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La démocratie locale : variété des définitions et des dogmes

Faire les PPRT en concertant : quelques réflexions issues d’expériences en cours

2. La démocratie locale : variété des définitions et des dogmes

Force est de constater lors des différents entretiens menés auprès de l’ensemble des acteurs rencontrés que la définition même de démocratie locale ou démocratie participative invoque des compréhensions et définitions fondamentalement différentes. De manière un peu schématique, nous pouvons regrouper les visions rencontrées en deux grands ensembles.

Une vision toujours régalienne de la démocratie locale

Conformément au modèle de l’instruction publique défini par Michel Callon92, la

démocratie locale est vue comme un outil pédagogique à vocation purement informative. Il s’agit d’expliquer aux acteurs non experts les décisions et choix techniques qui ont été effectués au regard d’expertises techniques poussées.

Dans un tel cas, les acteurs institutionnels sont vus comme légitimes et garants de l’intérêt public. Plus précisément, la légitimité représentative est considérée comme suffisante et l’attribution de toute responsabilité à un acteur justifie, du coup, l’attribution de la légitimité à prendre des décisions dans le cadre de ces responsabilités. Quant à l’intérêt public, celui-ci n’est pas considéré comme étant multiple et socialement construit, il est plutôt vu comme unique et devant être partagé par l’ensemble des acteurs.

Enfin, une méfiance s’exprime quant à l’ouverture à un véritable débat participatif, et ce, pour plusieurs raisons. Les principales étant : la technicité des débats et leur inaccessibilité aux profanes ; l’existence de fantasmes et peurs irrationnelles chez les populations quand il s’agit de débattre de risques technologiques ; la prédominance d’intérêts individuels divers au détriment de l’intérêt général visé ; la lenteur et complexité des procédures participatives.

Une vision « participative » de la démocratie locale

Dans le cadre de cette vision, les démarches participatives sont vues comme des outils d’information et de sensibilisation ; mais aussi comme outils de partage des connaissances et de collaboration en vue d’une prise de décision partagée. La nécessité du caractère partagé de la décision se justifie ici pour les raisons suivantes : 1) le processus PPRT nécessite, pour son aboutissement, de mobiliser aussi bien des connaissances scientifiques abstraites et reproductibles fournies par les experts que des connaissances contextuelles fournies par les acteurs locaux. De ce fait, un échange dans les deux sens s’impose si l’on souhaite mobiliser l’ensemble des

92 Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie

connaissances nécessaires à la prise de décision ; 2) la légitimité des décisions qui seront prises ne peut se construire que si l’ensemble, ou du moins une grande majorité, des acteurs partage le constat de la pertinence de ces décisions et de leur apport à la préservation de l’intérêt général ; 3) l’application des mesures PPRT nécessitant l’implication et l’accord d’acteurs autres que l’Etat, il est important de s’assurer au préalable de l’applicabilité et de l’acceptabilité par ces acteurs des conclusions et orientations définies dans le PPRT.

Une grande variété d’interprétations

La coexistence de ces deux visions au sein des mêmes corporations d’acteurs dénote la grande variété d’interprétations qui cohabitent aujourd’hui concernant la place, les apports et les limites des démarches participatives dans le contexte français. Il nous semble que dans le contexte des PPRT, une telle variété s’explique par les facteurs suivants :

- Une position de l’Etat difficile à apprécier : en définissant des procédures de concertation et d’association au sein de la démarche PPRT, l’Etat souhaite inviter les acteurs territoriaux à participer, à différents niveaux, aux choix qui seront effectués en termes d’aménagement de l’urbanisation existante et future sachant l’ensemble des conséquences sociales et économiques sous-jacentes. Néanmoins, l’Etat demeure le seul décideur final dans la mesure où le préfet, en tant que garant de la sécurité publique, est au final l’unique décideur en charge de fixer les orientations et conclusions du PPRT. Par conséquent, l’Etat invite les acteurs locaux à une démarche collective où il demeure le décideur final unique. Une telle situation est de nature à permettre la mise en place des deux visions de la démocratie locale présentées en amont. Ainsi, elle peut aussi bien s’effectuer dans le cadre d’une démarche régalienne où seule une information a posteriori est effectuée une fois les décisions prises avec pour objectifs d’expliquer et de convaincre les acteurs locaux. D’un autre coté, il est parfaitement envisageable de mettre en place une véritable collaboration visant à construire, avec l’ensemble des acteurs locaux, une stratégie PPRT partagée et reflétant une vision commune de l’intérêt général.

- Des choix de modalités de concertation et d’association laissées à l’appréciation des préfets : dans le cadre des PPRT, c’est le préfet qui détermine les modalités de concertation et d’association conformément à l’article L515-22 de la loi du 30 Juillet 2003. Un tel choix se justifie du fait de la variété des contextes locaux et de l’impossibilité de déterminer une configuration de concertation et d’association unique sur le territoire national et qui convienne à la grande variété des contextes territoriaux dans lesquels les PPRT vont se développer. Par conséquent, et en fonction des choix et orientations définis par le préfet, différentes visions de la concertation peuvent se retrouver en application sur le terrain.

- Le caractère très incomplet des connaissances méthodologiques sur le sujet : la question de savoir « comment faire une bonne concertation ? » demeure aujourd’hui fort difficile à aborder d’un point de vue méthodologique. Par conséquent, et dans le cadre de professions techniques où la rigueur méthodologique tient lieu de maître mot comme cela est le cas dans le domaine de l’analyse des risques, se lancer dans des processus complexes, à forts enjeux, sans pour autant disposer de l’ensemble des assurances méthodologiques demeure un choix parfois difficile à faire.

Face à un tel constat, quelle réponse méthodologique apporter dans le cadre des PPRT ?

Quelles réponses méthodologiques ?

Abordée sous l’angle de la communication des risques, la participation peut être vue par les deux angles cités ci-dessus. En effet, la communication des risques se définit comme « le processus interactif d’échange d’informations et d’opinions entre individus, groupes et institutions. Les sujets considérés dans le cadre de ces échanges ne traitent pas exclusivement des risques et permettent d’exprimer les inquiétudes, opinions et réactions face à toute disposition liée à la gestion des risques93 ». Par

conséquent, la communication des risques peut être appliquée à différents niveaux : la simple information, la consultation ou l’implication accompagnée d’un partage du pouvoir décisionnel.

Néanmoins, il est important de comprendre que ces différents modes de communication des risques doivent être liés à des objectifs adéquats. En effet, les démarches d’information se révèlent pertinentes quand les objectifs poursuivis sont de l’ordre du marketing social ou de la démonstration des efforts fournis94.

Dans le cas où les objectifs de la communication des risques deviennent plus ambitieux, à savoir, la prise de décision ayant des impacts sur différents acteurs, il devient évident qu’une simple démarche d’information ne peut satisfaire les parties prenantes. Ce sont plutôt des démarches de consultation ou d’implication qui s’avèreront pertinentes et acceptables par l’ensemble des acteurs.

Par conséquent, et en fonction de la phase du PPRT et des objectifs qui lui sont liés, de simples démarches d’information ou des démarches plus interactives peuvent s’avérer toutes deux pertinentes.

De ce fait, plutôt que de savoir quelle vision de la démocratie locale il s’agit d’appliquer, il est nécessaire d’aller plus en profondeur pour se poser la question des objectifs exacts que l’on souhaite assigner à une telle démarche participative. En fonction des objectifs définis, des démarches d’information, de consultation ou d’implication peuvent être appliquées distinctement ou conjointement.

Sachant l’importance de la définition d’objectifs précis pour les démarches participatives, une question naturelle qui se pose est celle liée au comment : comment définir une démarche participative adaptée aux objectifs définis ?