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ainsi que d’un chapeau rond relevé par le devant et surmonté d’un panache de plumes noires512, costume que tout juge513 doit porter durant l’exercice de leurs fonctions depuis

le décret des 15 août et 2 septembre 1790 sur l’organisation judiciaire disposant que

« l’ancien costume

514

ne pouvait subsister dans des tribunaux créés sous l’auspice de la

liberté »

515

. Selon les investigations de Joseph Cornille

516

, ce costume, qui est par ailleurs

exposé au Musée du Vieux la Ciotat

517

, « s’inspirait de celui qui était porté par les députés

du tiers état auquel l’Assemblée avait ajouté un chapeau à la Henri IV, décoré d’un

panache à plumes noires flottantes et accompagné d’une cocarde tricolore. Ce costume a

été porté par les juges durant toute la Révolution jusqu’au 2 nivôse an XI [23 décembre

1802]

518

, date à laquelle Napoléon Bonaparte, Premier Consul, a rétabli le port de la robe

français, « Voyez, messieurs, nous autres nous ne savons pas parler comme vous, mais nous savons sentir, mais nous savons apprécier vos décrets, et nous serons toujours prêts à verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang quand il les faudra les soutenir. Notre garde des archives qui sait parler français vous peindra nos sentiments. », Courrier d’Avignon, n° 267, 8 novembre 1790, p. 1087.

512 Ce chapeau est dit « à la Henri IV », Wolfgang BRUHN, Encyclopédie du costume : des peuples de

l’Antiquité à nos jours ainsi que les costumes nationaux et régionaux dans le monde, Paris, Nouvelles

Éditions Latines, 1990, coll. Morancé, p. 44.

513 À l’inverse des juges, les avocats, ne devant selon le décret « former ni ordres ni corporations », n’ont aucun costume particulier dans leurs fonctions.

514 « Ce costume des prud’hommes serait un vestige de l’ancien costume marseillais, mais avec de nombreuses altérations. Il remonterait aux princes catalans. Les comtes de Barcelone substituèrent à leur avènement, au costume étriqué et ridicule que portaient les Provençaux, celui de leur pays. Les hommes portèrent, à partir du XIIe siècle, la garnache, espèce de robe fort longue et fort ample ; par-dessus, ils mettaient un surtout à manche appelé le surcot ou la simarre qui était une veste plus longue et plus large. Par-dessus la garnache, on mettait des caleçons ou hauts de chausses dont la forme était très variée. Ils se terminaient par des bas de peaux ou des guêtres de drap appelées calèges. Les souliers emboîtaient le pied et se liaient par des courroies. On avait deux sortes de manteaux : l’un appelé mantellum ou sagun avec un grand collet rabattu et se portaient à la manière espagnole, rejeté sur l’épaule gauche, l’autre se fixait sur la poitrine par une agrafe. Les prud’hommes avaient fait subir des modifications à ces vêtements. », Joseph MALAVIALLE, op. cit., pp. 121-122, note 1. L’écrivain Eugène SUE reprend cette description dans l’un de ses romans historiques : « Ces pêcheurs portaient les chausses, le pourpoint et le manteau noirs, avec un rabat blanc ; ils étaient coiffés d’u chapeau à larges bords. », Le commandeur de Malte, Paris, Marpon et Flammarion, 1882, nouv. éd., p. 122.

515 Jérôme MAVIDAl, Émile LAURENT (s.d.), op. cit., 1re série, t. 18, 12 août 1790-15 sept. 1790, séance du 2 septembre 1790, p. 493. À ce costume, va être ajouté, selon l’article 4 du décret du 11 février 1791, « un manteau de drap ou de soie noir […] et un ruban en sautoir aux trois couleurs de la nation, au bout duquel [est] attachée une médaille dorée sur laquelle [sont] écrits ces mots : La loi », ibid., Paris, Dupont, 1886, 1re série (1787 à 1799), t. 23, 6 févr. 1791-9 mars 1791, p. 122.

516 Joseph CORNILLE est un érudit ciotaden, qui a écrit un certain nombre d’articles sur l’histoire de La Ciotat et qui est élu président du musée Ciotaden en 1976. Une place de la ville porte son nom, et les archives municipales lui ont dédié un fonds (CB.14.10).

517 Le musée du Vieux La Ciotat dispose aussi d’une statue représentant un prud’homme pêcheur vêtu de ce costume.

518 Selon l’arrêté du 2 nivôse an 11 (23 décembre 1802) qui règle le costume des membres des tribunaux, des gens de loi et des avoués, « Les juges des tribunaux d’appel et des tribunaux criminels, les commissaires du Gouvernement et leurs substitus près ces tribunaux, porteront : Aux audiences ordinaires, la simarre de soie noire ; toge de laine noire, à grandes manches ; ceinture de soie noire à franges pareilles ; toque de soie noire unie ; cravate tombante de batiste blanche, plissée ; cheveux longs ou ronds. Les présidents et vice-présidents auront, au bas de la toque, un galon de velours noir, liséré d’or au bas de la toque. Aux grandes audiences et aux cérémonies publiques, ils porteront le même costume, avec les modifications suivantes : la toge de même forme, en laine rouge ; toque de velours noir, bordée, au bas, d’un galon de soie liséré

pour les avoués, gens de loi et juges »

519

. Outre le port du costume traditionnel,

l’utilisation de la langue provençale par les prud’hommes pêcheurs a été commentée.

Régis Bertrand analyse cette « incapacité à communiquer autrement qu’en provençal »

520

comme une « stratégie de défense », mais aussi « tactique de survie sociale et culturelle,

contre-feu à la marginalisation, voire ligne de défense de situations acquises, dérisoires

aux yeux du notable, mais vitales pour les pêcheurs »

521

. Cette « folklorisation » des

prud’hommes pêcheurs, selon son expression, enthousiasme vivement les députés qui les

applaudissent. Le secrétaire Ponsard poursuit immédiatement l’opération de séduction en

lisant en français le discours des prud’hommes

522

. Parfaitement au fait des idées

révolutionnaires, Ponsard tente d’expliquer la formation des prud’homies par la défense

des libertés des pêcheurs, fut-ce au prix de libertés avec l’histoire : « les patrons pêcheurs

existent depuis plus de vingt-quatre siècles sur les bords de la Méditerranée, où la tyrannie

les força de se réfugier. S’ils se sont soutenus jusqu’à ce jour dans une profession ingrate

et périlleuse

523

, et s’ils ont le bonheur d’y conserver encore les précieux dépôts des mœurs

antiques qui conduisent à l’amour de la patrie, ils le doivent à une juridiction gratuite et

fraternelle qu’ils tenaient d’eux-mêmes »

524

. Les députés sont conquis. Parmi eux, se

trouvent bien sûr des députés des Bouches-du-Rhône déjà acquis à la cause, tels Antoine

d’or. Le président aura un double galon à la toque. » (art. 2) Les juges de première instance, les commissaires du gouvernement et leurs substituts porteront le même costume, sauf aux audiences solennelles et aux cérémonies (art. 4), Jean-Baptiste DUVERGIER, op. cit., 1802, t. 14, pp. 70-71. Pour un historique détaillé de l’évolution des costumes judiciaires, consulter Léon LYON-CAEN, Le costume de la

magistrature (considérations historiques et critiques), discours de rentrée à l’audience solennelle de la Cour de cassation, 16 octobre 1936, Paris, Impr. du Palais, 1936, 48 p.

519 A.M. La Ciotat, CB.14.10, lettre du 21 mai 1980 de Joseph CORNILLE au maire de La Ciotat.

520 « L’idiome natal […] en cette veille de Révolution, montre que le provençal (dit maritime), rameau vivace de la langue d’oc, est la parole quotidienne, non seulement du peuple, mais encore des bourgeois de Marseille, d’Aix, de toute la basse Provence. […] Quatre ans après l’interdiction du théâtre provençal par les montagnards, c’est en provençal que le sursaut montagnard de 1797-1798 salue Bonaparte et la guerre patriotique […] L’ordre consulaire, puis impérial, la renverra à la marge de l’écriture de divertissement, puis au silence. Les “Troubadours” marseillais, parmi lesquels nombre d’anciens révolutionnaires écriront en français ; les élites royalistes aixoises, ralliées à Napoléon, exalteront la gloire troubadouresque de l’antique langue d’oc, mais l’écriture vivante disparaît avec le débat politique. », René MERLE, « L’idiome natal dans l’écriture des temps révolutionnaires Aix – Marseille », dans Claude BADET, op. cit., p. 191 et 198.

521 Régis BERTRAND, « Le “Langage patois” des “hommes de la nature” : la folklorisation des prud’hommes pêcheurs de Marseille dans le dernier tiers du XVIIIe siècle », op. cit., p. 15 et 19. Voir aussi Christophe de VILLENEUVE, Mœurs, usages, coutumes et langage des Provençaux, Nyons, Chantemerle, 1972, 358 p.

522 Alexandre RAY, Réimpression de l’ancien Moniteur depuis la réunion des États généraux jusqu’au

Consulat (mai 1789-nov. 1799), Paris, Plon, 1841, t. 6, séance du 28 octobre au soir, pp. 238-239.

523 Au sujet du péril en mer, voir notamment Gilbert BUTI, « Au risque, péril et fortune de mer (XVIIe -XVIIIe siècle) », dans Gérard CHASTAGNARET, Brigitte MARIN, Olivier RAVEUX, Carlo TRAVAGLINI, Les

sociétés méditerranéennes face au risque. Économie, Le Caire, IFAO, 2012, pp. 97-112.

524 « Combien n’ont-ils pas dû se glorifier d’avoir conservé une juridiction qui a les mêmes bases et les mêmes principes que les tribunaux de paix que vous avez donnés à toute la France ? Si elle n’a pu être détruite dans des siècles du despotisme, quelle ne sera pas la durée des vôtres dans des siècles de liberté ! », Alexandre RAY, op. cit., pp. 238-239.

Joseph Balthazar d’André

525

, mais pas seulement. Le président de l’Assemblée nationale

Antoine Barnave lui-même félicite les pêcheurs d’avoir préparé la Révolution par leurs

« institutions » et leurs « mœurs », et leur permet d’assister à la séance de l’Assemblée

nationale. Ce à quoi, le député Honoré-Gabriel Riqueti Mirabeau

526

, bien connu pour ses

querelles avec Barnave

527

, s’empresse de proposer en plus à l’Assemblée de préparer une

lettre de remerciement aux pêcheurs, au motif que « l’utile exemple qu’ils viennent de

donner ne doit pas rester sans récompense » et que « si la bonne foi s’exilait de la terre,

les prud’hommes en seraient encore l’image »

528

. Ce soutien de « l'Orateur du peuple »

aux prud’hommes pêcheurs n’est pas surprenant. « La grande popularité de Mirabeau et

sa double élection à Aix et à Marseille ne s’expliquent bien que par plusieurs épisodes de

525 Lettre de M. D’ANDRE, à M. MARTIN, maire de Marseille : « On a dit que j’étais l’ennemi de Marseille […] qui a donc réclamé l’exemption des classes pour les pêcheurs ? Qui a donc défendu la juridiction des prud’hommes ? », Charles LOURDE, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence depuis 1789 jusqu’au Consulat, Marseille, Senès, 1838, p. 455. « Député à l’Assemblée constituante de 1789, né à Aix (Bouches-du-Rhône), le 2 juillet 1759, mort à Paris, le 16 juillet 1825 était, dès l’âge de 19 ans, conseiller au parlement d’Aix. Il fut choisi, le 5 avril 1789, pour représenter la noblesse de Provence aux états généraux […] Avec la minorité de son ordre, il se réunit au tiers état après la séance du Jeu de Paume, et fut élu membre du comité de constitution. […] Il […] fut appelé, le 1er août, aux fonctions de président. […] En butte à l’animadversion croissante du peuple, d’André plaida sa cause dans un écrit adresse “aux citoyens de Paris” […] et s’efforce de montrer que sa conduite, à Marseille comme à Paris, a été celle d’un “ami de la Constitution” […] il fut inquiété en 1792, comme suspect à la fois de connivence avec les émigrés et de faits d’accaparement ; il se réfugia alors en Angleterre, et, complètement rallié à la cause royaliste, il rendit divers services aux chefs de l’émigration. Ceux-ci les reconnurent en le faisant nommer, après 1814, directeur général de la police, puis intendant de la maison du roi. Fidèle à Louis XVIII pendant les Cent-Jours, il reprit ses fonctions après la seconde Restauration. », Adolphe ROBERT (s.d.), op.

cit., t. 1, Aba-Cay, pp. 61-62.

526 « Au moment des élections aux États généraux […] Repoussé par la noblesse du bailliage d’Aix qui n’admit que les nobles possesseurs de fiefs, il […] ouvrit une boutique avec cette enseigne : “Mirabeau, marchand de drap”, et fut élu, le 6 avril 1789, député du Tiers-État de la sénéchaussée d’Aix aux États généraux, à la pluralité des voix. Arrivé à Paris, il publia le Journal des États généraux, dont la suppression, par arrêt du Conseil du Roi en date du 6 mai 1789, lui fournit l’occasion d’une éloquente protestation en faveur de la liberté de la presse […] Sur le droit de paix et de guerre à attribuer au roi ou à l’Assemblée, il obtint, après une lutte mémorable, que le droit resterait au roi, sauf à l’exercer conjointement avec l’Assemblée. Ce fut alors que le parti avancé l’accusa de trahison, d’être vendu à la cour, et fit crier par les rues la grande trahison de Mirabeau. […] II tomba malade le 28 mars, et expira le 2 avril », ibid., t. IV, Lav-Pla, pp. 380-381.

527 BARNAVE « dirigeait le groupe hostile à Mirabeau […] Le 10 décembre, il visa directement son terrible adversaire en parlant contre l’éligibilité des membres de l’Assemblée aux fonctions salariées par l’État ; en janvier, il demanda d’exclure du serment civique les mots de “fidélité au roi”, fit accorder aux Juifs les droits civils, et vota la suppression des ordres religieux. […] La discussion de l’exercice du droit de paix et de guerre (22 mai) le mit encore une fois en face de Mirabeau […] Cette rivalité de deux grands talents et de deux grandes influences excitait Barnave à précipiter une révolution que Mirabeau, acquis à la Cour, s’efforçait maintenant d’enrayer […], mais dès que la mort de Mirabeau (2 avril 1791) eut en quelque sorte rendu à Barnave sa liberté d’action, on le vit avec étonnement revenir sur ses pas », ibid., t. 1, p. 170.

528 « Le pêcheur arraché à ses heureux filets pour être employé sur les vaisseaux de l’état laissait à regret une famille nombreuse exposée à l’indigence, et la sensibilité du père de famille rendait souvent trop pénibles les devoirs de citoyen. La communauté des patrons pêcheurs vient de faire cesser ce combat entre des vertus », Honoré-Gabriel RIQUETI MIRABEAU, Œuvres de Mirabeau, précédées d’une notice sur sa vie

et ses ouvrages, par M. Mérilhou, Paris, Lecointe et Pougin, 1834, t. II. Discours et opinions, séance du 28

sa jeunesse, qui ont étroitement uni sa vie et celle de la Provence. »

529

Aussi surnommé

« la Torche de Provence », Mirabeau publie en effet, depuis mai 1789, le Courrier de

Provence, qui « forme l’une des plus volumineuses collections de journaux que la

Révolution ait enfantées »

530

. C’est donc volontiers que l’Assemblée nationale adopte la

motion de Mirabeau à l’unanimité et ordonne l’impression de l’adresse prud’homale.

Cette reconnaissance des prud’hommes pêcheurs par les députés fait des émules.

Sur le modèle marseillais, et par une délibération du 24 octobre 1790, les patrons pêcheurs

de Cassis envoient aussi leur délégation à Paris. Fait révélateur des tensions locales, cette

délégation est chargée de défendre les pêcheurs cassidens, non pas face aux pêcheurs

étrangers, mais face aux prud’hommes de Marseille dont ils dépendent et qu’ils jugent

tyranniques.

Malgré ces oppositions historiques, les pressions exercées par les délégués de