le plus sensiblement les populations concernées (nuisances olfactives par exemple). Inversement, les cartographies des risques, présentées forcément trop vite en séance, sont nécessairement sélectionnées ou simplifiées par les industriels ou les agents de l’Etat, ce qui « frôle la manipulation ».

Cela étant dit, les services techniques de l’Etat (DRIRE et DDE)77 semblent désormais

engagés dans une mutation importante, mutation amorcée à Toulouse dans l’immédiat post-AZF qui se poursuit aujourd’hui dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 30 juillet 2003. Nombre de ces agents considèrent en effet, qu’en matière de risque industriel, leur légitimité à intervenir ne repose plus seulement sur leur seule expertise technique, mais aussi sur leur capacité à organiser et à s’appuyer sur le débat public pour préparer les décisions. Reste la question, ambivalente, du rapport de ces agents avec les autres services déconcentrés de l’Etat, en particulier avec les préfets et sous-préfets. Vus depuis ces agents, les préfets et sous-préfets sont parfois vus comme des « limiteurs » de la concertation et de l’ouverture au « public », mais aussi parfois comme ceux qui sont finalement les seuls à pouvoir prendre les décisions difficiles ou désagréables.

77 Les services techniques des collectivités territoriales, sauf ceux qui relèvent d’éventuelles EPCI,

Partie 5

La prévention des risques industriels à l’épreuve de la