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Nous nous intéressons dans notre recherche à un cours dispensé à des élèves de 10e année du cycle d’orientation26 (CO) centré exclusivement sur l’apprentissage de la résolution de problèmes.

Nous commençons par présenter le contexte dans lequel ce cours prend place.

En Suisse romande, l’enseignement des mathématiques modernes a laissé place à partir de 1997, à des plans d’études et des moyens d’enseignement 27 inspirés des approches socio-constructivistes de l’enseignement et de l’apprentissage dans lesquels la résolution de problèmes occupe une grande place (Nidegger, Ntamakiliro, Carulla, & Moreau, 2016). La volonté d’harmoniser les programmes scolaires entre cantons romands s’est concrétisée lors de la votation populaire du 21 mai 2006 validant la révision des articles constitutionnels portant notamment sur l’harmonisation de l’école publique. Ainsi dès 2007, la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) a repris et poursuivi les travaux entamés pour constituer un plan d’études commun visant à harmoniser les objectifs d’enseignement et les attendus de fin de cycle pour l’ensemble de la scolarité obligatoire. Ceci a abouti en 2010 à l’adoption de la version définitive du Plan d’Etudes Romand (PER) qui a été introduit, selon les cantons et les degrés scolaires, entre 2011 et 2014. L’approche socio-constructiviste de l’enseignement et de l’apprentissage initiée à partir de 1997 dans le curriculum et les moyens d’enseignement se retrouve à la lecture du PER qui définit toujours actuellement les objectifs et les finalités de l’école publique dans les cantons de Suisse romande. Ce curriculum est organisé selon trois entrées : les domaines disciplinaires au sein desquels sont précisés les objectifs d’apprentissage spécifiques aux différentes disciplines ; les capacités transversales

26 Le cycle d’orientation à Genève regroupe trois niveaux d’enseignement : 9e (grade 7, élèves de 12-13 ans), 10e (grade 8, élèves de 13-14 ans) et 11e (grade 9, élèves de 14-15 ans).

27 A Genève comme dans tous les cantons suisses romands, les enseignants disposent, pour les mathématiques, de manuels scolaires officiels, communs et unifiés appelés moyens d’enseignement.

98 (collaboration, communication, etc.) et la formation générale (MITIC, santé et bien-être, etc.). Les mathématiques et les sciences de la nature sont regroupées pour former un domaine disciplinaire qui tend à développer la posture scientifique et la résolution de problèmes. Ce regroupement des sciences de la nature et des mathématiques au sein d’un même domaine donne lieu à la définition d’objectifs communs. En ce sens, les visées prioritaires du domaine sont :

Se représenter, problématiser et modéliser des situations et résoudre des problèmes en construisant et en mobilisant des notions, des concepts, des démarches et des raisonnements propres aux Mathématiques et aux Sciences de la nature dans les champs des phénomènes naturels et techniques, du vivant et de l'environnement, ainsi que des nombres et de l'espace. (CIIP, 2010a, p. 5)

Cela s’illustre aussi par la définition d’un outil commun qu’est la posture scientifique. Cette posture implique,

face à une situation donnée, de s'interroger, d'en analyser les caractéristiques pour en tirer les éléments essentiels, de problématiser les questions, d'émettre des hypothèses, de prendre des informations pertinentes, de tirer des conclusions et de soumettre celles-ci à l'épreuve des données initiales (CIIP, 2010a, p. 11).

On retrouve dans cette définition les éléments caractéristiques d’une démarche d’investigation telle que définie dans le rapport européen connu sous le nom de rapport Rocard (Rocard et al., 2007) à savoir la mise à l’épreuve d’hypothèses ou de conjectures visant à répondre à une ou à des questions formulées à partir de l’observation d’un phénomène.

Mais malgré ces objectifs et outils communs au domaine MSN, des distinctions entre les mathématiques et les sciences de la nature sont aussi mises en avant, notamment autour de la modélisation. A la différence des sciences de la nature pour lesquelles la modélisation est considérée comme un élément central de la démarche, le curriculum précise qu’en mathématiques, « on se focalise plutôt sur le traitement du problème. Ce traitement a lieu après la modélisation, souvent liée au contexte, et s'organise en essais-erreurs, ajustements, généralisation, formulation d'une conjecture et validation de celle-ci par une démonstration mathématique » (CIIP, 2010a, p. 11). Dans le curriculum, le développement de la posture scientifique est donc un objectif partagé par les mathématiques et les sciences de la nature, mais ces dernières se focalisent davantage sur la modélisation du problème tandis que c’est la résolution de problèmes qui est au centre de la démarche en mathématiques car elle permet de

« donner du sens aux notions ; définir leur cadre d'application ; construire des connaissances opératoires » (CIIP, 2010a, p. 11). Cette centration sur la résolution de problèmes en mathématiques se retrouve au sein de la partie du domaine MSN consacrée aux mathématiques qui définit la progression des apprentissages visés, les attentes fondamentales ainsi que des indications pédagogiques. Cette partie s’organise en cinq thèmes : Nombres et opérations, Fonctions et algèbre, Espace, Grandeurs et mesures et Modélisation. Pour chaque thème, un

bandeau situé en en-tête de chaque page rappelle que les savoirs, savoirs –faire, compétences qui vont être développés serviront à poser et à résoudre des problèmes en lien avec le thème (Poser et résoudre des problèmes pour construire et structurer des représentations des nombres réels…. 1. en ordonnant des nombres réels ; 2. en comparant différentes écritures de nombre et systèmes de numération ; etc.). Cette entrée par la résolution de problèmes est renforcée par une partie commune à tous les thèmes appelée « Eléments pour la résolution de problèmes » et située en amont de la description des apprentissages spécifiques au thème. Cette partie met en avant des éléments de la résolution de problèmes communs à tous les thèmes mathématiques. Au niveau du cycle 3, correspondant au CO, il s’agit de : tri et organisation des informations (liste, tableau, schéma, croquis,…) ; mise en œuvre d’une démarche de résolution ; ajustements d’essais successifs ; pose de conjectures, puis validation ou réfutation ; déduction d’une ou plusieurs informations nouvelles à partir de celles qui sont connues ; réduction temporaire de la complexité d’un problème ; vérification, puis communication d’une démarche et d’un résultat en utilisant un vocabulaire, une syntaxe ainsi que des symboles adéquats. On retrouve ici des éléments de différents ordres : des modes de raisonnement et des démarches (raisonnement déductif, démarche d’essais-ajustements, démarche de type expérimental), de la preuve (« validation ou réfutation »), des heuristiques (« réduction temporaire de la complexité d’un problème ») mais aussi des compétences plus langagières (« communication d’une démarche et d’un résultat ») et organisationnelles (« tri et organisation des informations »).

La résolution de problèmes occupe donc une place centrale dans l’enseignement des mathématiques au cycle d’orientation à Genève. Cela apparait clairement à la lecture du plan d’études comme on vient de le montrer mais peut-être de manière encore plus criante dans les moyens d’enseignement.

Les premiers moyens d’enseignements romands de mathématiques (MER) pour les trois années du cycle d’orientation sont entrés en vigueur à partir de 200328. Leur ancrage socio-constructiviste a donné lieu à de nombreuses résistances quant à leur utilisation de la part des enseignants qui regrettaient les anciens moyens et l’enseignement d’éléments théoriques suivi d’exercices d’application qui y était proposé (Nidegger et al., 2016). De nouveaux moyens de

28 Il n’existait jusque-là aucun moyen d’enseignement pour le secondaire I. C’est toujours le cas pour le secondaire II.

100 mathématiques, spécifiques à chaque degré d’enseignement (9, 10, 11) ont été mis en place à partir de la rentrée 2011. Pour chacun de ces trois degrés, les livres de l’élève se présentent sous forme de réserves d’activités, regroupées en chapitre selon les axes définis dans le PER. Chaque chapitre est ensuite découpé en sous-chapitres et chaque sous-chapitre est décliné en thèmes. On trouve par exemple le chapitre Nombres et opérations, correspond à l’axe du PER, avec un sous-chapitre Nombres relatifs regroupant des thèmes tels que Nombres premiers ou Priorité des opérations. Une partie Recherche et stratégies, indépendante des axes spécifiques aux mathématiques du PER et en lien avec l’axe transversal Modélisation, est proposée en fin de manuel. Elle regroupe des problèmes, des logigrammes, etc. qui tendent à développer des capacités transversales (communication, collaboration, démarche réflexive, pensée créatrice et des stratégies d’apprentissage : analyser et améliorer ses démarches de recherche et de résolution de problèmes et se donner des méthodes de travail efficaces) (CIIP, 2012).

Les livres de l’élève des MER de 9, 10, 11 ne contiennent que des problèmes et c’est dans un document annexe, commun aux trois degrés d’enseignement du CO, appelé Aide-mémoire, que sont regroupés les termes, définitions et notions théoriques. Cet aide-mémoire est organisé de la même façon que les moyens d’enseignement qu’il vient compléter. On y retrouve notamment un chapitre Recherche et stratégies organisé autour de quatre thèmes que sont : Le débat mathématique, Problèmes, Résolution d’un problème et Stratégies de recherche. La partie relative au débat mathématique précise que « Le débat mathématique obéit à des règles bien précises. » et en présente quatre exemples (un énoncé est soit vrai, soit faux, il n’y a pas d’exception ; quelques exemples qui vérifient un énoncé ne suffisent pas à prouver que cet énoncé est vrai ; etc.). La partie Problèmes donne des précisions sur ce que sont un problème de recherche et une narration de recherche et définit des termes tels que stratégie, résolution, procédure, conjecture, contre-exemple ou encore « si.. alors… ». Le thème Résolution d’un problème présente les Etapes de résolution d’un problème. Nous y revenons dans la section 3.2. de ce chapitre. Enfin, on retrouve dans la partie Stratégies de recherche des caractérisations de différentes « stratégies » (l’analogie, le tâtonnement, le chainage avant, le chainage arrière, l’étude systématique de cas, la démarche scientifique et la modélisation), qui sont, à l’exception d’analogie et tâtonnement, toutes illustrées sur un problème donné. La démarche scientifique est par exemple définie comme :

Commencer par faire des essais et les organiser.

Sur cette base, émettre des conjectures et les tester sur plusieurs cas.

En cas d’échec, poser d’autres conjectures et recommencer la procédure.

Si cela est possible, démontrer que la conjecture est valable pour tous les cas. (Corminboeuf, Hostettler, Lecoultre, & Odiet, 2011, p. 141)

Un exemple est ensuite donné : trouver le nombre de poignées de main échangées dans une assemblée constituée de 𝑛 personnes. Une résolution de ce problème est proposée, avec une modélisation sous forme de tableau et l’expression d’une formule algébrique générale.

La place centrale accordée à la résolution de problèmes dans le PER s’illustre donc clairement à la lecture des moyens d’enseignement du CO. Le cours auquel nous nous intéressons dans notre travail est centré sur cet aspect de l’activité mathématique et n’est dispensé qu’à certains élèves de 10e, ceux de la section Littéraire et Scientifique option Scientifique. Avant de présenter en détail ce cours, nous commençons par préciser ci-dessous les spécificités du fonctionnement du CO genevois en filières et sections afin de caractériser le profil des élèves concernés.

Dans le canton de Genève, la spécification du parcours des élèves dans l’enseignement ordinaire intervient dès leur entrée au CO. Sur la base de leurs résultats en français et en mathématiques à la fin de l’école primaire, les élèves intègrent un des trois regroupements R1, R2 ou R3. Les élèves qui peuvent intégrer le regroupement 1 sont ceux ayant obtenu une moyenne annuelle égale ou supérieure à 3,029 dans chacune des trois disciplines de passage (Français I (lecture expression), Français II (grammaire, orthographe, vocabulaire, conjugaison) et Mathématiques). Dans ce regroupement, les classes sont à petits effectifs et les niveaux d’attente de base. Peuvent intégrer le regroupement 2, les élèves ayant obtenu une somme de leurs moyennes annuelles dans les trois disciplines de passage d’au moins 11,5 ; avec une moyenne annuelle égale ou supérieure à 3,5 dans chacune des trois disciplines. L’effectif y est réduit et les niveaux d’attente moyens. Enfin, les élèves pouvant intégrer le regroupement 3, sont ceux ayant obtenu un total minimum de 14,0 avec une moyenne annuelle égale ou supérieure à 4,0 dans chacune des trois disciplines de passage. Au sein de ce regroupement, l’effectif des classes est ordinaire et les niveaux d’attente sont élevés.

Lors du passage en classe de 10e, les élèves doivent ensuite choisir entre les sections communication et technologie (CT), langues vivantes et communication (LC) ou littéraire-scientifique (LS). Sont admis en section LS, les « élèves e-s du regroupement 3 ou promu-e-s du regroupement 2 avec une moyenne générale de 5 et, au plus, une seule moyenne insuffisante à l’exclusion du français et des mathématiques » (Département de l’instruction publique, de la culture et du sport, 2016, p. 22). En comparaison avec les sections CT et LC, la section LS s’avère être la section pour laquelle les conditions d’accès sont les plus exigeantes. Les

29 A Genève, les notes sont attribuées sur 6 et la moyenne est fixée à 4.

102 élèves de cette section sont donc des élèves qui ont de bons résultats scolaires. Au sein de la section LS, les élèves sont ensuite distingués en fonction de l’option qu’ils ont choisie, à savoir le latin (L), les langues vivantes (LV) ou les sciences (S). Les élèves suivant la section LS et la filière S sont les élèves du CO qui suivent le plus d’enseignements scientifiques.