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I. INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE 1

2.   Les anticorps monoclonaux thérapeutiques 19

2.4.   L’ingénierie des anticorps thérapeutiques : les anticorps optimisés 50

2.4.3.   Optimisation des propriétés pharmacocinétiques et de biodistribution 55

La demi-vie et la biodistribution des anticorps sont deux paramètres étroitement liés qui dépendent à la fois de l’anticorps (fragment, anticorps entier, murin, humanisé,...) et de l’antigène cible (densité, internalisation,...). Il est parfois souhaitable d’augmenter la demi-vie pour améliorer l’efficacité, pour diminuer les doses et la fréquence des injections, pour

réduire les coûts ou pour optimiser la distribution et la rétention dans les tissus ciblés [126].

En revanche, dans d’autres cas, il est préférable de restreindre la demi-vie pour limiter les effets secondaires ou accroître la résolution lors d’une utilisation des anticorps en imagerie par exemple. Un moyen efficace pour moduler la pharmacocinétique des anticorps thérapeutiques est de jouer sur l’interaction entre le fragment Fc et le récepteur FcRn. Pour rappel, le FcRn est le récepteur responsable du recyclage des IgG qui leur assure une demi-vie d’environ 20 jours chez l’homme (voir paragraphe 1.7, page 17). Grâce à la technique du phage display, des mutations augmentant ou au contraire diminuant la liaison du Fc au FcRn ont été identifiées. En particulier, des combinaisons de mutations renforçant l’interaction avec le FcRn à pH 6, mais sans influence à pH 7.4, ont été sélectionnées et ont permis de multiplier la demi-vie des anticorps d’un facteur 2 à 4 [248-250]. Cette forte augmentation a récemment

été corrélée avec une amélioration de l’efficacité des anticorps dans des modèles animaux

[251]. De plus, ces mutations permettant d’augmenter la demi-vie sont compatibles avec

d’autres mutations utilisées pour optimiser l’ADCC [250]. Fort de ces résultats, des anticorps

possédant de telles mutations, comme le MEDI-557 (MedImmune), sont en cours de phase I afin de valider les résultats obtenus avec les modèles animaux. Par ailleurs, des IgG mutées dans le but de fixer plus efficacement le FcRn à pH physiologique ont été obtenues et engendrent une chute rapide de la concentration des IgG circulantes [252]. Ces anticorps

bloquant le FcRn, nommés « Abdegs » pour antibodies that increase IgG degradation, pourraient avoir un intérêt thérapeutique dans les maladies auto-immunes en favorisant l’élimination des IgG pathologiques du sérum [252].

Pour certaines applications, il est parfois bénéfique de limiter la demi-vie des anticorps. Cet effet est facilement atteint en utilisant des fragments d’anticorps dépourvus de leur portion Fc, évitant ainsi le recyclage via le FcRn et favorisant l’élimination rénale (dont la limite de filtration se situe à environ 60 kDa). Deux fragments Fab non modifiés sont d’ailleurs commercialisés : l’abciximab (RéoproTM) et le ranibizumab (LucentisTM). Le

premier est utilisé lors d’opérations d’angioplastie pour limiter les risques de thrombus et le second pour le traitement de la DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Age) via une injection intravitréenne. Dans certaines situations, il peut être intéressant de posséder des anticorps avec une demi-vie intermédiaire entre un anticorps entier et un fragment. Ceci peut être accompli grâce à des mutations au niveau du Fc d’anticorps entiers ou par le greffage de groupements de polyéthylène glycol sur des fragments Fab (PEGylation). En fonction de la taille, de l’arborescence et/ou du site de greffage du groupement PEG, des fragments

possédant une demi-vie allant de quelques heures à plusieurs jours peuvent être produits

[253]. Il existe actuellement un fragment Fab PEGylé sur le marché, le certolizumab pegol

(CimziaTM), qui présente un profil pharmacocinétique similaire à une IgG entière tout en évitant de potentiels effets secondaires associés au Fc. Outre les fragments Fab, de nombreux autres fragments d’anticorps ont été conçus. Grâce aux techniques d’ingénierie moléculaire, des fragments très variés possédant des tailles, des valences et des spécificités multiples ont été générés (pour une liste exhaustive voir les références [254, 255]) . Parmi ces nouveaux

formats, on trouve les scFv, les diabodies, les minibodies, les scFv-Fc, les tétrabodies, les nanobodies et encore beaucoup d’autres (Figure 25). Ces différents fragments, qui possèdent des masses moléculaires et des valences différentes, ont permis de mieux comprendre l’influence de ces deux paramètres sur la biodistribution des anticorps, notamment au sein des tumeurs solides. Des données expérimentales récentes ainsi que des travaux de modélisation suggèrent qu’il existe une fenêtre pharmacologique adaptée au ciblage tumoral ou « zone de ciblage tumoral » [256-258]. Comme on peut le voir sur la figure 26, pour se situer dans cette

zone, il faut trouver le bon équilibre entre la taille, la valence et l’avidité de l’anticorps. Des anticorps bivalents ou trivalents de taille (entre 70 et 120 kDa) et d’avidité intermédiaires sont

a priori des candidats idéaux pour parvenir à un ciblage tumoral optimisé. Au contraire, des

fragments d’anticorps trop petits sont à proscrire car leur élimination est trop rapide et des anticorps trop gros sont également suboptimaux à cause de leur difficulté à diffuser au sein des tumeurs. Ainsi, en accord avec ces critères, mais également au vu de la littérature, des formats d’anticorps comme les minibodies, les scFv-Fc, les Fab’2 ou les diabodies apparaissent comme les meilleurs formats pour parvenir à un ciblage tumoral performant

[254]. La distribution uniforme et en profondeur des anticorps antitumoraux est un point

crucial pour la thérapie et l’imagerie des cancers. Des formats comme les diabodies permettent une pénétration tissulaire rapide, une bonne rétention mais également une bonne élimination rénale, ce qui aboutit à une fixation très spécifique sur les tumeurs. Par conséquent, ils sont très utilisés pour réaliser de l’imagerie in vivo, grâce au couplage avec des radionucléides (Figure 26, PET scan). Ces diabodies radiomarqués ont également un intérêt pour la thérapie car ils combinent une bonne pénétration tumorale avec une élimination rapide, ce qui permet de limiter l’exposition des tissus sains aux radiations (notamment le foie et la moelle osseuse). Des formats bivalents un peu plus gros, comme les Fab’2, les minibodies ou les scFv-Fc, s’accumulent généralement plus fortement dans les tumeurs ce qui les rend également intéressants pour la thérapie et l’imagerie des cancers [259, 260].

Figure 25. Représentation schématique et non exhaustive des différents formats d’anticorps. Différents

fragments d’anticorps construits à partir d’une IgG sont présentés. Certains peuvent être produits par clivage enzymatique (Fab, Fab’2) alors que les autres formats, incluant les scFv, les scFv-Fc, les diabodies, minibodies, triabodies et les immunoadhésines sont issus de l’ingénierie moléculaire. Les VhH ou nanobodies ainsi que les V-NAR sont des fragments d’anticorps à domaine unique (sDAb) provenant respectivement d’immunoglobulines de camélidés et de requins. Les poids moléculaires (kDa) des différents anticorps sont indiqués entre parenthèses.

Figure 26. Optimisation de la biodistribution intratumorale des anticorps. Une zone de ciblage tumoral peut

être définie en se basant sur les propriétés pharmacocinétiques, l’avidité et la valence des anticorps. Des anticorps monovalents de petite taille pénètrent efficacement dans les tumeurs, mais leur élimination rénale rapide et leur faible avidité ne permettent pas un ciblage tumoral efficace, compatible avec la thérapie ou l’imagerie. De même, des anticorps entiers bivalents sont eux trop gros pour pénétrer efficacement au sein des tumeurs. Un anticorps multivalent de taille intermédiaire (entre 70 et 120 kDa) semble être le format de choix pour réaliser un ciblage tumoral performant (D’après [255]). Cette observation est illustrée par les trois images de PET scan obtenues avec des diabodies, des minibodies ou des scFv-Fc anti-CEA couplés à de l’iode 124 (d’après [254]).

D’ailleurs, il existe actuellement un Fab’2 radiomarqué à l’iode 131, le 131I-métuximab, approuvé pour le traitement des hépatocarcinomes. Par ailleurs, d’autres fragments Fab ou Fab’2 ont été développés et mis sur le marché pour le diagnostic de tumeurs solides. C’est le cas de l’arcitumomab (CEA-scanTM), du nofetumomab merpentan (VerlumaTM) et de l’igovomab (Indimacis-125TM). Les anticorps et fragments d’anticorps ayant été approuvés pour un usage en imagerie clinique son regroupés dans le tableau 3.

Enfin, certains fragments de faible poids moléculaire comme les anticorps à domaine unique (sDAbs) peuvent comporter des propriétés intéressantes malgré leur demi-vie courte. Les nanobodies, en particulier, grâce à leur petite taille, sont capables de cibler des épitopes cryptiques [261], inaccessibles aux anticorps entiers, ce qui permettrait de cibler des antigènes

« problématiques » comme les enzymes, les RCPGs ou certaines protéines virales. De plus, leur bonne solubilité et leur expression robuste permettent d’envisager des applications comme le ciblage intracellulaire, en exprimant les nanobodies directement dans le cytoplasme des cellules cibles (on parle alors d’intrabodies) [95]. Ceci permettrait d’éviter les problèmes

de pénétration tumorale et/ou de pharmacocinétique et également de cibler de nouveaux antigènes pathologiques intracellulaires. Des essais in vitro prometteurs ont déjà été réalisés

[262, 263] mais l’absence de technique capable de délivrer efficacement et spécifiquement le

matériel génétique codant les intrabodies in vivo, limite pour le moment l’utilisation thérapeutique de ces derniers.

A l’heure actuelle, les seuls quatre fragments d’anticorps à avoir atteint le marché sont des Fab et leur intérêt par rapport à des anticorps entiers est parfois limité. L’émergence de nouveaux fragments issus de l’ingénierie moléculaire redonne un nouvel essor à cette classe d’anticorps thérapeutiques. En effet, parmi la soixantaine de fragments en cours de phase clinique, environ 80% sont des fragments de type scFv ou des fragments dits de troisième génération comme les nanobodies, les minibodies ou les diabodies, entres autres (Figure 27)

[264]. De plus, les progrès parallèles des stratégies d’obtention des anticorps conjugués et/ou

multispécifiques devraient permettre à ces nouveaux fragments de trouver rapidement leur place dans l’arsenal biothérapeutique.

Tableau 3. Anticorps ayant atteint la commercialisation pour un usage en imagerie. In : indium ; I : iode ;

mTc : technetium ; TAG-72 : Tumor Associated Glycoprotein 72 ; PSMA : Prostate Specific Membrane

Antigen ; CEA : carcinoembryonic antigen ; EGP40 : Epithelial Glycoprotein 40 ; CA-125 : Cancer Antigen ou Carbohydrate Antigen 125 ; NCA-90 : CD66c. : retiré du marché.

Figure 27. Différents types de fragments en cours de phase clinique ou préclinique. Les fragments sont

repartis en trois catégories : les Fab, les scFv et les fragments de troisième génération (3G). PC : préclinique ; 1, 2, 3 : phase clinique 1, 2 ou 3 ; App : approuvé. D’après [264].

Nom de marque / DCI AMM Industries Formats Indications Cibles

ANTICORPS ENTIERS

Oncoscint / Satumomab pendetide Prostacint / Capromab pendetide HumaSPEC / Votumumab Zevalin/ Ibritumomab Bexxar / Tositumomab Neutrospec / Fanolesomab 1992 1996 1998 2000 2002 2004 Cytogen Cytogen Intracel Biogen-Idec GSK Palatin Techn. 111In-IgG1 111In-IgG1 99mTc-IgG3 111In-IgG1 131I-IgG2a 99mTc-IgM

Cancers ovariens et colorectaux Cancers de la prostate Cancers du colon, du sein, de l’ovaire

Lymphomes non Hodgkiniens Lymphomes non Hodgkiniens

Appendicite TAG-72 PSMA Cytokeratine CD20 CD20 CD15 FRAGMENTS D’ANTICORPS CEA-scan / Arcitumomab Myoscint / Imciromab pentetate Verluma / Nofetumomab merpentan Lymphoscan / Bectumomab Indimacis-125 / Igovomab Leukoscan / Sulesomab 1996 1996 1996 1996 1997 Immunomedics Centocor Boeringher Immunomedics CIS-Bio Immunomedics 99mTc-Fab 111In-Fab 99mTc-Fab 99mTc-Fab 111In-Fab’2 99mTc-Fab

Cancers du colon, du sein, du poumon Nécroses du myocarde

Cancers du poumon Lymphomes non Hodgkiniens

Cancers ovariens Ostéomyélite, Appendicite CEA Myosine EGP40 CD22 CA-125 NCA-90 IMMUNOADHESINES