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I. INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE 1

2.   Les anticorps monoclonaux thérapeutiques 19

2.4.   L’ingénierie des anticorps thérapeutiques : les anticorps optimisés 50

2.4.2.   Optimisation des fonctions effectrices 51

Les fonctions effectrices des anticorps thérapeutiques sont portées par le fragment Fc. En effet, c’est grâce à cette région que les anticorps peuvent recruter des effecteurs moléculaires et cellulaires permettant l’élimination de l’antigène par des mécanismes de CDC d’ADCC ou d’ADCP (voir paragraphe 1.6, pages 11-12). En fonction de la pathologie à traiter, ces fonctions effectrices peuvent être requises car elles contribuent à l’efficacité thérapeutique (cancer), ou bien au contraire indésirables car elles sont responsables d’effets secondaires chez les patients. Ainsi, l’optimisation du « profil effecteur » des anticorps est un paramètre important pour leur efficacité et leur sureté clinique, qui doit être guidé par la nature de l’antigène ciblé, la stratégie thérapeutique envisagée et le contexte clinique de la pathologie [94]. L’optimisation des fonctions effectrices peut s’effectuer de différentes

façons : en changeant l’isotype de l’anticorps, en introduisant des mutations dans la portion Fc ou en modifiant le type de glycosylation.

- Choix de l’isotype

Les quatre isotypes d’IgG humaines possèdent des fonctions effectrices différentes à cause de leurs affinités respectives pour les récepteurs Fc activateurs et inhibiteurs ainsi que pour le fragment C1q du complément [46, 232]. En effet, Les IgG1 et les IgG3 se lient efficacement

aux récepteurs activateurs FcγRIIa et RIIIa et plus faiblement au récepteur inhibiteur FcγRIIb, alors que les IgG2 et surtout les IgG4 se fixent faiblement sur tous ces récepteurs (Figure 24). La forte affinité de tous les isotypes (sauf les IgG2) pour le récepteur activateur FcγRI, n’a en fait pas de répercussion sur les fonctions effectrices car ce récepteur (le seul à pouvoir fixer les IgG monomériques) est constamment saturé par les IgG sériques, ce qui limite fortement son implication dans les fonctions effectrices des anticorps thérapeutiques. Si on calcule les rapports A/I (affinité pour le récepteur activateur / affinité pour le FcγRIIb ; voir paragraphe 1.6) pour chacun des isotypes, on constate que les IgG1 et 3 sont les isotypes préférentiels pour déclencher des réponses effectrices cytotoxiques, principalement via les récepteurs FcγRIIa et IIIa (Figure 24). Ces récepteurs sont essentiellement exprimés par les cellules NK (FcγRIIIa), les macrophages, les cellules dendritiques et les polynucléaires neutrophiles. Par ailleurs, les IgG1 et 3 sont également les deux isotypes les plus affins pour le fragment C1q du complément, ce qui élargit leur répertoire d’activités cytotoxiques.

Figure 24. Affinité des différents FcγRs humains pour les quatre isotypes d’IgG. L’affinité de chaque

sous-classe d’IgG pour les cinq FcγRs humains et leurs variants alléliques a été déterminée par résonance plasmonique de surface. D’après [46]. Le tableau présente les rapports A/I qui correspondent aux ratios entre les affinités de chaque isotype pour chacun des récepteurs activateurs avec celle pour le récepteur inhibiteur FcγRIIb.

Ainsi, la plupart des anticorps thérapeutiques approuvés pour la cancérologie sont des IgG1 (Rituximab, Trastuzumab, Panitumumab), afin de favoriser l’élimination des cellules tumorales par les effecteurs immunitaires. De même, pour des indications ou l’élimination efficace de médiateurs solubles ou de cellules inflammatoires est requise (e.g. TNF-α et interleukines pour les maladies inflammatoires ou cellules T activés CD25+ pour la transplantation), les IgG1 sont l’isotype de choix. Par contre, n’existe pas d’IgG3 sur le marché et ce, probablement à cause de leur courte demi-vie sérique. En revanche, on retrouve quelques IgG2 et IgG4 lorsque la stratégie thérapeutique ne vise qu’à neutraliser un antigène tout en limitant le déclenchement de réactions cytotoxiques. C’est le cas par exemple du natalizumab, une IgG4 ciblant l’intégrine α4 dans le traitement de la sclérose en plaque ou de l’éculizumab, une immunoglobuline hybride constituée des domaines CH1 et charnière d’une

IgG2 et des domaines CH2 et CH3 d’une IgG4. Pour ces anticorps, le but est de limiter leur

liaison aux FcγRs et au complément afin de réduire une toxicité non spécifique potentielle.

- Ingénierie du fragment Fc

Les anticorps thérapeutiques peuvent être directement mutés au niveau de leur région Fc afin de moduler à façon leurs interactions avec les récepteurs Fc activateurs et inhibiteur. Une cartographie des résidus importants pour la fixation des IgG1 aux différents FcRs a été réalisée et s’est révélée efficace pour générer des anticorps thérapeutiques antitumoraux possédant des fonctions effectrices accrues [233]. Ainsi, des mutations au niveau des acides

aminés 230-240 de la partie carboxy-terminale de la région charnière permettent d’augmenter d’un facteur 100 la liaison du trastuzumab et de l’alemtuzumab sur le récepteur activateur FcγRIIIa, tout en maintenant une fixation modérée sur le récepteur inhibiteur FcγRIIb [219].

Ceci se traduit par une très nette amélioration de l’ADCC médiée par les cellules NK et également une légère augmentation de l’ADCP effectuée par les macrophages. Par ailleurs, des mutations augmentant la liaison du Fc avec le fragment C1q ont également été réalisées

[234]. Des variants de l’anticorps rituximab possédant une affinité améliorée pour le fragment

C1q ont été obtenus et ont montré une toxicité dépendante du complément améliorée dans des tests in vitro [235]. Des mutations au niveau de la région charnière ou le remplacement de

certains résidus du Fc d’une IgG1 par ceux d’une IgG3 sont également des stratégies qui se sont révélées concluantes pour augmenter la cytotoxicité dépendante du complément.

L’ingénierie du fragment Fc s’est principalement axée sur l’amélioration de l’affinité des IgG1 pour le récepteur FcγRIIIa. Ce récepteur est généralement le seul à être exprimé par les cellules NK, qui sont donc particulièrement efficaces pour détruire des cellules cibles (e.g.

des cellules tumorales). De plus, des études cliniques avec le rituximab démontrent que des polymorphismes du FcγRIIIa influencent l’efficacité du traitement chez des patients atteints de lymphomes [214] (voir page 49). Cependant, il existe un second récepteur Fc

potentiellement intéressant pour la thérapie : le FcγRIIa. Ce récepteur est exprimé principalement par les polynucléaires neutrophiles, les monocytes, les macrophages et les cellules dendritiques. L’interaction entre ce récepteur et un complexe immun permet de déclencher le processus d’ADCP par les phagocytes et/ou d’induire l’apoptose de cellules cibles via le relargage de substances cytotoxiques (ADCC). Plus important encore, l’activation de cellules présentatrices de l’antigène professionnelles comme les macrophages ou les cellules dendritiques peut potentiellement permettre de présenter des antigènes tumoraux aux lymphocytes T [150]. Une fois activés, les LT cytotoxiques peuvent directement

participer à l’éradication de la tumeur et également assurer une immunité à long terme, évitant ainsi les rechutes. Par conséquent, l’amélioration de l’affinité des anticorps pour le FcγRIIa semble être une stratégie très pertinente, en particulier pour le traitement des cancers. Cependant, les cellules exprimant le FcγRIIa possèdent également le FcγRIIb qui présente de fortes similarités de séquence avec ce dernier. Ainsi, il est extrêmement difficile de développer des anticorps possédant un Fc se fixant fortement et sélectivement au FcγRII activateur [236]. Néanmoins, une étude récente a montré que la mutation Gly236Ala améliore

grandement l’affinité des IgG1 pour le FcγRIIa, tout en maintenant une liaison faible sur le FcγRIIb (la sélectivité est améliorée d’un facteur 15) [237]. Cette mutation augmente l’ADCP

de cellules tumorales par des macrophages in vitro et se combine positivement avec d’autres mutations qui favorisent l’ADCC. Par ailleurs, certaines études cliniques semblent mettre en évidence l’implication du FcγRIIa dans l’efficacité d’anticorps antitumoraux (le rituximab pour les lymphomes [151], une IgG3 anti-GD2 pour les neuroblastomes [238]), ce qui valide

l’intérêt de l’approche consistant à améliorer l’affinité du Fc pour le FcγRIIa.

La seconde stratégie utilisée pour moduler les fonctions effectrices des anticorps thérapeutiques via le Fc consiste à modifier la structure du motif oligosaccharidique greffé sur l’asparagine 297 du domaine CH2. Cette N-glycosylation est importante pour maintenir la conformation native du Fc et sa composition glucidique influence grandement les fonctions effectrices médiées par les FcγRs et le complément [239]. Des études ont démontré que la

présence de fucose, à la base de la chaîne glucidique, engendre une forte baisse de l’ADCC

[217, 218]. De même, des taux élevés d’acide sialique ou de N-acétylglucosamine (GlcNac)

contraire, l’augmentation du nombre de résidus transversaux de GlcNac favorise l’ADCC

[241]. Ainsi, des lignées cellulaires capables de produire des anticorps défucosylés et/ou

contentant de nombreux résidus GlcNac transversaux ont été développées. Par exemple, des lignées CHO délétées du gène FUT8 codant l’α-1,6-fucosyltransférase, ou transfectées pour surexprimer la β-1,4-N-acétylglucosaminetransférase III, ont permis de produire des anticorps possédant une meilleure fonction d’ADCC [242]. D’autres cellules hôtes ont également été

développées pour générer des anticorps glyco-optimisés, notamment des levures génétiquement modifiées pour réaliser des glycosylations humaines [243]. L’absence de

fucose semble être la modification glucidique la plus efficace pour augmenter l’ADCC : des variants défucosylés du rituximab et du trastuzumab possèdent une meilleure affinité pour le FcγRIIIa et une activité d’ADCC augmentée d’un facteur 100 [244]. De plus, cette

amélioration de l’ADCC liée à l’absence de fucose est indépendante du polymorphisme du FcγRIIIa à la position 158 [245]. Il a également été démontré que les anticorps défucosylés

sont moins sensibles à la compétition avec les IgG sériques pour la liaison sur le FcRγIIIa

[244], ce qui explique en partie leur meilleure efficacité in vivo.

A l’heure actuelle, il existe au moins une dizaine d’anticorps possédant des Fc optimisés en cours d’essai clinique. Par exemple, le GA-101 (Roche/Glycart), un anticorps monoclonal défucosylé et possédant des résidus N-acétylglucosamine, est en cours de phase II pour le traitement des lymphomes non Hodgkiniens [246]. Le Xmab2513 (Xencor), un

anticorps anti-CD30 muté dans la région Fc pour optimiser l’ADCC, est également en phase d’étude clinique pour la thérapie des lymphomes. Ces modifications glucidiques ou mutations sont également mises à profit pour générer des anticorps sans activité cytotoxique [247]. C’est

le cas pour le téplizumab (Macrogenics/Lilly) qui possède les mutations Leu234Ala et Leu235Ala réduisant la liaison au FcR , et pour l’otelixizumab (Tolerx) qui est muté au niveau de l’asparagine 297, ce qui empêche la N-glycosylation. Ces deux derniers anticorps ciblent le récepteur CD3 sans induire d’effet mitogène et de choc cytokinique (à la différence du muromonab). Ils sont actuellement en phase III pour le traitement du diabète de type I.