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Méfiants à l’égard des idées révolutionnaires, les patrons pêcheurs choisissent de renouveler leur fidélité au roi : « profitez de cette circonstance favorable pour faire

entendre vos justes sujets de plaintes ; mais pénétrez-vous bien d’un esprit de justice et

de paix et ne prenez pas une lumière trompeuse pour un phare salutaire. […] il faut que

la communauté des pêcheurs fasse un choix et des demandes dignes d’assortir ce caractère

de loyauté, auquel nous aimons à être reconnus »

437

. Cependant, les patrons pêcheurs

apportent ensuite leur soutien « à tout ce qui pourra être proposé et délibéré pour le bien

de l’État, la réforme des abus ». À ces principes généraux, et dans un contexte de forte

disette qui les a empêchés de payer leurs charges

438

, ils montrent ensuite leur volonté de

voir supprimer l’imposition établie à Marseille sur le pain, le vin et la viande, dont ils

jugent le prix trop excessif. Ils reprennent également l’idée « que le Conseil municipal de

cette ville soit composé d’un plus grand nombre de citoyens, pris dans toutes les classes

et notamment dans celle des arts et métiers qui en sont injustement exclus ». Comme

d’autres professions importantes à Marseille, tels que les huissiers, sergents royaux,

papetiers, fabricants de cartes et autres relieurs, les patrons pêcheurs gardent le silence

sur les questions d'intérêt général. Ils laissent à de plus instruits le soin de discuter des

objets « au-dessus de leur connaissance », ils parlent surtout de ce qui les « touche de plus

près comme […] pêcheurs et comme pauvres ». À cet égard, et comme le souligne

Philippe Grateau

439

, ils sont davantage préoccupés de la défense de leurs anciens et

435 Les « Français expriment de façon quasi-unanime leur filial attachement à la figure du roi », François LEBRUN, « Le tribunal de l’opinion publique », L’Histoire, n° 184, janv. 1995, p. 114.

436 « Par une combinaison admirable, dont il faut rendre grâce au souverain créateur qui est le Roi des Rois, par une disposition uniforme, il n’y aura point de sujet dans le vaste empire de la France qui ne soit appelé […] ne craignez pas que les grands intérêts qui seront traités en présence du Roi par les représentants de la Nation fassent perdre de vue les plaintes particulières de cette portion des sujets du Roi qui, pour être plus éloignée du trône, n’en est pas moins précieuse à son cœur. Soyez certains qu’il aime son peuple comme son peuple l’aime […] Ainsi, notre bon Roi, qui a le timon de l’État, veut entendre ses sujets de la poupe et de la proue », Joseph FOURNIER (éd.), op. cit., pp. 204-206.

437 « N’imitez point ces hommes dangereux qui s’exposent à tout vent, et préservez-vous de l’exemple de ceux qui, par la chaleur ou le désordre de leurs idées, dégradent la meilleure cause. », ibid., p. 206.

438 A.D. Bouches-du-Rhône, 250E43, délibérations de la prud’homie de Marseille (28 déc. 1776-9 févr. 1791), 28 mai 1787.

439 Philippe GRATEAU, Les cahiers de doléances, une relecture culturelle, Rennes, P.U.R., 2001, coll. Histoire, p. 25, note 49.

respectables privilèges, que de problèmes culturels. Ils n’utilisent, en effet, le terme

d’égalité qu’en référence aux pêcheurs étrangers, et en particulier catalans

440

. Ils

réclament ainsi que le produit de leur pêche ne soit jamais taxé et que la vente forcée des

poissons comme appâts aux palangriers, mise en place depuis 1786, soit abandonnée. Ils

demandent aussi la soumission des pêcheurs étrangers aux mêmes taxes, services, polices

et procédés qu’eux sous peine d’expulsion, autrement dit leur rattachement complet à la

prud’homie.

Enfin, ils sollicitent « en faveur des marins invalides, une marque d’honneur

semblable à celle qui est accordée, depuis quelques années, aux soldats vétérans ». Cette

marque d’honneur peut être assimilée à l’octroi d’une médaille

441

ou d’une pension

442

.

En effet, d’une part, le médaillon de Vétérance est accordé à la Marine royale depuis le

25 décembre 1774

443

. D’autre part, l’ordonnance royale du 31 octobre 1784

444

sur les

Invalides réforme le système des pensions d’invalidité et de vieillesse en accordant ce

droit à tous les gens de mer âgés de plus de 60 ans, s’ils comptent au moins dix ans de

440 « L’installation à Marseille après 1720 d’un groupe de pêcheurs catalans est un fait connu, ne serait-ce que parce qu’ils ont marqué la toponymie urbaine, en donnant leur nom à l’une des plages aujourd’hui parmi les plus populaires de la ville. », Daniel FAGET, « Maîtres de l’onde, maîtres des marchés et des techniques : les migrants catalans à Marseille au XVIIIe siècle (1720-1793) », op. cit., p. 139. Voir aussi Jules MATHOREZ, « Notes sur l’infiltration des Espagnols en France aux XVIIe et XVIIIe siècles », Bulletin

hispanique, t. 34, n° 1, 1932, pp. 49-51 ; Raoul BUSQUET, « Catalans et Provençaux : légende et histoire », dans Société de l’école des Chartres, Recueil de travaux offert à M. Clovis Brunel, Paris, Société de l’école des Chartres, 1955, pp. 227-234. ; F. DOLLIEULE, op. cit., pp. 234-239.

441 Cette distinction était déjà accordée, depuis l’ordonnance du 16 avril 1771, aux sous-officiers et soldats ayant servi 24 ans dans les troupes royales de l’armée de terre. Cette distinction a été étendue aux troupes de la maison du roi le 26 mai 1771. Cf. Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie à Paris.

442 Cf. Jacques TRAPENARD, L’établissement des Invalides de la Marine, thèse droit Paris, Paris, Impr. de Bonvalot-Jouve, 1906, 194 p. et surtout Florian CORDON, Les Invalides de la Marine : une institution

sociale de Louis XIV, son histoire, de Colbert à nos jours, Paris, Société d’éditions géographiques,

maritimes et coloniales, 1950, 225 p. L’ouvrage rédigé par le trésorier des Invalides de la Marine est très riche, mais n’est appuyé sur aucune source mentionnée provenant vraisemblablement des archives de l’institution. Il convient de consulter aussi : Adrien CARRE, « Origines et historique de l’Établissement

national des Invalides de la Marine », Paris, Académie de Marine, 1975, Bull. maritime du Havre, 39 p. ;

Jean-Pierre BOIS, « Les soldats invalides au XVIIIe siècle : perspectives nouvelles », Histoire, économie et

société, 1982, vol. 1, n° 1-2, pp. 237-258. On trouvera des élément statistiques précis dans Marie-Laure

GOEBBELS, Les origines et les fondements du droit social dans la Marine de guerre (1669-1860), thèse histoire du droit et des institutions, Toulouse 1, 2011, 389 f. Enfin, pour une synthèse régionale, cf. Gilbert BUTI, « Assistance aux gens de mer en France aux XVIIe et XVIIe siècles », Bulletin du Comité d’Histoire

de la sécurité sociale de la région Provence Alpes Côte d’Azur, 2013-2014, 12 p.

443 Les marins-pêcheurs ne semblent pas en bénéficier, puisqu’une médaille d’honneur des marins du commerce et de la pêche n’est créée que sous la IIIe République par la loi du 14 décembre 1901 (J.O.R.F., 16 décembre 1901, p. 7777) et le décret du 13 janvier 1902 (J.O.R.F., 15 janvier 1902, p. 244). L’Ordre du Mérite maritime est quant à lui, est institué par la loi du 9 février 1930 (J.O.R.F., 11 février 1930, p. 1490). Il est décerné à des premiers prud’hommes car ces derniers ne peuvent prétendre à la médaille d’honneur des prud’hommes instituée en 1901 et modifiée en 1926.

navigation sur les bâtiments de commerce et trois ans sur les vaisseaux du roi ; là encore,

les pêcheurs ne semblent pas concernés. D’autres professions réclament d’ailleurs dans

les cahiers de doléance des modifications du système de la Caisse des invalides,

notamment une diminution du montant des impositions et une augmentation de celui des

pensions

445

. Une loi du 22 août 1790

446

énonce, par la suite, en matière de pensions, que

« tout citoyen qui a servi, défendu, illustré, éclairé sa patrie, ou qui a donné un grand

exemple de dévouement à la chose publique, a des droits à la reconnaissance de la nation,

et peut, suivant la nature et la durée de ses services, prétendre aux récompenses »,mais

elle ne trouvera jamais application

447

.

Si l’assemblée des prud’hommes ne semble pas trop tumultueuse, il n’en est pas

de même des autres réunions à Marseille, qui subissent la colère populaire

448

. Les 23 et

24 mars 1789, des émeutes conduisent ainsi au pillage de la maison de Rebuffel, directeur

des fermes des impôts de la ville, qui parvient à s’enfuir grâce à un déguisement

449

.

L’hôtel de ville est également la cible des manifestants qui provoquent la fuite du maire

Gaillard, de son assesseur Capus, et du subdélégué procureur du roi à la police Vitalis

450

.

D’autres villes de France connaissent de violents troubles à la même époque,

451

mais à

Marseille, les magistrats encore présents procèdent à la baisse des prix des denrées

alimentaires et établissent un changement de régime municipal : une assemblée des trois

ordres gouverne la ville jusqu’à fin mai. Or, cette assemblée est illégale puisqu’aucune

445 Il s’agit des calfats (p. 53), des maitres constructeurs, charpentiers, rémolats (ouvriers qui fabriquent des rames), poulieurs et machinistes (pp. 87-88), des maîtres cordonniers (p. 99).

446 Convention nationale, Collection générale des décrets rendus par la Convention nationale, Paris, Impr. nationale, 1794, vol. 43, n° 574, pp. 3-6.

447 Comme le montre Olivier IHL, « Hiérarchiser des égaux. Les distinctions honorifiques sous la Révolution française », Revue française d’histoire des idées politiques, n° 23, 2006, pp. 35-54.

448 « Aussi l’intendant de Provence, La Tour, rendant compte à Necker des événements survenus à Marseille, pouvait-il écrire que les assemblées d’arts et métier étaient tumultueuses, et qu’il y a avait à craindre pour la tranquillité publique au moment des élections, le peuple semblant vouloir troubler l’assemblée électorale et lui imposer des candidats. », Joseph FOURNIER (éd.), op. cit., pp. 26-27.

449 A.D. Bouches-du-Rhône, C 4110, intendance et généralité de Provence (1752-1789), lettre de l’intendant

DE LA TOUR à NECKER et à VILLEDEUIL du 25 mars 1789.

450 Édouard BARATIER (s.d.), Histoire de Marseille, Toulouse, Privat, 1973, coll. Univers de la France et des pays francophones, p. 270.

451 Le 14 mars, l’évêque de Sisteron, soupçonné de s’entendre avec un accapareur de grains, est victime d’insultes et de jets de pierre (Bernard DE BRYE, Consciences épiscopales en exil, 1789-1814 : à travers la

correspondance de Mgr de La Fare, évêque de Nancy, Paris, Cerf, 2004, p. 87). Le 25 mars, les greniers

publics de la ville d’Aix sont pillés par des émeutiers (Monique CUBELLS, « L’émeute du 25 mars 1789 à Aix-en-Provence », in Jean NICOLAS (éd.) Mouvements populaires et conscience sociale : XVIe-XIXe siècle. Actes du colloque de Paris, 24-26 mai 1984, Paris, Maloine, 1985, pp. 401-408). En avril, Paris est le théâtre

du saccage de la fabrique de papiers peints Réveillon (Haim BURSTIN, Une révolution à l’œuvre : le

faubourg Saint-Marcel, 1789-1794, Seyssel, Champ Vallon, 2005, coll. Époques, pp. 51-57). Voir aussi

Maryse CARLIN, Paul MALAUSSENA, « La journée révolutionnaire », dans Christian BIDEGARAY, Paul ISOART (éd.), Des Républiques françaises, Paris, Économica, 1988, p. 138.

autorisation n’a été demandée au Parlement pour sa mise en place

452

. Cette garde

citoyenne n’empêche, toutefois, pas 176 députés de former l’Assemblée du Tiers État de

la ville les 30 mars et 1

er

avril 1789, en présence du capitaine-gouverneur viguier et

commandant de Marseille, du maire de la ville, des échevins et assesseurs, des conseillers

du roi et lieutenants généraux, pour nommer les douze commissaires qui vont procéder à

la rédaction du cahier général du Tiers. Ce cahier regroupe à la fois des doléances d’intérêt

général du royaume (liberté individuelle, liberté de la presse, inviolabilité de la

ndépropriété…) et des doléances relatives aux intérêts de la ville (en matière économique,

commerciale, agricole et industrielle).

Concernant les intérêts de la ville, l’assemblée générale du Tiers État demande