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Soulignons tout d’abord que cette étude à large échelle nous a permis de mettre en évidence la faible variabilité inter-enseignant dans l’évaluation des productions d’élèves associées au problème des châteaux de cartes. Les évaluations des enseignants divergent principalement sur les éléments caractéristiques d’une démarche de type expérimental (essais, formulation de conjectures et preuve). Nous pensons que la complexité de l’objet mathématique à évaluer que constitue la résolution de problèmes, et ce problème en particulier, permet d’expliquer une partie des différences observées.

Par ailleurs, nous avons pu souligner des corrélations entre critères d’évaluation apparaissant à la suite de l’analyse des résultats des élèves sur le problème dit des châteaux de cartes. Les quinze critères de la grille se regroupent ainsi, a posteriori, en cinq facteurs que nous associons à la qualité de la narration, l’exhaustivité de la narration, l’entrée dans le problème, les éléments de conjecture et de preuve, les outils et la technique. Ces facteurs illustrent des manières de regarder la production de l’élève, des points de vue portés sur les narrations de recherche des élèves sur le problème des châteaux de cartes, qui diffèrent pour certains des dimensions initialement présentes dans la grille d’évaluation proposée par la commission. Nous notons en particulier que le critère relatif à la phase d’essais est d’avantage associé aux critères caractéristiques de la phase d’appropriation du problème qu’à ceux en lien avec les notions de conjecture et de preuve. Cela signifie qu’un élève présentant des difficultés sur la phase de mise en œuvre d’essais cohérents risque de présenter des difficultés d’appropriation du problème, davantage que des difficultés en lien avec les autres étapes d’une démarche scientifique (conjecture, test/preuve). Nos résultats semblent montrer que, pour les enseignants, la phase associée aux essais permet davantage de s’assurer que les élèves se sont bien appropriés le problème, que de constater la mise en œuvre d’une démarche scientifique. Cela questionne, selon nous, la place accordée aux essais dans une démarche de type expérimental et fait écho au constat de Hersant (2012, p. 196) qui souligne, à propos de l’école primaire française (mais son propos nous semble pouvoir s’étendre au début du secondaire genevois), que dans le cadre d’un apprentissage d’une démarche de type expérimental, il est difficile de donner une place aux essais et de les articuler à la formulation de conjecture et à la preuve. Cela nous interroge aussi sur la place que les enseignants donnent aux essais dans les séances en classe dédiées à la résolution de problèmes. Les enseignants situent-ils les essais dans une dialectique avec la formulation de

conjectures ou les mettent-ils davantage en avant comme un passage obligé pour s’approprier correctement le problème, pour « bien comprendre l’énoncé » ?

A partir des résultats des élèves, nous avons pu montrer, que sur ce problème, leurs difficultés se concentrent principalement autour de la mise en œuvre de conjectures, en particulier la phase de test/preuve de ces conjectures, et sur le caractère complet de la narration.

Les facteurs « conjecture et preuve » et « exhaustivité de la narration » concentrent donc les critères qui sont le moins souvent considérés comme validés dans les productions des élèves, et qui leur posent donc le plus de difficultés.

Les deux méthodes de clustering auxquelles nous avons eu recours pour tenter d’identifier des profils d’élèves (hiérarchique et two-step), mettent en avant l’importance de ces deux facteurs pour établir les profils d’élèves. Il s’agit des facteurs les plus discriminants. Pour autant, les profils des élèves ne se scindent pas en deux grands types, les uns performants sur les éléments associés à la narration, les autres compétents en résolution de problèmes. Les profils d’élèves identifiés ont des compétences plus spécifiques. Les clusters obtenus par la méthode two-step regroupent les élèves en différents profils assez équilibrés en termes d’effectifs. Un premier profil est celui d’un élève qui maîtrise tous les aspects évalués. Un deuxième profil, est à l’inverse, caractérisé par les difficultés rencontrées sur tous les facteurs. Deux des profils restants rencontrent de grosses difficultés sur les dimensions « recherche et preuve ». L’un d’eux rédigent par ailleurs des narrations qui ne sont pas exhaustives et rend un travail qui n’est pas soigné. Un cinquième profil est celui d’un élève qui peine à s’approprier le problème, dont la narration est peu souvent pertinente mais qui maîtrise les outils et techniques mathématiques utilisés. Le dernier profil d’élèves se caractérise par une faible maîtrise des outils et techniques mathématiques utilisés, mais par de bonnes qualité narratives et une bonne appropriation du problème.

Les critères d’évaluation qui sont le plus fortement corrélés à la note obtenue sont les critères constituant le facteur « conjecture et preuve », le fait que les élèves mobilisent des outils et des concepts mathématiques pertinents et qu’ils rédigent une narration qui soit complète. Il est, de plus, intéressant de noter que cinq des six critères qui sont le plus fortement corrélés à la note obtenue sont ceux pour lesquels les enseignants ne sont pas en accord lors d’une évaluation de copies communes et sont aussi les mêmes que ceux qui sont le moins souvent considérés comme validés dans les productions d’élèves. Autrement dit, les critères d’évaluation qui influencent le plus la note obtenue par les élèves sont aussi ceux pour lesquels les enseignants présentent le plus de désaccord et sont ceux qui posent le plus de difficultés aux élèves.

Cette étude à large échelle montre donc la complexité de l’évaluation des narrations de recherche des élèves et la diversité des difficultés qu’ils rencontrent. Les phases d’essais, d’élaboration de conjectures et de preuve, caractéristiques d’une démarche de type expérimental,

188 amènent en particulier à des difficultés pour les élèves lors de la résolution du problème des châteaux de cartes, et pour les enseignants lorsqu’ils évaluent les narrations de recherche des élèves. A l’instar de nombreux enseignants que nous avons rencontrés, l’un de ceux que nous avons suivis pour notre deuxième étude, Paul, associe cependant presque exclusivement les difficultés des élèves à la narration comme il nous le dit lors de l’entretien post observation « oui, le côté recherche, qu’ils y rentrent ou pas, ça va dépendre des élèves, certains rentrent plus facilement dans des énoncés que d’autres, mais une fois dans l’énoncé devant les yeux ils vont faire le travail de recherche. C’est vraiment la rédaction qui a été difficile. ». C’est aussi ce qui ressortait de l’étude prospective que nous avions menée (cf. Partie A. Chapitre IV. 4.1).

Nous nous intéressons maintenant aux pratiques évaluatives effectives des enseignants dans le cadre d’un enseignement ordinaire.