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1. La notion d’OGM

L’OGM se caractérise d’une part, par sa nature d’organisme, et d’autre part, par son mode de création : il est le produit du génie génétique. L’article 5 LGG le définit comme « tout organisme dont le matériel génétique a subi une modification qui ne se produit pas naturellement, ni par multiplication, ni par recombinaison naturelle » (art. 5, al. 2 LGG). La même définition a été introduite dans la LPE lors de l’adoption de la LGG (art. 7, al. 5ter LPE). Elle correspond également au droit européen : l’OGM est « un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » (art. 2, point 2 de la directive 2001/18/CE). Il se distingue donc clairement par ses caractéristiques biologiques et le processus

« artificiel » qui préside à sa naissance, sans que cela comporte une appréciation du caractère positif ou négatif de son impact. Il diffère en cela de l’organisme pathogène, qui est en revanche défini par son effet négatif sur l’homme et l’environnement, soit sa capacité à provoquer des maladies (art. 7, al. 5quater LPE).

Pour le Protocole de Cartagena, seule convention internationale à définir l’OGM, la définition repose également sur la caractéristique biologique de l’organisme et sur son mode de création. D’une part, l’OGM (qu’on appelle ici OVM, « organisme vivant modifié ») est une entité biologique capable de transférer ou de répliquer du matériel génétique. D’autre part, il possède une combinaison de matériel génétique inédite, obtenue par recours à la biotechnologie moderne (art. 3, let. g Protocole de Cartagena). Cette dernière est en outre décrite à l’article 3, lettre i du Protocole : elle va résulter de l’application de techniques in vitro aux acides nucléiques ou de la fusion cellulaire d’organismes n’appartenant pas à une même famille taxonomique.

La caractéristique commune de ces techniques est qu’elles surmontent « les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison ». En outre, il ne s’agit pas de techniques utilisées pour la reproduction de type classique7. Ici aussi, on constate que l’organisme, dans ce cas modifié de façon particulière, présente des caractéristiques en tant que tel, qui sont à l’origine des règles qui lui sont applicables. Celles-ci, de même que les modes de création de l’OVM/OGM, sont indépendantes du type de produit qui pourra lui donner sa forme finale, en particulier lors d’une mise dans le commerce.

Si la LGG peut être considérée comme une réglementation qui s’applique à la fois à une technique (le génie génétique) et à son résultat, l’organisme génétiquement modifié, le Protocole de Cartagena ne vise, quant à lui, que ce dernier. De façon plus précise, il s’applique « aux mouvements transfrontières, au transit, à la manipulation et à l’utilisation » de l’OVM, afin d’en éviter les effets défavorables éventuels sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. La santé humaine doit toutefois également être prise en compte (art. 4 Protocole de Cartagena), mais un effet pathogène n’est pas un élément constitutif. Dans les deux cas, toutefois, la réglementation vise l’organisme, indépendamment des modes de production, des éventuels produits ou objets dans lesquels il est incorporé, des vecteurs qui lui permettent de franchir les frontières ou qui en facilitent la manipulation ou l’utilisation. Cette approche est à l’origine de la difficulté de réconcilier les règles sur l’utilisation ou la circulation des OGM avec celles qui s’appliquent aux mouvements et aux manipulations d’objets ou de produits dans lesquels ils sont introduits.

7 De même, l’annexe I A de la directive 2001/18/CE indique-t-elle (de façon non exhaustive) les types de technologies visées, en particulier, celles basées sur la recombinaison de l'acide désoxyribonucléique par l'insertion de molécules d'acide nucléique, produit de n'importe quelle façon hors d'un organisme, l'incorporation directe dans un organisme de matériel héréditaire préparé à l'extérieur de l'organisme ou les techniques de fusion cellulaire au moyen de méthodes qui ne sont pas mises en œuvre de façon naturelle.

2. Les OGM et les produits

La définition générale n’exclut pas qu’un OGM puisse être considéré comme un produit. En Suisse, la loi fédérale du 18 juin 1993 sur la responsabilité pour le fait des produits (LRFP)8 les définit comme des choses mobilières (art. 3 LRFP). Pour la loi fédérale du 12 juin 2009 sur la sécurité des produits (LSPro)9, tout bien meuble prêt à l’emploi (même s’il s’agit de pièces détachées à installer ou assembler) est réputé produit (art. 2 LSPro). La loi fédérale du 15 décembre 2000 sur la protection contre les substances et les préparations dangereuses (LChim)10 ne fait pas des produits une catégorie particulière par opposition aux organismes ou aux substances. Ainsi, qualifie-t-elle de

« produits biocides » certains « principes actifs », ce qui inclut les microorganismes, y compris les virus (art. 4, al. 1, let. b et d LChim). La LGG, en revanche, opère une distinction implicite entre organismes et produits dans la définition de son champ d’application : la loi s’applique dans son ensemble à « l’utilisation d’animaux, de végétaux et d’autres organismes génétiquement modifiés ainsi qu’à l’utilisation de leurs métabolites et de leurs déchets», alors qu’elle a une application limitée pour les « produits issus d’organismes génétiquement modifiés » (art. 3 LGG). Elle ne distingue toutefois pas toujours clairement les organismes eux-mêmes des produits issus de manipulations génétiques ou contenant des OGM. Ainsi, la LGG s’applique-t-elle à des produits, par exemple lorsqu’il s’agit d’empêcher « la fraude sur les produits » (art. 1, al. 2, let. e LGG) ou d’opérer une « séparation des flux des produits » (art. 16 LGG)11.

De même, la loi distingue, aux fins d’étiquetage et d’information, les OGM eux-mêmes des mélanges, objets ou produits qui peuvent en contenir (art. 17, al. 2 LGG) et les produits « issus » d’OGM (particulièrement les denrées alimentaires : art. 17, al. 4 LGG). La même distinction apparaît à l’article 30 LGG relatif à la responsabilité civile pour l’usage des OGM qui distingue, en matière agricole, les moyens de production contenant des OGM des organismes issus de ces moyens de production (art. 30, al. 2 LGG).

L’ensemble des normes sur la responsabilité s’applique néanmoins aux organismes sans égard aux produits qui pourraient les incorporer ou en être issus. L’article 30, alinéa 6 LGG mentionne toutefois les produits « composés d’OGM », mettant ainsi la distinction en évidence.

La LGG opère parfois des distinctions qui rendent une séparation nette entre organismes et produits plus difficile. Ainsi, distingue-t-elle d’une part les

8 RS 221.112.944.

9 RS 930.11.

10 RS 813.1.

11 Il s’agit d’un moyen de garantir que les produits ne contenant pas d’OGM ne sont pas contaminés par ces derniers.

animaux, les végétaux et les « autres organismes génétiquement modifiés » (auxquels elle assimile leurs métaboliques et leurs déchets), et d’autres part, les

« produits issus d’organismes génétiquement modifiés » (art. 3 LGG).

L’article 3, alinéa 1 LGG se référant aux animaux et aux végétaux pourrait donc laisser supposer que la loi s’applique à des produits du génie génétique, au sens de produits susceptibles d’être mis sur le marché. Les définitions de l’article 5 LGG font apparaître, en revanche, une nette distinction entre organisme et produit. L’examen de ces différentes conceptions va mettre en évidence l’une des difficultés principales qui caractérise la relation entre l’approche de principe et les règles qui s’appliquent à la mise en circulation des produits.

C’est en matière de produits agricoles, en particulier ceux destinés à l’alimentation humaine, que la référence quasi interchangeable aux organismes et aux produits est la plus fréquente. L’article 27a de la loi du 29 avril 1998 sur l’agriculture (LAgr)12 vise, par exemple, les « produits agricoles » ainsi que les

« matières auxiliaires de l’agriculture » considérés comme génétiquement modifiés (art. 27a, al. 1 LAgr). Ce sont ces mêmes produits qui sont soumis à des dispositions particulières sur la responsabilité à l’article 30, alinéa 2 LGG.

L’article 146a LAgr s’applique en outre aux animaux de rente génétiquement modifiés. C’est également dans le domaine agricole, horticole et forestier que l’article 37a LGG impose un moratoire aux autorisations prévues par la loi concernant les plantes, parties de plantes, semences et autre matériel végétal de multiplication, ainsi que les animaux génétiquement modifiés. Néanmoins, l’article 12 LGG qui prévoit une autorisation de mise en circulation s’applique aux organismes en tant que tels et non à des produits. Il en va de même pour les mouvements transfrontières des OGM qui sont réglés par l’ordonnance de mise en œuvre du Protocole de Cartagena13.

Pour les produits alimentaires, on distingue les denrées alimentaires, les additifs et les auxiliaires technologiques qui sont des OGM de ceux qui

« contiennent de tels organismes » ou qui « en sont issus » (art. 22, al. 1 ODAlOUs14). Ils sont toutefois tous soumis à une obligation d’autorisation.

Pour l’ordonnance du DFI du 23 novembre 2005 sur les denrées alimentaires génétiquement modifiées (ODAlGM)15, sont considérés comme des

« produits » OGM, « des denrées alimentaires, des additifs ou des auxiliaires technologiques qui : (a) sont des organismes génétiquement modifiés (OGM),

12 RS 910.1.

13 Ordonnance du 3 novembre 2004 sur les mouvements transfrontières des organismes génétiquement modifiés (OCart ; RS 814.912.21) ; on relèvera que cette ordonnance utilise la terminologie du droit suisse (OGM) et non celle du Protocole de Cartagena (OVM), les considérant comme équivalentes.

14 Ordonnance du 23 novembre 2005 sur les denrées alimentaires et les objets usuels (ODAIOUs ; RS 817.02).

15 RS 817.022.51.

(b) contiennent des OGM, (c) ont été obtenus à partir d’OGM, (d) sont issus d’un croisement entre OGM ou d’un croisement entre OGM et d’autres organismes » (art. 2 ODAIGM). Dans le même sens, l’Union européenne qualifie de denrées alimentaires génétiquement modifiées (produits) les denrées alimentaires contenant des OGM, consistant en de tels organismes ou produites à partir d’OGM (art. 2, point 6, règlement 1829/200316), et les distingue de ceux produits « à partir d’OGM » qui sont issus, en tout ou en partie, d’OGM, mais ne sont pas eux-mêmes des OGM et n’en contiennent pas (art. 2, point 10 du règlement 1829/2003)17.

De l’ensemble de ces dispositions on peut conclure que les OGM peuvent être des produits, qu’ils peuvent être incorporés dans des produits ou permettre la fabrication de produits. En matière agricole, certains produits sont définis directement comme étant génétiquement modifiés, ce qui s’explique sans doute par le caractère biologique des produits agricoles. La loi prend toutefois soin de distinguer les OGM en tant que tels lors de la diffusion, ou dissémination, qui peut résulter de leur nature même, des produits pouvant contenir des OGM dont la mise en circulation résulte de l’activité humaine.

3. Les instruments de contrôle des OGM

La loi distingue l’utilisation d’OGM en milieu confiné, la dissémination expérimentale et la mise en circulation de ces organismes. Ces activités sont soumises à notification. Pour l’utilisation en milieu confiné, soit dans des installations impliquant des barrières physiques ou une combinaison de barrières physiques, chimiques ou biologiques visant à empêcher le contact des organismes avec l’homme ou l’environnement, l’ordonnance du 25 août 1999 sur l’utilisation des organismes en milieu confiné (OUC)18 impose une évaluation du risque (art. 8 OUC), un devoir de diligence (art. 4 OUC) et l’obligation de travailler en milieu confiné (art. 5 OUC). Pour les catégories comportant des dangers particuliers, une autorisation doit être demandée (art. 9, al. 2, let. c OUC). Pour les autres, une notification suffit (art. 9, al. 2, let. a et b OUC). Pour la dissémination dans l’environnement19, le régime de l’autorisation s’impose aussi bien pour les OGM que pour les organismes pathogènes ou les petits invertébrés exotiques (art. 17 ODE). Il en va de même pour la mise en circulation d’OGM (art. 12 LGG). L’OCart impose également

16 Règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.

17 Il convient aujourd’hui d’y ajouter des produits contenant des pollens provenant de plantes génétiquement modifiées, même s’ils ne sont plus en état de transmettre leur patrimoine génétique : arrêt de la Cour européenne de Justice C-442/09, ERRASS (n. 6).

18 RS 814.912

19 Selon l’ordonnance du 10 septembre 2008 sur l’utilisation d’organismes dans l’environnement (ODE ; RS 814.911).

des autorisations au sens de l’ODE ou de l’OUC pour leur importation.

L’exportation doit faire l’objet d’une information à l’Office fédérale de l’environnement et être consignée dans un registre (art. 6 et 7 OCart).

Le Protocole de Cartagena subordonne tout premier mouvement transfrontière intentionnel d’OVM à une procédure d’accord préalable en connaissance de cause. Celle-ci implique la notification à l’autorité du pays d’importation du mouvement transfrontière envisagé (art. 8 Protocole de Cartagena). Le pays d’importation l’autorisera au terme d’une évaluation des risques décrite dans l’annexe III du Protocole (art. 15 Protocole de Cartagena).

Le Protocole doit être mis en relation avec l’article 19 de la Convention sur la diversité biologique, qui traite indirectement des OGM dans le cadre de la gestion de la biotechnologie20. Elle exprime le souci des parties de garantir l’accès aux résultats et avantages découlant des biotechnologies, notamment celles qui reposent sur des ressources génétiques fournies par des pays en développement (art. 19(1) et 19(2) CDB), mais renvoie au protocole la tâche de définir les procédures garantissant la sécurité lors des transferts d’organismes vivants modifiés (OVM) qui risqueraient d’avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique (art. 19(3) CDB).

A cette fin, les parties assument d’ailleurs un devoir d’information réciproque quant à l’utilisation et aux règlements de sécurités exigés en matière de manipulation des OVM et sur l’impact défavorable potentiel de ces organismes (art. 19.4 CDB).

Pour la CDB et le Protocole de Cartagena la procédure appropriée d’accord préalable en connaissance de cause lors de tous mouvements transfrontières d’OVM doit assurer l’évaluation du risque que l’organisme peut représenter pour la diversité biologique dans le pays receveur. Une procédure particulière est en outre prévue pour ceux qui sont destinés à être utilisés directement pour l’alimentation humaine ou animale, ou encore pour ceux qui doivent être transformés (art. 11 Protocole de Cartagena). Les OVM qui constituent également des produits pharmaceutiques destinés à l’homme sont exclus du champ d’application du Protocole de Cartagena dans la mesure où ils relèvent d’autres accords ou organismes internationaux pertinents (art. 5 Protocole de Cartagena). En conséquence, les éléments de l’évaluation des risques laissent une très large place à la description des effets sur la diversité biologique, en particulier par l’examen des organismes qui peuvent s’avérer donneurs ou récepteurs de caractéristiques biologiques nouvelles (annexe III ch. 9 Protocole de Cartagena). La combinaison d’une procédure d’autorisation et d’une évaluation des risques doit ainsi permettre à l’Etat récepteur de contrôler l’impact d’un OGM nouvellement venu sur son propre territoire, en fonction des conditions locales.

20 Convention du 5 juin 1992 sur la diversité biologique (CDB ; RS 0.451.43).

II. Les diverses approches de droit international