• Aucun résultat trouvé

Le second chapitre de cette étude est consacré à l’organisation interne de la

Congrégation de la Purification grenobloise. Nous souhaitons, en évoquant les différentes charges occupées par les femmes à la Congrégation, indiquer au lecteur à quel point les Dames puisent à la source de la vie religieuse des monastères pour organiser la leur.

Certes laïques, les Dames de la Congrégation de la Purification n’en restent pas moins

attachées à embrasser un état « semi-religieux » où la période d’essai ressemble à un

postulat et où le terme même de « noviciat » est employé par les « sœurs » pour caractériser les six mois durant lesquels elles restent à part dans la « communauté » pour observer la manière de vivre ensemble le déroulement de leur journée de réunion hebdomadaire.

Avant de revenir point par point sur les différentes charges occupées par les Dames de la Congrégation de la Purification, il est important et nécessaire de connaître la façon dont les Dames procèdent aux élections. Les sources disponibles autrement dit les Règles et les Constitutions de la Congrégation138, nous ont en effet permis d’entrer dans leur cénacle et d’observer, avec distance, le rituel de ces journées peu ordinaires.

A- Les élections annuelles

La Congrégation de la Purification, même si elle est de taille réduite par rapport aux autres congrégations religieuses et à bien des confréries, a besoin, pour son fonctionnement interne, d’avoir une solide organisation. Les Dames ont dès la première

année de l’existence de la Congrégation, décidé d’organiser des élections139. Les élections avaient lieu en général le même jour, le 1er février, veille de la fête de la Purification ainsi que le prévoient les Règles :

138 Nous invitons le lecteur à se reporter aux annexes nos3, 4 et 5 pour une lecture

intégrale des Règles, de l’approbation des Règles et des Constitutions de la

Congrégation de la Purification.

139 Nous invitons le lecteur à se reporter à l’annexe no6 où il pourra visualiser les charges

78

Le temps de lelection des officieres sera la veille de la puriffication de nostre dame et en icelle toutes auront voix active et passive ne fust que par quelque iuste punition quelquune fust privee de ce droit140

Il s’agit de la date fixée par les Règles, mais il arrive aux Dames d’avancer ou de reporter le jour de l’élection. Ainsi en est-il de la première année : « cette eslection se fit

le jour que les reigles l’ordonnent qui fut le trente uniesme janvier veille de la Nostre Dame de la Chandeleure l’année mil six cent trente six »141. Cette date est confirmée par le registre tenu par Madeleine de Franc : « Lelection qui fust faicte de la Premiere

superieure de la congregation […] ce fust le 31me janvier 1636 »142. En se remémorant les circonstances de cette première assemblée, les Dames confondent le jour de leur réunion. En effet, le jour choisi pour les élections est la veille de celui destiné à honorer la Vierge

en mémoire de la purification de son corps après l’accouchement, fête qui est célébrée le

2 février. Les Dames avaient donc avancé les élections de l’année 1636 comme elles le font en 1693. Les autres années, les dates d’élection oscillent entre le 1er et le 5 février

avec une nette prépondérance en faveur du premier. Celles de l’année 1686 et 1700 ont, par exemple, été respectivement faites les 4 et 5 février. Dans la partie du registre réservée aux « eslections et autres evenements remarquables », chaque nouvelle page se voit précédée de la mention « Au nom de Dieu », formule qui permet aux Dames de procéder aux élections sous caution divine. La secrétaire note alors avec précision le compte-rendu

des séances annuelles de 1636 à 1704 à l’exception de l’année1670, qui n’est pas

mentionnée. Le registre est également lacunaire de 1705 à 1719. Nous choisissons pour

des raisons chronologiques évidentes d’étudier les élections sur la période 1636-1700. Nous ne savons pas les raisons pour lesquelles il y a eu ces légères entorses à la règle et

ce n’est au fond pas très important. L’essentiel est de remarquer la régularité des élections et le soin apporté par les Dames de la Purification à la tenue du registre qui nous permettent, des siècles plus tard, de dresser un tableau récapitulatif des charges exercées par les Dames sur plus de soixante ans.

Les élections sont soumises à un mode opératoire bien particulier. Les Règles consacrent un chapitre entier à la procédure :

La facon de proceder a cette election sera telle apres que les sœurs auront adcisté a la

messe elles se rendront au lieu de la congregation ou ayant imploré la lumiere du St

140 AD Isère, 26 H 221, n.f: Règles, titre cinquième.

141 AD Isère 26 H 222, fo9vo.

79

Esprit et ladcistance de la vierge la Superieure exhortera ses sœurs de proceder

sincerement en cette election et navoir autre visee au choix quelles feront qua la gloire de Dieu au service de la vierge et au bien spirituel de la congregation143

Élire des femmes dignes des charges à pourvoir nécessite de se préparer spirituellement. Ouïr la messe fait partie de cette préparation, car elle permet par les

chants et la récitation de l’Évangile, de se mettre dans une bonne disposition d’esprit. Les

Dames écrivent souvent s’être assemblées dans leur chapelle après avoir entendu le matin la messe du Saint-Esprit et avoir lu les Règles et dit le Veni Creator144. Une fois la solennité passée, il est temps de procéder au vote où aucune préférence amicale ou sororale ne doit entrer en ligne de compte, seule la capacité de la « sœur » devant justifier le choix du nom à inscrire sur le bulletin. Pour cela, chaque congréganiste devait constamment penser à œuvrer pour le bien de la Congrégation et la gloire de Dieu. Les Règles évoquent ensuite le déroulement du vote :

Cella chacune escrira en un billet le nom de celle quelle ingera la plus propre pour estre eslevee et le mettra dans une boitte preparee a cet effect sur une table ou aussi sera un crucifix puis la premiere adcistante prendra tous ces billets et les dira tout haut cependant la seconde marquera les noms de celles qui seront donnés a chacune et celle qui sera trouvee avoir plus de la moytie des voix sera declaree Superieure pour toute lannee Suivante.

Les assistantes sont chargées de procéder au dépouillement pendant que les autres

attendent le résultat. On remarque que l’élection de la supérieure se fait à la majorité absolue. Cependant, si une dame ne récolte pas la moitié des suffrages, les Dames prévoient à ce moment-là :

Que sil arrive que la premiere fois le nombre de voix nexcede pas cette moytie il faudra recommancer comme devant et le faire tant et si souvent quenfin le nombre necessaire sy trouve.

Une fois l’élection faite,

La superieure estant ainsi esleue elle sera conduitte par celle qui quicte la charge en Sa place ou toutes les susdictes la viendront saluer et embrasser en signe quelles ratiffient le choix faict par la Superieure en la recognoissant comme mere de toutes.

Les embrassades permettent de sceller le choix qui vient d’être fait pour une année et instaure autant un entracte affectif dans le déroulement du vote, qu’une cérémonie d’hommage pour la sœur élue. Le registre des Dames de la Purification fait parfois

143Ibid. : Règles, titre cinquième.

80

référence au dépouillement de l’urne et à cette effusion sororale en particulier en 1637,

année où Jeanne Le Veneur reçoit la plus éminente charge :

Lannee suivante 1637 veille de la purification selon les formes des raigles les Sœurs

estant toutes assemblees Dans leur chapelle lon Prosedat a lelection dunne nouvelle superieure et a la creation Des ofissieres apres avoir Implore la lumiere Du St esprit et lassistance de la vierge la superieure a exorte toutes les sœurs a proseder sinseremant

en cette election et navoir autre visee aux chose quelles feron que la gloire de Dieu au service de la st vierge et au bien spirituel de la congrega[tion] sella Dict chacunne a escrit en particulier le nom de selle quelle Juge plus propre pour estre superieure et on toutes mis les billet dans unne boitte preparee a cet esffaict sur unne table proche dun crusifit puis la premiere assistante a pris les billets et les a leu tout haut sependant la

segonde marquoit les noms de selles qui ettoit nommées seluy de sœur Janne le veneur

desja superieure a esxede les autres si bien que dun commun consantemant elle a ette

rehelue superieure toutes les sœurs la sont venue saluer et embraser en signe quelles ratifiyoit le chois qui en a ette faict145.

Dans cet extrait, on remarque que Madeleine de Franc inscrit minutieusement le

déroulement de l’élection. Cette cérémonie est en tous points conforme aux Règles de la

Congrégation évoquées supra. Lorsqu’elle est elle-même élue supérieure, Madeleine de

Franc fait mention d’elle à la troisième personne en y apportant sa touche personnelle :

Premierement on’a prosede a la fason acouthumee escrivant les premiers billet pour

ellire la superieure apres les avoir leu et marque Il set trouve que sœur de varce en avoit quelque peu davantage quoy que tres Indigne neanmoins par la charite des sœurs

dun commun consantemant on la elleu superieure et pour ne changer pas tant de sorte descrithures au livre de la congregation on luy en lesse toujours la charge pour Ii escrire tout se quil se passe de partiucllier146

Madeleine de Franc souligne son indignité, mais accepte néanmoins les charges

qu’on lui a confiées. Elle n’en a d’ailleurs pas le choix, les Règles prévoyant que : Toutes celles qui seront esleües devront accepter leur charge sans pretendre aucune excuse ni dincapacité ni docupation quelconque se confiants que ce quelles ne pourront de Soy elles le feront aydees de la faveur de la vierge laquelle ne leur manquera point si elles travaillent courageusement pour elle147.

À la Congrégation, on ne peut déroger à la mission qui nous a été confiée. Le vote scelle la destinée de la « sœur » pour une année et ce quelque soit ses activités, ses grossesses, sa nombreuse fratrie ou ses loisirs mondains. Une « sœur » peut être effrayée

du poids de cette lourde responsabilité, mais ne peut l’éviter ; seuls son courage et sa

confiance en Marie l’aideront donc à l’affronter. La charge la plus difficile est sans aucun

doute celle de supérieure de la Congrégation que seules 16 femmes sur 93 occupent en

145Ibid., , n.f.

146Ibid.

81

l’espace de 65 années (1636-1700). Les Dames concernées sont les suivantes : Jeanne Le Veneur, 4e sœur, Madeleine de Franc, 5e sœur, Louise du Faure, 14e sœur, Claude de

Chissé, 17esœur, Jeanne-Virginie de Rabot d’Aurillac, 3esœur, Laurence Frère, 9esœur,

Marguerite de Burillon, 28e sœur, Marguerite de Chissé de La Marcousse, 12e sœur,

Charlotte Catilhon, 24e sœur, Agnès Boniel, 56e sœur, Marie de Sayve, 44e sœur,

Catherine Béatrix-Robert de Saint-Germain, 43esœur, Jeanne Boniel, 59esœur, Françoise

Brenier, 67esœur, Madeleine Paquet La Colombière, 70esœur et Renée Brenier, 63esœur.

Parmi les Dames, certaines occupent la charge de supérieure à différents moments de leur vie. Nous remarquons en effet que Madeleine de Franc, 5esœur, Louise du Faure,

14esœur, Marguerite de Burillon, 28e sœur, et Marie de Sayve, 44e sœur, sont plusieurs

fois élues dans cette fonction. Marie de Sayve détient le record de longévité avec 8 années passées en tant que supérieure sur un laps de temps relativement court : 18 ans (1672-1690). Nous ne connaissons pas les raisons de son succès auprès des Dames de la Purification. Peut-être est-ce lié à son engagement dans la Compagnie de la Propagation de la Foi où elle a maintes fois prouvé sa capacité à œuvrer pour le bien de l’institution

aux côtés de son époux et surtout de sa belle-sœur, Mme de Revel, appartenant elle aussi à la Compagnie des Dames.

Toutes ces Dames élues à la supériorité sont sur un pied d’égalité lors de leur fin de charge où elles doivent, en présence des autres sœurs, revenir sur l’année écoulée en précisant les négligences qu’elles ont commises dans la fonction qui leur a été assignée :

Lelection achevee celle qui quictera la charge de Superieure et les autres officieres qui seront aussi changees viendront sexcuser lune apres lautre des manquements quelles auront commis en lexercice de leur charge et demanderont humblement pardon a la Superieure nouvelle qui ne leur refusera pas par ce que sil arrivoit quelles fussent confirmees ce qui ne pourra estre que trois ans de suitte elles sabstiendront pour ce de cet acte dhumilité cela faict diront toutes le Te Deum avec loraison Deus Cuius

Misericordia et ainsi se finira lassemblee148.

Le mémoire historique revient sur ce point en indiquant que ces aveux ont lieu une semaine après les nouvelles élections :

quil seroit distribué entre elles les charges du temporel de la dicte maison dorphelines et que toutes les officieres rendroient compte chasque année de leurs charges huit jours apres que les elections seroient faictes149

148Ibid.: Règles, titre cinquième.

82

L’octroi du pardon n’est donc qu’une formalité chez les Dames de la Purification. Même s’il doit être a priori difficile de reconnaître les erreurs que l’on a commises durant

l’année, chaque sœur sait pertinemment qu’elle a accès au pardon de la supérieure. Celles qui sont reconduites dans leur charge s’abstiennent de surcroît de cette demande, la réélection étant certainement le signe de la satisfaction que la sœur a donné dans

l’exercice de sa fonction. Ce passage indique aussi les prières qui achèvent le temps des

élections : le Te Deum et l’oraison Deus Cujus Misericordia.

Nous venons d’aborder les élections et la manière dont elles se déroulent au sein du

corps. Il est à présent nécessaire de présenter en quoi consistent les charges pourvues par les Dames de la Purification. Combien y en a-t-il ? Certaines Dames sont-elles davantage

impliquées dans l’œuvre ? Dans les paragraphes qui suivent, nous tentons de définir chacune des charges exercées par les Dames de la Purification et mentionnons celles qui semblent les plus aptes à les remplir.

B- Les charges des Dames de la Purification

Comprenant à l’origine une seule supérieure en raison du peu de membres, la

Congrégation s’étoffe et s’organise dès l’année suivante : première et seconde assistantes, maîtresse des novices, conseillères, secrétaire, sacristaines, lectrices et portières sont les fonctions simultanément occupées par les Dames de la Purification. En 1638, elles décident de créer les charges de zélatrice et de trésorière, puis en 1640, celle de dépositaire. Dans la décennie 1660, plus précisément en 1663, la charge de « Mère » fait également son apparition. Toutes les charges importantes occupées par les Dames sont

regroupées sous le nom générique d’« officières » comme elles le sont dans les autres

congrégations religieuses. La seule différence étant qu’il n’existe pas chez les Dames de

la Purification de Grenoble, de « directrice », mais une « supérieure ». Le mot « directrice » est d’ailleurs assez rarement employé au sein des congrégations religieuses pour désigner celle qui est à la tête de l’institution. Il n’est d’ailleurs pas anodin de

remarquer que les Règles de la Congrégation aixoise ne prévoient pas de confier la charge la plus éminente à une supérieure, mais à une « préfectrice ». On décèle ici la marque de la Compagnie de Jésus et de ce qui avait cours dans les sodalités mariales contrairement

à ce qui prévaut chez les Grenobloises, plus proches d’un ordre religieux comme la Visitation.

83 Le tableau150 permet de visualiser année par année les charges occupées par

chacune des Dames de la Purification de Grenoble. L’identification des Dames n’a pas toujours été facile. En effet, il n’y a pas de règle précise pour la dénomination de chacune : au qualificatif de « sœur» est accolé soit le nom hérité du père, soit le nom de l’époux,

soit le nom de la terre. Ainsi, « sœur de la Baulme » peut être employée pour Jeanne de La Baume de Suze, 15e sœur, pour Pernette Scarron, 7e sœur, pour Marguerite de

Sassenage, 10esœur, ou pour Catherine Espeaute, 65esœur. «Sœur Roux » peut renvoyer à Pernette Scarron, 7esœur, à Marguerite de Burillon, 28esœur ou à Catherine Déageant,

23e sœur. Nous avons donc dû procéder par élimination. Catherine Déageant se fait appeler « sœur de Trémini », son époux étant seigneur de cette terre, mais dans un acte notarié de 1664, il est fait mention de Catherine Déageant comme assistante ; or si l’on

consulte le registre, la première assistante à ce moment-là se nomme « sœur Roux ». Il est envisageable que deux Dames soient simultanément appelées « sœur Roux » ou alors,

l’une après l’autre. Dans ce cas, «sœur Roux » désigne ensuite soit uniquement Pernette Scarron, soit Marguerite de Burillon jusqu’à sa mort en 1650, puis Pernette Scarron. Quant à « sœur de La Baume », nous optons pour Pernette Scarron dans un premier temps

puis pour Catherine Espeaute, sœur de la Baume étant présente dès 1638 jusqu’à 1700.

Nous ignorons, en revanche, l’identité de sœur Daisi et de sœur Doste.

La lecture de ce tableau suscite plusieurs remarques : la première est que l’on observe une lacune pour l’année1670. Aucune élection n’a lieu cette année-là si l’on s’en tient au registre des Dames et nous n’en savons pas les raisons. Il est peu probable que ce soit une année où les Dames aient eu des problèmes suite à la suppression de la Compagnie du Saint-Sacrement. Peut-être est-ce également un problème interne ou tout simplement le fait de ne pas avoir pris la peine de noter dans le registre le résultat des élections. Nous penchons pour cette explication. Dans ce dernier cas, il est envisageable de penser que la supérieure soit cette année-là sœur Roux de Morges, celle-ci étant élue supérieure les deux années suivantes. La seconde remarque que l’on peut faire est que toutes les Dames enrôlées dans l’œuvre n’ont pas activement participé aux charges : Hippolyte de Gondi, 20e sœur, Léonore Ferrand, 16e sœur, ou Justine Chapuis de La

Brigaudières, 21esœur, n’ont jamais lu les Règles aux nouvelles postulantes. Le nombre élevé de Dames et l’éloignement géographique de certaines femmes sont certainement les

raisons pour lesquelles nous ne les retrouvons pas actrices de leur Congrégation. On peut

84

également penser que les Dames instauraient une rotation des charges ; or il n’en est rien. Au contraire, pour certaines fonctions, lorsqu’une charge est confiée à une sœur et qu’elle s’en acquitte convenablement, elle lui revient de « droit » chaque année. Cela constitue

une grande originalité par rapport aux congrégations religieuses à vœux solennels.

Les Règles manuscrites de la Congrégation de la Purification ne reviennent pas sur la spécificité des fonctions exercées par chaque Dame, excepté pour la supérieure, contrairement aux Règles imprimées à Aix-en-Provence, qui elles, insistent sur ce point151. Les Règles des Dames de la Congrégation aixoise étant de surcroît une émanation de celles de Grenoble, il nous semble donc légitime de les évoquer ici.

Documents relatifs