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Contrairement à la cellule familiale et à l’environnement institutionnel, le cercle amical est rarement un facteur décisif de l’engagement ou de l’absence d’engagement dans une expérience de mobilité internationale qu’elle soit individuelle ou collective, de court ou long terme. En d’autres termes, si l’entourage amical ne constitue pas un frein, il ne s’apparente pas non plus à un véritable levier.

Tout d’abord, les résultats de l’étude montrent que les amis ne sont pas à l’origine du basculement des trajectoires vers la mobilité internationale ; aucun membre des réseaux amicaux n’a fourni d’information sur les opportunités de partir à l’étranger et les dispositifs d’aide, ni même suggéré à leur ami de s’engager dans cette voie. Si cette absence de mise en relation des jeunes vulnérables avec la mobilité internationale par l’intermédiaire du réseau amical peut étonner compte tenu de cette représentation commune dans la diffusion horizontale d’informations entre pairs, elle semble influencée par la structuration des réseaux sociaux. Ces derniers se caractérisent en effet majoritairement par leur homophilie ; ils ont tendance à rassembler des individus qui se ressemblent sur certains critères42. Dès lors que les jeunes avec moins d’opportunités se saisissent

moins des dispositifs de mobilité internationale en général, et dans le cadre non formel en particulier – seule une jeune fille interrogée avait un ancien volontaire européen dans son cercle d’amis –, ils ont moins de probabilité d’avoir dans leur réseau amical un ancien volontaire ou bénéficiaire d’un séjour collectif.

En outre, les relations amicales constituent rarement des sources de découragement ou de dissuasion d’un départ en mobilité internationale. En dépit de quelques interrogations sur l’utilité d’une expérience à

42 Sur ces questions, voir entre autres les travaux d’A. Degenne et M. Forsé : Les réseaux sociaux. Une analyse structurale en sociologie, Paris, Armand Colin, 1994.

l’étranger – dans la même veine que celles formulées par les parents – les amis émettent, dans la plupart des cas, un avis positif teinté d’enthousiasme à la découverte du projet de mobilité de leur condisciple.

« Mes amis, ils trouvaient ça bien comme projet. Donc ils m’ont dit : “Oui, vas-y. Pourquoi pas. Fonce !” Mais bon, c’est au niveau de ma mère que ça a bloqué. […] Ils pensaient que ça pouvait être intéressant. » (Sarah.)

« Après, mes amis, ça dépend. Il y en a qui voyagent pas du tout, d’autres qui voyagent. Ça dépend. Ils étaient, tous confondus, contents pour moi en fait, ceux qui voyagent, ceux qui ne voyagent pas. Après, si, il y avait des copines qui m’ont dit en gros : “Pourquoi t’as besoin de partir ?”, ceux qui voyagent pas. Ceux qui voyagent, bien sûr, ils étaient hyper contents pour moi quoi. Oui, donc globalement, tout le monde était assez content pour moi, les voyageurs, les pas voyageurs. » (Stéphanie.)

« Ils [ses amis] m’ont dit franchement de foncer, de découvrir d’autres cultures parce que franchement, c’est magnifique d’aller voir ailleurs parce que ça te change en fait. On se change soi-même. C’est ce qu’ils m’ont dit. Quand j’ai été en République tchèque, j’ai vu que leur parole, c’est ça en fait : On se change soi-même, on apprend à se connaître. » (Natacha.)

« Beh mes amis, j’ai commencé à leur en parler un petit peu avant de partir. […] Je l’ai dit à trois-quatre amis parce que les autres… c’est une longue histoire. Ça va, ils étaient très contents parce qu’ils ont dit : “C’est super important que tu voyages et que tu voies d’autres choses”, parce qu’ils savent que je suis tout le temps chez moi à m’occuper à droite-à gauche. Mais ils m’ont dit… Limite, ils me mettaient un coup de pied aux fesses pour que j’y aille. Je leur ai dit : “C’est bon, j’y vais ! Il n’y a pas besoin…” […]. Oui, ils étaient contents pour moi de voyager, parce que bon eux, ils ne voyagent pas souvent. » (Thomas.)

Les choses se passent toutefois relativement différemment s’agissant des relations les plus intimes. Dans le cas d’un engagement volontaire de plusieurs mois, les « meilleur(e)s ami(e)s » ou les « petits copains » et « petites copines » peuvent exprimer des réactions d’hostilité, voire d’opposition, au départ à l’étranger, l’éloignement géographique remettant en question, pour certains, la pérennité des liens amoureux et la solidité des sociabilités basées sur une entraide et une solidarité fortes. Deux jeunes interrogés étaient dans ce cas et ont fait le choix du risque et de l’audace en concrétisant leur projet de mobilité internationale, bravant ainsi les avis défavorables d’une partie de leur réseau amical ou amoureux.

« Alors eux c’est compliqué parce que j’ai mon meilleur ami qui m’a fait la tête pendant un mois, tout le premier mois où je suis partie parce qu’il n’accepte pas trop que je parte, parce qu’il avait peur qu’on se parle plus énormément et que ce soit plus pareil. Il me l’a dit mais vers le départ. En fait, il ne me l’a pas dit trop avant. […] Après, j’en ai parlé un peu à mon copain parce que j’avais un copain quand je suis partie. Bon, lui il était déjà pas très d’accord que je pars, mais bon tant pis. […] Moi, j’avais envie de partir. “Je veux partir moi.” Personne pouvait me faire changer d’avis à ce moment-là » (Anaïs.)

« J’en avais parlé à ma copine qui voilà se faisait du souci et compagnie. Mais finalement, le couple n’a pas tenu. […] Je me suis fait quitter, donc voilà, finalement… Ça faisait ouais un an, un an et demi qu’on était ensemble. » (Paul.)

Ce résultat vient confirmer les travaux sur les dynamiques des réseaux personnels et des entourages. Claire Bidart montre en effet que si les copains prennent une place nettement dominante dans les réseaux à l’âge de la jeunesse et lors des transitions vers l’âge adulte, ils sont un peu moins présents au sein des relations « influentes ». À l’inverse, la part dans les relations influentes est nettement supérieure à celle occupée dans l’ensemble des réseaux pour les pères et les mères43.

Ainsi, l’entourage des jeunes est susceptible d’infléchir les parcours, les cheminements et les choix dans le domaine de la mobilité internationale. Il peut informer, émettre des avis et des conseils qui vont peser sur les décisions d’engager des démarches conduisant à un départ en mobilité. Plus précisément, si la famille peut venir décourager, voire complètement inhiber, l’envie de partir à l’étranger et entraîner ainsi l’abandon du

43 Sur ce point, voir Bidart C., « Dynamiques des réseaux personnels et processus de socialisation : évolutions et influences des

projet, les parents et les amis à eux-seuls ne provoquent jamais le basculement vers une expérience de mobilité internationale44. L’environnement institutionnel joue un rôle essentiel ; à l’origine de la « rencontre »

des jeunes avec les opportunités de séjour à l’étranger, il est également décisif dans la concrétisation de leur projet notamment par l’intermédiaire de l’accompagnement45. Cependant, les structures de l’insertion sociale

et professionnelle – à l’instar des associations spécialisées dans la mobilité internationale – ne proposent pas toujours un contexte favorable pour guider les jeunes vulnérables vers ce type d’expérience.

44 Un contexte familial ou amical positif n’est généralement pas suffisant ; certains jeunes interrogés bénéficiant de ce type de

support ne se sont finalement pas engagés dans une expérience de séjour à l’étranger.

3. LES OBSTACLES INSTITUTIONNELS A L’ACCES DES JEUNES

VULNERABLES A LA MOBILITE INTERNATIONALE DANS UN CADRE

NON FORMEL

Informer, orienter ou accompagner des jeunes dans une expérience de mobilité internationale dans un cadre non formel peut s’apparenter dans certains cas à un processus sélectif dans lequel les structures de l’insertion sociale et professionnelle et de la mobilité jouent un rôle non négligeable, parfois même déterminant. En effet, des représentations, configurations et logiques institutionnelles peuvent restreindre les possibilités d’accès à la mobilité internationale dans un cadre non formel, d’une part en limitant– par leurs manières de penser et de faire – l’éventail des opportunités et, d’autre part, en réduisant le nombre et la diversité des jeunes susceptibles d’y participer par des processus divers de d’orientation et de sélection.

Les institutions et leurs acteurs peuvent ainsi être « complices » du « non recours » des jeunes avec moins d’opportunités à la mobilité internationale dans le cadre non formel par « non proposition46 » et créer

d’importantes inégalités au sein d’un public déjà marqué par des situations difficiles, des parcours parsemés de ruptures et d’échecs où la confiance en l’autre, d’une manière générale, est mise à mal.