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I. INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE 1

2.   Les anticorps monoclonaux thérapeutiques 19

2.4.   L’ingénierie des anticorps thérapeutiques : les anticorps optimisés 50

2.4.6.   Les immunoconjugués 64

Comme nous l’avons vu plus haut, les fonctions effectrices des anticorps associées au Fc, très importantes pour l’efficacité des anticorps antitumoraux, sont difficiles à activer efficacement in vivo. Deux grandes approches ont donc été développées afin d’améliorer les fonctions effectrices des anticorps : (1) l’ingénierie et la glyco-ingénierie du Fc afin d’optimiser les fonctions effectrices d’ADCC, d’ADCP ou de CDC, et (2) la conjugaison des anticorps avec des molécules ou particules effectrices afin de combiner les propriétés de ciblage des anticorps avec de nouvelles fonctions effectrices plus puissantes [273, 274]. En

accord avec cette dernière approche, des anticorps ou fragments d’anticorps ont été conjugués à de multiples molécules effectrices comme des radionucléides, des agents toxiques (drogues anticancéreuses ou toxines), des enzymes, des superantigènes, des cytokines, mais aussi à des

particules incluant des liposomes ou des nanoparticules métalliques (Figure 29) [275-281]. A

l’heure actuelle, seuls des anticorps couplés à des radioéléments (RIC pour radio- immunoconjugués) ou à des drogues (ADC pour Antibody Drug Conjugate) ont atteint le marché. Jusqu’à aujourd’hui seulement 4 RIC et 2 ADC ont été approuvés, tous pour le traitement des cancers (voir tableau 1). Ce faible taux d’approbation est principalement dû au manque d’efficacité (ADC) et/ou aux effets secondaires importants induits par ces composés. Par exemple, l’utilisation des RIC (ZevalinTM et BexxarTM) dans le traitement des lymphomes

est très efficace, mais les doses employées nécessitent parfois des greffes de moelle osseuse chez les patients [282]. De plus, les radioéléments classiquement utilisés comme l’Iode 131

ou l’Yttrium 90 (des émetteurs β qui ont un rayonnement assez pénétrant de plusieurs mm) ne sont pas forcément optimaux pour irradier efficacement des cellules tumorales. Ainsi, de nouveaux radioéléments émettant des rayonnements α de forte énergie sur une distance faible (inférieure au mm), comme le Bismuth 213 ou l’Astate 211, ont été employés avec succès pour le traitement de tumeurs solides ou hématologiques [283]. Par ailleurs, une approche

consistant à réaliser un préciblage de la tumeur avec un anticorps non radiomarqué mais couplé avec de l’avidine, puis à injecter plus tard (après élimination de l’excès d’anticorps) un radioélément biotinylé, a nettement amélioré le ciblage tumoral, diminué les effets secondaires et permis d’augmenter la survie globale de patients atteints de cancers thyroïdiens

[284]. Ces avancées devraient permettre aux RIC de trouver un nouvel essor en oncologie.

Concernant les ADC, leur faible nombre sur le marché s’explique par le manque d’efficacité de la première génération de ces molécules, qui possédaient des drogues conjuguées instables, pas assez toxiques et des agents de liaison (ou linker) non optimisés. Depuis une dizaine d’années, l’utilisation de drogues 100 à 1000 fois plus toxiques, l’amélioration des techniques de couplage et l’optimisation des caractéristiques physicochimiques des linkers, ont permis de produire une seconde génération d’ADC beaucoup plus stables et efficaces [276, 285]. Une de ces molécules, le brintuximab vedotin, a

été acceptée par la FDA cet été pour le traitement des lymphomes. Grâce à ces progrès, de nombreux autres ADC sont en phase clinique (2 en phase III) et devraient prochainement atteindre la commercialisation. Les résultats précliniques et cliniques impressionnants de ces nouveaux ADC devraient permettre de traiter efficacement des tumeurs hématologiques ou solides actuellement réfractaires aux thérapies à base d’anticorps. Outre le couplage à des agents chimiques cytotoxiques, des anticorps ont également été associés à des toxines d’origine animale ou végétale. Ces immunotoxines (ImTox) incluent classiquement le

couplage d’anticorps ou de fragments d’anticorps avec la toxine diphtérique (DT), l’exotoxine A de Pseudomonas (PE) ou la chaîne A de la ricine [277]. Les ImTox incluent également le

couplage entre une interleukine et une toxine. D’ailleurs, la seule ImTox actuellement sur le marché est une protéine de fusion entre l’IL-2 et la DT, appelée Dénileukin diftitox (OntakTM), utilisée pour le traitement des lymphomes. Plusieurs ImTox impliquant des

anticorps ou des fragments d’anticorps sont en développement préclinique ou clinique pour la thérapie des cancers ; elles mettent surtout en jeu des fragments de type scFv ou Fv couplés aves des toxines dérivées de la PE ou de la ricine.

D’autres stratégies visant à délivrer des composés cytotoxiques par le biais des anticorps ont été envisagées. C’est les cas des immunoliposomes ou des immunoparticules chargées avec des agents cytotoxiques, et des anticorps couplés à des enzymes. Par exemple, des fragments d’anticorps fusionnés à la surface de liposome PEGylés ont permis d’améliorer nettement le ciblage tumoral et le relargage localisé de composés cytotoxiques [280]. De

même, des scFv ou des nanobodies associés à des enzymes (carboxypeptidase, β-lactamase)

[286, 287] ont été utilisés pour catalyser la transformation d’une pro-drogue en un composé

cytotoxique au voisinage de cellules tumorales. Cette approche séquentielle, qui consiste à réaliser un préciblage de la tumeur avec l’anticorps conjugué puis à injecter une pro-drogue, est nommée ADEPT pour Antibody Directed Enzyme Prodrug Therapy.

Figure 29. Les différents types d’immunoconjugués. Les anticorps ou fragments d’anticorps peuvent être

conjugués à différentes molécules ou particules afin d’acquérir de nouvelles fonctions effectrices. La conjugaison à des toxines, des agents anticancéreux ou des radionucléides permet de rediriger ces molécules très toxiques spécifiquement vers les antigènes cibles. Les anticorps conjugués aux cytokines ont pour but d’activer localement le système immunitaire afin de détruire les tumeurs.

Certains immunoconjugués ont pour but d’activer le système immunitaire afin de détruire les cellules tumorales. C’est le cas des immunocytokines ou des anticorps conjugués à des superantigènes. L’utilisation de cytokines (IL-2, IL-12, GM-CSF), en combinaison avec un traitement à base d’anticorps, s’est révélée efficace pour améliorer le traitement de certains cancers. Néanmoins, l’injection systémique de cytokines provoque des effets secondaires importants. Par conséquent, des anticorps couplés à des cytokines ont été générés et ont montré des effets antitumoraux significatifs et une réduction des effets secondaires [279].

Certaines des ces immunocytokines, comme le L19-IL-2 ou le HuBC1-IL-12, sont en cours d’essai clinique pour le traitement des mélanomes métastatiques ou des cancers rénaux [273].

Par ailleurs, une autre approche favorisant l’activation locale d’une réponse immunitaire consiste à fusionner un anticorps avec un superantigène T ou B, comme l’entérotoxine A de

Staphylococcus aureus (SEA) ou la protéine L de Peptostreptococcus magnus (PpL). Un

fragment Fab conjugué à la SEA et ciblant l’antigène tumoral 5T4, le naptumomab estafenatox, a montré des résultats prometteurs dans des cas de NSCLC et de cancers du rein

[288]. Cette molécule est actuellement en cours de phase III.

Enfin, l’essor parallèle des nanotechnologies et de l’ingénierie moléculaire des anticorps a permis l’émergence de nanoparticules fonctionnalisées avec des anticorps ou des fragments d’anticorps. Ces nanoparticules peuvent renfermer des molécules actives (comme les immunoliposomes cités plus haut) ou simplement se composer d’atomes métalliques. Grâce aux anticorps greffés à leur surface, les nanoparticules peuvent être injectées et redirigées efficacement vers les tissus cibles, en particulier les tumeurs. Une fois localisées au sein des tumeurs, les nanoparticules métalliques peuvent servir à réaliser de l’imagerie (e.g. l’IRM, une technique qui peut permettre de détecter précocement les cancers) mais aussi de la thérapie hyperthermique (par oscillation magnétique ou rayonnement infra rouge) [289, 290].

La diversité des immunoconjugués est importante et va certainement encore s’élargir dans les années à venir. Les progrès réalisés dans les techniques de couplage et l’ingénierie des « linkers » permettent aujourd’hui d’élaborer des immunoconjugués plus stables, plus efficaces et avec moins d’effets indésirables. De plus, la combinaison des nouveaux mécanismes d’action apportés par les conjugués avec le ciblage précis des anticorps améliore, dans la majorité des cas, l’efficacité clinique par rapport à celle d’un anticorps « nu ». Ainsi, les immunoconjugués devraient continuer à se développer et leur utilisation pour le traitement des cancers devrait se révéler très utile.