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Si les coordinations d’acteurs constituent une approche institutionnelle pertinente pour remédier à certaines difficultés d’accès des jeunes avec moins d’opportunités à la mobilité internationale, elles ont généralement nécessité de longues – voire laborieuses – années de travail et impliquent souvent de composer avec des obstacles de nature et de statut différents.

Les opérateurs de la mobilité ont dû – et doivent encore aujourd’hui – faire face à des vues contradictoires sur les stratégies à adopter, des oppositions techniques sur la nature du travail collaboratif, mais surtout à des représentations divergentes de l’utilité d’une expérience à l’étranger pour des jeunes avec moins d’opportunités110. Un travail important de déconstruction des croyances et de sensibilisation – voire

d’administration de la preuve – est souvent nécessaire pour convaincre les acteurs de l’insertion les plus réfractaires de s’engager dans cette nouvelle configuration institutionnelle (libérer du temps de travail chez leur personnel, participer aux projets, etc.) et les partenaires financiers d’accorder des subventions. Développer la mobilité internationale à l’échelle d’un territoire dans une logique de réseau nécessite souvent de s’inscrire dans une logique militante.

« Notre force, c’est en fait une volonté individuelle. J’aurais pu rester fermé sur la mission locale en disant : “Les autres... allez hop !” Parce que parfois, vraiment, des fois, des phrases très difficiles, je les ai entendues de la part des autres missions locales. […] En fait, les gens, au départ, avaient un petit peu ce regard : on fait du tourisme ; on aide les jeunes à mieux se promener. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas que ça. C’est peut-être l’emballage extérieur, et après, à l’intérieur, il y a de la vraie acquisition de compétences, souvent informelles mais aussi bien souvent formelles. […] Clairement, oui [cela a pris du temps]. Et je crois qu’en fait, on dit bien Paris s’est construit pierre par pierre ; là aussi, on a fait de la construction pierre par pierre. Et on était au départ quasiment dans la marginalité totale parce que on était en train de monter des projets, ça a fait sourire, j’ai eu même des postures d’officiels du territoire qui : “Ça, ce n’est pas le travail de la mission locale !” […] Et donc il a fallu que je résiste et que je continue à porter la mobilité, tout en apportant finalement à ces officiels la réponse qu’ils attendent : “Votre problème, c’est quoi ? C’est que les gens aient un travail. Ok. Regardez, vous attendiez combien d’entrées en emploi ? Vous attendiez à 900. Moi, j’en fais mille. Ok.

107 Carel S., Déloye F., Mazouin A., « La mobilité internationale des “jeunes avec moins d’opportunités” : retour d’expérience », op. cit. 108 Voir p. 14.

109 Sur ce point, voir l’analyse des représentations institutionnelles, p. 37. 110 Ibid.

Donc voilà, comparez aux autres structures qui ne font pas de la mobilité, vous voyez que je fais mieux.” […] Et puis j’ai eu la chance de recruter également des gens sur la mobilité qui étaient des fadas de la mobilité également, et qui pareil ne comptaient ni leurs samedis ni leurs dimanches. […] Et donc il y a eu un volet militant pro-mobilité qui a fait que on a réussi à avoir des résultats, on a réussi à avoir des jeunes qui rentraient plus que satisfaits de leur mobilité et qui allaient parler dans leurs missions locales. Et on a fait la mobilité également pour les professionnels, qui a fait que ça a circulé, et à force de circuler, et à force qu’il y ait des recoupements, de dire : “Mais c’est génial ce qu’il fait ! Mais waouh, qu’est-ce qu’il a dû faire comme travail pour arriver à de telles choses !” » (André, directeur de mission locale.)

« On a aussi un gros travail à sensibiliser les éducateurs et les missions locales parce que la plupart, quand on envoie le premier mail en se présentant : “Voilà, on aimerait vous rencontrer pour parler des actions qu’on mène. – Ah non ce n’est pas pour notre public. Non, non, les jeunes ruraux, les jeunes de quartier, ils sont trop loin de la mobilité.” Donc il faut déjà réussir à casser le premier mur qui est l’éducateur ou en tout cas la structure, pour lui montrer que, oui, ce n’est pas fait pour tout leur public, mais qu’il y en a peut-être certains pour qui c’est fait et ils le savent pas, parce qu’ils se sont pas permis l’envie de rêver. Donc ça, c’est quand même déjà un premier frein. » (Aurélie, conseillère en mobilité internationale, structure intermédiaire.)

En outre, la structuration en réseau des acteurs locaux – insertion sociale et professionnelle, animation socioculturelle, éducation spécialisée, mobilité internationale –, pour faciliter l’accès des jeunes les plus en difficultés à une expérience de séjour à l’étranger, peuvent remettre en question les frontières sectorielles, bouleverser les cloisonnements institutionnels et perturber les logiques d’acteurs. Les coordinations intersectorielles peuvent être, de ce point de vue, délicates et complexes à installer dans les territoires. Certains professionnels revendiquant leur légitimité et leur expertise dans l’accompagnement des jeunes en difficulté peuvent en effet être réfractaires à l’idée de travailler en réseau avec les structures intermédiaires de la mobilité internationale. S’estimant les plus à même de conduire les jeunes vulnérables vers une expérience à l’étranger, certains préfèrent ne pas envoyer leurs jeunes vers ces structures. D’autres envisagent d’être formés par les professionnels de la mobilité internationale et de bénéficier de leurs ressources, dans l’optique d’élaborer leurs propres projets de séjour à l’étranger.

« Et les jeunes qui ont moins d’opportunités. Et c’est nous qui sommes à même de les encadrer, de les mobiliser. […] [Quand on a commencé à travailler sur la mobilité internationale], on les a direct contactés [les associations intermédiaires de mobilité internationale] parce que c’est dans la dynamique, clairement… Parce qu’ils ont le réseau… Ça serait idiot, nous, de perdre du temps à créer un réseau qui existe déjà. […] Mais c’est un peu plus difficile pour eux. Encadrer les jeunes… Si je leur envoie le groupe des jeunes diplômés, ça ne poserait pas de problèmes. Mais je leur envoie un groupe intermédiaire, ça risque d’être un peu chaud. C’est dangereux. […] Enfin dangereux, on se comprend. Dangereux pour la réussite totale du projet. Donc ils ont plus intérêt à prendre des étudiants... qui peuvent aussi avoir moins d’opportunités. Mais ça sécurise totalement l’échange. […] Ils ne sont pas positionnés sur les territoires où ces jeunes vivent, du coup, ils n’ont pas créé de liens. […] Il y a une relation de confiance qui s’est créée avec nous. Enfin, nous, on peut se permettre de prendre des jeunes qui par ailleurs paraitraient hyper turbulents. Nous, on leur dit “calme-toi”, et ils se calment, enfin ils écoutent. Et ces jeunes-là pourraient pas partir si l’un de nous, pas moi mais l’un de mes collaborateurs, n’accompagnaient pas. » (Benjamin, directeur d’un centre socioculturel.)

« Moi, je vous avoue que des fois, je reçois des propositions : “Cherche quatre jeunes de 18 ans pour partir en Allemagne dans quatre jours. Envoyez les candidatures.” Je fais jamais suivre l’info parce que je ne sais pas qui encadre ce projet, je ne sais pas comment ça a été monté. » (Pascal, responsable jeunesse d’un centre socioculturel.)

« Ce qui fait que dès que j’ai des jeunes qui ont validé un bac + 2, j’orientais vers les autres opérateurs. […] Et puis maintenant, on a évolué un petit peu à travers les différents bilans parce qu’on a vu que certaines mobilités, pour des jeunes diplômés, s’étaient mal passées... Parce que le diplôme en soi n’est pas suffisant, et c’était ce qu’on se disait : on a des jeunes non diplômés mais qui ont beaucoup de débrouillardise, et qui sont des caméléons et ils s’adaptent partout, et on a des jeunes diplômés qui, malheureusement en fait, dès qu’ils sont sortis de chez papa-maman, sont perdus. Et du coup, maintenant, on a réussi à ouvrir également une fenêtre sur le département, ça reste une petite minorité, mais quand on sent qu’un jeune

diplômé reste fragile, on va pas l’orienter vers un partenaire, on va quand même lui proposer nos services… Parce qu’on a un accompagnement très renforcé. » (André, directeur de mission locale.)

Enfin, les deux exemples typiques de coordination révélés par l’enquête de terrain montrent que la structuration et l’animation de réseaux d’acteurs sont fortement dépendantes du soutien de la puissance publique et, principalement, des politiques publiques locales. Les démarches partenariales mettent certes en évidence la nécessité d’un réseau de professionnels qualifiés et coordonnés, mais elles insistent également sur l’importance d’un soutien par une volonté institutionnelle forte.

Si la coordination entre acteurs locaux – publics et privés – associée à la recherche de transversalité111 est

aujourd’hui un mode d’intervention souhaité dans le domaine de la mobilité internationale, elle connaît des déclinaisons variables en fonction des territoires et reste sujette, dans la réalité des pratiques et des représentations, à des obstacles, des tensions, voire des controverses. Des efforts semblent devoir encore être consentis pour que ce mode de faire de l’action publique en faveur de la mobilité internationale des jeunes soit véritablement un levier pour favoriser l’accès des plus vulnérables.

111 La question de la transversalité s’est progressivement renforcée dans le domaine des politiques de jeunesse, notamment

avec la multiplication des acteurs et des niveaux territoriaux de décision et la recherche de nouveaux modes de gouvernance, mais également avec la mise à l’agenda des questions de jeunesse accompagnée d’une série de dispositifs partenariaux, transversaux et territoriaux, destinés notamment à favoriser l’insertion sociale des jeunes. Voir Dumollard M., Loncle P., « Politiques locales de jeunesse et transversalité : quels apports pour les territoires ? », in F. Labadie (dir.), Parcours de jeunes et

CONCLUSION

Les freins rencontrés par les jeunes avec moins d’opportunités pour vivre une expérience de mobilité internationale dans un cadre non formel – enjeu actuellement central de l’action publique nationale et européenne au nom de l’équité d’accès – ne peut se comprendre qu’à l’articulation des individus et des structures, des pratiques et des représentations, des facteurs individuels et collectifs. En d’autres termes, c’est l’entremêlement des mécanismes institutionnels – représentations, configurations et logiques d’action – et des situations et parcours de vie des jeunes venant marquer de leur empreinte leurs dispositions et la signification de leur expérience de mobilité internationale qui permet de comprendre la plus faible représentation de ce public parmi les bénéficiaires des programmes et des dispositifs.

L’environnement institutionnel, un facteur déterminant pour l’accès