quelconque, à peine de crime de concussion […] il est aujourd’hui expressément défendu aux juges de recevoir des parties directement ni indirectement autre chose que ce qui est taxé à titre d’épices, par celui qui a présidé au jugement », Jean BOUCHER D’ARGIS, Ordonnance de Charles IX. Donnée à Orléans, au
mois de janvier 1560, Paris, Le Boucher, 1786, t. XI, art. 43, pp. 66-67.
288 Les pêcheurs sont obligés « d’apporter, tous les samedis et veilles de fêtes, incontinent après le soleil couché, au logis du maître de communauté, tous leurs engins et harnois, lesquels ne leur seront rendus que le lendemain du dimanche ou fête après le soleil levé, à peine de cinquante livres d’amende, et d’interdiction de la pêche pour un an ». Cette prohibition de pêcher le dimanche et les jours de fête n’est pas surprenante. Elle fait suite à l’interdiction religieuse d’exercer une activité le dimanche, jour du Seigneur, en Occident au début du Moyen-âge. Cet interdit religieux est confirmé par l’ordonnance de Saint-Louis de 1264, puis par l’ordonnance de Charles IX de 1560, qui défend à tous juges d’autoriser la tenue de foires, marchés ou danses publics les dimanches et jours de fête, Jean BOUCHER D’ARGIS, op. cit., t. XI, art. 23. « Des blasphémateurs, et du respect dû à la solennité des fêtes et dimanches », p. 33. L’interdiction est supprimée à la Révolution française, mais rétablie par la loi du 18 novembre 1814, avant d’être à nouveau abolie par la loi du 12 juillet 1880. Ainsi, l’interdiction de pêcher le dimanche figure encore souvent dans les règlements prud’homaux, cf. A.D. Aude, 5 U 5/4, prud’homie des pêcheurs de Bages, correspondance reçue, pièces comptables, etc. (1841-1934), délibération du 28 novembre 1841. Voir Robert BECK, Histoire
du dimanche : de 1700 à nos jours, Paris, les Éd. de l’Atelier, 1997, coll. Patrimoine, 383 p. Quoi qu’il en
soit, le respect de l’interdiction de pêcher les dimanches et jours fériés attesterait de la foi des pêcheurs. Une charte ordonne, dès 1431, que le produit des pêcheurs qui auront pêché « dans le port de Morgiou, le dimanche au soir et le soir de la fête de la Vierge […] sera remis en commun, et réparti à toutes les barques qui se trouveront dans ce port », A.D. Bouches-du-Rhône, 250E8, Prud’hommes pêcheurs de Marseille, privilèges (1776-1788), LAVABRE, Mémoire pour les prud’hommes de la communauté des patrons pêcheurs
de la ville de Marseille, 1787, pp. 130-131. On remarque cependant quelques exceptions : « en 1428, le
pape Martin V autorisa les pêcheurs de merlus des régions du cap Caval et du cap Sizun à travailler les dimanches et jours fériés, à l’exception des grandes fêtes et à condition qu’ils abandonnent aux pauvres une part convenable du produit de leur pêche. Sixte IV renouvela ces mesures en 1479, en exceptant formellement l’Ascension, la Saint-Jean et la Saint-Pierre », Michel BOCHACA, Beatriz Arizage BOLUMBURU, Alain GALLICE, « Les pêches maritimes dans le golfe de Gascogne à la fin du Moyen-âge »,
Revue d’histoire maritime. Histoire maritime outre-mer relations internationales, 2012, n° 15, Pêches et
pêcheries en Europe occidentale du Moyen-âge à nos jours, p. 50.
289 C’est-à-dire pendant la période de reproduction des poissons.
290 La noix vomique est une graine toxique issue du vomiquier, arbre d’Asie du Sud-Est dont on extrait de la strychnine.
291 La coque du Levant est une espèce d’arbuste grimpant dont le fruit, une drupe rouge, contient de la picrotoxine, un neurotoxique qui peut être mortel, François COREIL, Étude toxicologique de la coque du
Levant et de la picrotoxine, thèse en pharmacie, Montpellier I, 1929, 124 f. La coque du Levant est parfois
2. La pêche côtière dans l’ordonnance de la Marine d’août 1681
Inspirée des coutumes et statuts des Provinces-Unies (Amsterdam et Anvers)
292,
l’ordonnance de la Marine d’août 1681
293, est la première loi maritime
294. Établie par le
secrétaire d’État à la Marine Colbert
295, l’ordonnance de la Marine, aussi appelée Code
la Marine, est divisée en cinq livres
296, eux-mêmes subdivisés en titres et articles. Elle
définit, en particulier, les compétences de l’Amirauté et des prud’homies de pêche.
L’Amirauté apparaît, dès le Moyen-âge, en France et dans d’autres pays
297.
Colbert la maintient à l’époque de la monarchie administrative
298, « tout en [la]
soumettant à la surveillance des intendants de Marine ou des provinces dans les ports où
ils pouvaient résider et sous celle des commissaires ordonnateurs des classes, marquant
ainsi la tendance générale du gouvernement absolu à faire surveiller les officiers par des
commissaires »
299. Le ressort territorial de l’Amirauté s’étend sur les rivières navigables,
chemins destinés pour le halage des vaisseaux venant de la mer, ports, rades, havres et
rivages. L’Amirauté réglemente plusieurs aspects de la vie maritime : surveillance des
chenaux, digues, quais, jetées ; construction navale et contrôle de la
292 René WALORMONT, « Les sources néerlandaises de l’Ordonnance maritime de Colbert (1681) », Revue
belge de philologie et d’histoire, t. 33, fasc. 2, 1955, pp. 333-344.
293 Cette ordonnance ne doit pas être confondue avec l’ordonnance de la Marine du 15 avril 1689, relative aux armées navales et aux arsenaux de Marine). Voir la thèse en droit de Maurice OLLIVIER sur le sujet :
Contribution de l’ordonnance du 15 avril 1689 à l’organisation de la Marine de Guerre française, Paris,
1950, 146 f.
294 « Les zones côtières furent longtemps perçues par l’État comme des territoires sauvages incontrôlés, des confins mal connus et redoutés, d’autant que ces zones côtières échappaient souvent à son autorité. Le XVIIe siècle constitue un tournant quant à cette perception du littoral. […] En délimitant le domaine maritime [l’ordonnance] place les ports et les quais désormais sous la tutelle de l’État », Gérard LE
BOUËDEC, « La Bretagne et la mer du XVe au XVIIIe siècle : un profil original », dans Gérard LE BOUËDEC
(s.d.), L’Amirauté en Bretagne : des origines à la fin du XVIIIe siècle. Présentation de la thèse de Joachim Darsel, « L’Amirauté de Bretagne des origines à la Révolution », Rennes, P.U.R., 2012, coll. Histoire,
pp. 36-37.
295 Voir Charles BOUREL DE LA RONCIERE, Un grand ministre de la Marine : Colbert, un tricentenaire, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1919, 310 p. ; Benoît-André PEDRETTI, L’édification d’un État de Marine ou la
« révolution » des Colbert : les administrateurs de la Marine marchande et militaire (1661-1690), thèse
histoire moderne, École nationale des chartes, 1995, n.p. ; Bernard LUTUN, La Marine de Colbert : études
d’organisation, Paris, Économica, 2003, coll. Hautes études maritimes, 285 p. ; Michel VERGE -FRANCESCHI, Colbert : la politique du bon sens, Paris, Payot Rivages, 2005, 532 p.
296 Les cinq livres sont : 1. Des officiers de l’amirauté et de leur juridiction ; 2. Des gens et des bâtiments de mer ; 3. Des contrats maritimes ; 4. De la police des ports, côtes, rades et rivages de la mer ; 5. De la pêche en mer.
297 Consulter Jacques DE CHASTENET D’ESTERRE, Histoire de l’Amirauté en France, Paris, A. Pédone, 1906, 161 p. Léon-Robert MENAGER, Amiratus : L’Émirat et les origines de l’Amirauté (XIe-XIIIe siècles), Paris,
S.E.V.P.E.N., 1960, coll. Bibliothèque générale de l’École pratique des hautes études. VIe section, 258 p.
298 Christian SCHNAKENBOURG, L’Amirauté de France à l’époque de la monarchie administrative,
1669-1792, thèse histoire du droit, Paris II, 1975, 2 vol., 651 f.
navigation (délivrance des passeports, vérification des vivres et de la cargaison des
navires en partance, examen des marchandises déchargées). Elle connaît tous les contrats
concernant le commerce de la mer et juge tous les litiges, crimes et délits commis sur la
mer, les ports, havres et rivages, notamment les actes de pirateries, les pillages, les
désertions des équipages. Mais surtout, la « connaissance de la pêche qui se fait en mer,
dans les étangs salés et aux embouchures des rivières [lui appartient] : comme aussi celle
des parcs et pêcheries, de la qualité des rets et filets, et des ventes et achats de poisson
dans les bateaux, ou sur les grèves, ports et havres »
300. Même si cette règle n’est valable
que dans les villes où il n’existe pas de prud’hommes pêcheurs, l’Amirauté se heurte,
néanmoins, en pratique aux compétences des prud’homies de pêche
301, d’autant que,
comme le souligne Jean-Marc David
302, les limites « entre les deux juridictions sont assez
imprécises ». En effet, un arrêt du Parlement de Provence du 20 avril 1723 attribue
compétence à l’Amirauté dans une matière qui « semble plutôt relever de la connaissance
des prud’hommes, puisqu’il s’agit d’une contravention aux statuts du corps des pêcheurs
de Marseille ». Par la suite, « l’arrêt du conseil du 31 décembre 1686 et la déclaration des
lettres patentes du 31 janvier 1694 stipulent que les officiers de l’Amirauté ont
connaissance et juridiction de “toutes les matières tant civiles que de police concernant la
Marine, la navigation, le commerce maritime, tous les faits survenus en mer aussi bien
que sur les quais, ports, grèves, canaux, rivières, rivages […] mêmes entre particuliers et
personnes privées” »
303.
Le cinquième titre de l’ordonnance de 1681 est consacré à la pêche en mer, et un
court titre VIII aux pêcheurs. Selon les articles 4 et 5 du titre VIII, les pêcheurs de chaque
port ou paroisse où il existe au moins huit maîtres doivent élire, chaque année, l’un d’entre
eux pour devenir garde-juré de leur communauté. Celui-ci prête serment devant les
300 S.n., Ordonnance de la Marine du mois d’août 1681, op. cit., livre I, titre II, art. 5, pp. 21-22. Les officiers de l’amirauté visitent les ports et assistent à l’élection des prud’hommes. Sur le déroulement des visites de l’Amirauté aux prud’hommes, voir Jean-Claude GAUSSENT, « Une fonction de l’amirauté de Sète : l’application des ordonnances de la pêche au XVIIIe siècle », dans Lionel DUMOND, Stéphane DURAND, Jérôme THOMAS (éd.), Les ports dans l’Europe méditerranéenne. Trafics et circulations, images
et représentations. XVIe-XXIe siècles, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2007, pp.
154-156.
301 La compétence juridictionnelle des tribunaux d’amirauté de Provence ne se heurte pas seulement à celle des prud’homies, mais aussi à celle des juridictions consulaires de Marseille et d’Arles, jusqu’à ce qu’un arrêt du Conseil du 28 juin 1673 leur réserve la connaissance des litiges relatifs aux affrètements, connaissements et marchandises maritimes.
302 Jean-Marc DAVID, op. cit., p. 380.
303 Morgane VARY, « L’État et l’appropriation du littoral sous Louis XIV », dans Gérard LE BOUËDEC (s.d.),
officiers de l’Amirauté, fait journellement visite des filets, et rapport aux officiers des
abus et contraventions à la présente ordonnance, à peine d’amende arbitraire. Ainsi,
au-dessous de huit, les pêcheurs sont tenus d’en convoquer des paroisses voisines, ou de se
joindre avec eux pour procéder à l’élection du juré, qui se fait « sans frais, présents ni
festins
304, à peine de vingt livres d’amende contre chacun contrevenant ». Selon
l’article 6, « dans les lieux où il y a des prud’hommes, les pêcheurs s’assembl[ent]
annuellement pour les élire par-devant les officiers de l’Amirauté, qui recevront le
serment de ceux qui seront nommés, et entendront sans frais les comptes des deniers de
leur communauté. » Il est précisé en note dans le texte que « où il y a des prud’hommes,
ces prud’hommes tiendront lieu de gardes jurés, et en feront toutes les fonctions ». Ce
texte fondamental du droit maritime français, qui n’a été abrogé qu’en 2006
305, a été
commenté par plusieurs juristes, dont l’avocat et procureur du roi à l’Amirauté de La
Rochelle, René-Josué Valin. Dans son Commentaire sur l’ordonnance de la Marine du
mois d’août 1681, en deux volumes, ce dernier fait observer qu’il existe beaucoup
d’amirautés où les pêcheurs ne sont pas regroupés en communauté et jurande (celle de La
Rochelle par exemple)
306. Il note, à l’inverse, qu’à Marseille, les pêcheurs forment une
communauté particulière, dont les usages méritent d’être explicités. Selon lui, les patrons
pêcheurs marseillais se réunissent chaque année, lors de la seconde fête de Noël, pour
élire parmi eux quatre prud’hommes, en présence du lieutenant ou son représentant et du
procureur du roi de l’Amirauté. Ces prud’hommes deviennent les juges souverains des
patrons pêcheurs pour tout ce qui concerne la police de la pêche, aussitôt qu’ils ont prêté
serment, dès le lendemain, entre les mains du lieutenant de l’Amirauté ou de l’officier qui
a présidé à leur élection. Sa description, devenue un stéréotype, sera, d’ailleurs, reprise
par de nombreux auteurs. La procédure de saisine est « sommaire » : « le pêcheur qui a
quelque plainte à former […] va trouver le garde de la communauté, et en mettant deux
sols dans la boîte, il lui dit d’assigner un tel. Le dimanche suivant, le défendeur, avant
d’être écouté, met aussi deux sols dans la boîte ; et ce sont là toutes les épices des juges
307.
304 Reprise de l’ordonnance de Blois, la défense des festins est expliquée de la sorte dans l’ordonnance de la Marine : « la raison de la défense des festins […] est qu’il arriverait que les électeurs ne regarderaient pas tant le mérite, la probité et les bonnes qualités de celui qu’il s’agirait d’élire pour garde-juré de leur communauté ; qu’un festin et qu’ils déclareraient celui-là pour garde-juré, qui les auraient bien régalés », S.n., Ordonnance de la Marine du mois d’août 1681, op. cit., p. 502.
305 L’ordonnance de la Marine sera abrogée par l’article 7 de l’ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.
306 René-Josué VALIN, op. cit.
307 Malgré la suppression des épices des juges en 1790, le versement des deux sols se poursuit jusqu’en 1859, mais il sert, par la suite, à l’entretien et à l’embellissement des chapelles de Saint-Pierre.