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Chapitre 4. Organisation et réseaux urbains

4.1. Portrait d’une ville particulière: El Alto

4.1.1. Organisation sociospatiale d’El Alto

El Alto est reconnue comme étant une ville marginale et différente des autres villes latino- américaines comme Lima et Quito (Lazar, 2008 :31). Lazar explique cette différence par son organisation spatiale particulière :

El Alto has a spoke-like spatial structure. Its centers are the commercial districts of the Ceja, which is also the point at which you leave El Alto to travel to La Paz, and to its north the 16 de Julio, which hosts an enormous market on Thursdays and Sundays. […] The mestizo residents of El Alto are concentrated in the middle-class districts of Ciudad Satelite in the south and the up-and-coming Villa Adela district to the west of the airport. […] The very outlying districts, especially those in the northern part of the city, are the poorer and newer ones, with less infrastructure and more first-generation migrants. Between the two lie middling zones, where public utilities may exist, but coverage is patchy adobe with some made of brick; and some, but not all, roads are paved. So, the city certainly has hierarchies of class and race within its borders, but the racial stratification and segregation so evident in La Paz, Quito, Lima Cochabamba, and other Latin American cities is less stark here (Lazar, 2008: 31-32).

Cette différence s’expliquerait, entre autres, par sa fondation récente – elle n’est pas construite sur un modèle architectural colonial comme plusieurs autres villes d’Amérique latine – ainsi que par la situation économique précaire de ses habitants, laquelle prévaut à la grandeur de la ville, à l’exception de quelques secteurs centraux. En effet, seulement 35% des résidents d’El Alto ont des installations sanitaires à l’intérieur de leurs demeures, comparativement à 65% pour La Paz (Arbona, 2007 :132). Aussi, 65% des résidents de La Paz auraient accès à de l’eau à l’intérieur de la maison contre 35% à El Alto (Arbona, 2007 :

132). Plus généralement, concernant El Alto, selon le recensement de 2001, « 48 percent of its residents lived in moderate poverty, 17 percent in extreme poverty, and 0.5 percent in marginal conditions; 25 percent live ‘on the verge’ of poverty » (Lazar, 2008: 32).

Par ailleurs, une analyse sociospatiale de la ville d’El Alto « révèle une structuration concentrique de la ville de El Alto, avec trois anneaux correspondant à des strates historiques distinctes » (Mazurek et Garfias, 2005 dans Poupeau, 2011 : 425) (voir illustration 2). En fait, l’urbanisation d’El Alto s’est réalisée par couche, c’est-à-dire que les premiers migrants se sont installés près de La Ceja, c’est-à-dire au centre de la ville où est situé le secteur commercial. Au fil des vagues migratoires, les nouveaux résidents se sont installés en périphérie, s’éloignant toujours un peu plus du centre et des services. Plus on s’éloigne de La Ceja, plus on retrouve des quartiers récents, composés de maisons autoconstruites, en adobe (un mélange de terre et de paille moulé en forme de brique) et en terre, sans services (eau, électricité et assainissement). « Après avoir négocié le prix d’un petit lot de terre avec les quelques résidents déjà en place, ces « nouveaux propriétaires » fabriquent eux-mêmes des briques d’adobe en creusant la terre de leur parcelle : ils s’en servent pour construire un muret de séparation et monter les quatre premiers murs de la maison, avant de les couvrir avec des plaques de tôle » (Poupeau, 2011 : 431).

Illustration 2 : Carte d’El Alto

Malgré certains problèmes structurels, comme la pauvreté et l’accès difficile au logement, El Alto n’est pas une ville que l’on pourrait qualifier de « misérable ». Au contraire, elle est de plus en plus reconnue pour son activité industrielle et l’importance du commerce de gros et de détail (Poupeau 2011 : 428). Les zones près du centre d’El Alto s’embourgeoisent progressivement et les logements y sont des plus prisés et dispendieux. C’est d’ailleurs un des facteurs qui explique pourquoi certains résidents vendent ou louent leurs maisons près de La Ceja afin de s’établir en périphérie de la ville (Poupeau, 2011). Nestor, un participant à ma recherche qui réside à El Alto, me dit à ce propos : « Je vis dans un vieux quartier, parce que mon père fut l’un des premiers migrants d’El Alto, c’est-à-dire, je vis au centre, presque dans La Ceja. […] Les gens où je vis ont beaucoup de ressources, ils ont beaucoup d’entreprises, ils ont beaucoup d’argent » (Nestor). Pour Poupeau, la ville d’El Alto « s’inscrit dans les grandes tendances contemporaines du développement urbain (extension périphérique, informalité, recomposition du modèle concentrique, etc.) et génère un mouvement propre de fabrication d’identités » (2011 : 437) qui correspond de moins en moins à la « ville aymara » ou « ville rebelle ». Les résidents d’El Alto s’inscrivent maintenant en partie dans une démarche de recherche de reconnaissance de leur « existence dans le quartier », c’est-à-dire qu’ils sont mobilisés relativement à leurs conditions de vie immédiates, soit pour l’accès à une propriété et à des services de base (Poupeau, 2011 : 437). Les Alteños sont aujourd’hui moins mobilisés dans des luttes plus générales.

Par ailleurs, Lazar (2008 : 186) souligne que plusieurs des résidents d’El Alto s’identifient plutôt avec le terme de vecino pour décrire leur appartenance au territoire urbain. Elle précise que: « the term vecino means neighbour, so it is a person-to-person relationship, but it is also a category that roots someone to a particular place, meaning resident or inhabitant. Vecino is in many ways the most important local term for citizens in El Alto today » (Lazar, 2008: 186). En ce sens, Poupeau ajoute : « Plus que l’ethnicité, c’est l’appartenance territoriale qui semble définir le rapport à la communauté du quartier : être vecino, c’est-à-dire un résident appartenant au voisinage, renvoie alors aussi bien à des relations de sociabilité territorialisées qu’à un engagement politique local et ciblé sur les services de base » (Poupeau, 2011 : 435). L’appartenance au territoire urbain des Alteños se manifeste notamment par leur engagement dans diverses associations citoyennes, dont les conseils de quartier (j’y reviendrai à la section

4.5.). Quant au cas particulier des participants à ma recherche résidant à El Alto, ils se sont plutôt identifiés comme étant d’abord et avant tout Aymaras et non Alteño ou vecino.