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B. Le discours descendant

II. Exigences pratiques : de la méthode nationale et bilatérale à une

comparé

Les exigences pratiques pour les comparatistes ont considérablement changé ces deux dernières décennies. En effet, l’internationalisation voire même la mondialisation du commerce et de la pratique juridique ont créé le besoin de développer une méthode comparative qui n’est plus nationale et bilatérale mais multilatérale et supranationale.

Traditionnellement11, lorsque les juristes européens emploient la méthode comparative, leur point de départ est souvent un seul ordre juridique, celui de leur pays d’origine, qui servira de point de référence pour la comparaison. Le but de la comparaison est de combler des lacunes de ce droit national, de l’améliorer ou de le réformer. L’ordre juridique avec lequel ce droit sera comparé est traditionnellement choisi parmi les grands représentants des anciennes

« familles de droit », c’est-à-dire le droit français, le droit allemand et la Common Law (droit anglais ou droit états-unien notamment). On pourrait

9 51 J. Leg. Ed. p. 305 (2001).

10 En font partie, au niveau de la macro-comparaison, notamment les grands systèmes de droit et les différentes cultures et traditions juridiques, leurs origines historiques et leurs particularités, voir notamment ZWEIGERT KONRAD,KÖTZ HEIN, An Introduction to Comparative Law, 3ème ed. (traduction T.WEIR), Oxford, 1998 = Einführung in die Rechtsvergleichung, 3ème ed., Tübingen, 1996 ; DAVID RÉNÉ,JAUFFRET-SPINOSI CAMILLE, Les grands systèmes de droit contemporains, 11ème éd., Paris, 2002 ; GAMBARO ANTONIO, SACCO RUDOLFO, Sistemi Giuridici Comparati, 3ème éd., Turin, 2008 ; ANTONIO GAMBARO,RUDOLFO SACCO,VOGEL LOUIS, Le droit de l’occident et d’ailleurs, Paris, 2011 ; CUNIBERTI GILLES, Grands systèmes de droit contemporains, 2ème éd., Paris, 2011 ; innovateur et très inspirant : GLENN PATRICK, Legal Traditions in the World – sustainable diversity in the law, 4ème ed., Oxford, 2010.

11 Mais aussi dans de nombreuses thèses de droit comparé publiées encore aujourd’hui.

appeler cette méthode traditionnelle une approche nationale12 et bilatérale de droit comparé.

Cette approche est peut-être toujours pertinente pour certaines recherches comparatives. Cependant, ces dernières années, l’horizon pour la comparaison s’est élargi et d’autres objectifs du droit comparé sont devenus de plus en plus importants : il s’agit notamment de celui

• d’initier une discussion sur les problèmes juridiques dans un contexte international (par ex. européen voire même mondial) ;

• de mettre en évidence toute une palette de solutions qui sont en vigueur dans les différents ordres juridiques pour un même problème juridique pour ensuite pouvoir bénéficier des expériences qui ont été faites dans les différentes juridictions avec ces solutions ;

• ou encore de découvrir éventuellement des principes communs de droit qui existent à travers l’Europe ou d’autres régions du monde.

Dans la mesure où ces objectifs prennent de l’importance, l’ordre juridique d’un seul pays perd sa valeur de point de référence pour la recherche comparative. Suite à cette diversification d’objectifs, les exigences et défis pour les comparatistes se sont, pour beaucoup de recherches comparatives, accentués ou ont considérablement changé et ceci sur trois points :

Un premier changement concerne les ordres juridiques qui sont à prendre en considération lors de la comparaison (ceci même si la comparaison est effectuée dans le but traditionnel d’améliorer un seul droit national). Les grandes codifications des ordres juridiques qui ont marqué toute une « famille de droit », comme notamment le Code civil français ou le BGB allemand, ont pris de l’âge et les différences entre les principaux représentants des « familles de droit » et les autres membres des anciennes familles se sont aujourd’hui considérablement accentuées sur de nombreux points. Ces derniers ont mis en vigueur des codifications modernes, issues d’importants travaux comparatifs, avec des dispositions qui sont souvent plus nuancées que celles des principaux représentants des anciennes familles de droit13. La jurisprudence de ces pays a

12 Voir ZWEIGERT/KÖTZ, Einführung in die Rechtsvergleichung (n. 10) p. 29 : die Rechtsvergleichung behält so eine « nationale Farbe »; KÖTZ HEIN, « Alte und neue Aufgaben der Rechtsvergleichung », Juristen-Zeitung (JZ) 2002 p. 257 ss, 259 ; ROMANO GIAN-PAOLO parle d’une « comparaison […]

nationaliste, puisqu’elle sert la cause du seul législateur national qui la pratique », « Les justiciables face à la comparaison des droits : vers la démocratisation d’un droit savant », in : CASHIN RITAINE/FRANCK/LALANI (éd.), Legal Engineering and Comparative Law, tome 1, Zurich/Bâle/Genève, 2008, p. 95, 101.

13 Voir, pour n’en citer que quelques exemples, le Code civil néerlandais (le Burgerlijk Wetboek) de 1992, le Code civil du Québec de 1994, ou encore les codifications récentes des pays baltes ; en dehors de l’Europe, v. par ex. le Contract Act chinois de 1999, qui est largement inspiré par les Principes d’UNIDROIT relatifs au contrats du commerce international, v. par ex. DANHAN HUANG,

« The UNIDROIT Principles and their Influence in the Modernization of Contract Law in the People’s Republic of China », Unif. L. Rev. 2003 p. 107 ss ; JING XI, « The Impact of the UNIDROIT-Principles on Chinese Legislation », in : CASHIN RITAINE/ LEIN (ed.), The UNIDROIT Principles 2004 – Their Impact on Contractual Practice, Jurisprudence and Codification, Zurich/Basel/Geneva, 2007,

également pris ses propres chemins à bien des égards. Limiter la comparaison aux grands représentants des anciennes « familles de droit » (c’est-à-dire le droit français, le droit allemand et la Common Law anglaise ou états-unienne) néglige les nombreuses différences et nuances qui se sont établies, au cours du XXème siècle, entre les principaux représentants des familles de droits et les autres membres de ces familles. Par conséquent, dans de nombreux domaines, il est difficilement justifiable de concentrer la comparaison sur les principaux représentants des anciennes familles de droit qui ne présentent plus forcément les solutions les plus modernes et stimulantes pour la comparaison14. Il faut donc élargir l’horizon de la comparaison et inclure notamment les juridictions des pays de petite ou de moyenne taille qui ont pendant longtemps été dans l’ombre de leurs grands voisins15.

De plus, ces dernières années, des règles (ou principes) de droit non-étatiques basés sur d’importantes recherches comparatives ont été présentées.

Afin d’éviter de devoir toujours « réinventer la roue », ces règles non-étatiques doivent aujourd’hui être intégrées à la comparaison, à côté des dispositions législatives et des solutions jurisprudentielles nationales ou internationales.

Deuxièmement, les recherches comparatives exigent aujourd’hui, dans de nombreuses situations16, que les juristes adoptent une méthode de droit comparé qui leur permette de connaître toute la palette des solutions pour le problème analysé qui sont en vigueur dans les différents pays. Cette méthode permettrait d’identifier la solution la plus convaincante sur le plan international ; elle permettrait aussi de savoir si des tendances internationales existent, voire même de dégager des principes communs pour la résolution du problème analysé. Dans ces situations, la recherche du comparatiste ne peut pas se limiter à un seul ordre juridique étranger. Au contraire, elle doit comporter l’analyse d’une multitude de droits qui lui serviront ensuite de sources d’inspiration lors de la résolution du problème analysé. Pour répondre à ce défi et pour pouvoir gérer une telle multitude d’informations, il est

p. 107 ss ; YUQUING ZHANG,DANHAN HUANG, « The New Contract Law in the People’s Republic of China and the UNIDROIT Principles of International Commercial Contracts : A Brief Comparison », Unif. L.

Rev. 2000 p. 429 ss.

14 Voir déjà CONSTANTINESCO VLAD, Rechtsvergleichung, vol. II « Die rechtsvergleichende Methode », Cologne, 1972, p. 50 : « Tatsächlich ist es offensichtlich, dass manche abgeleiteten Rechtsordnungen einen Stand der Originalität erreichen können, der den Vergleicher zu ihrer unmittelbaren Untersuchung verpflichtet ».

15 En effet, les « Principes du droit européen du contrat » de la Commission pour le droit européen du contrat ainsi que le projet de « Cadre commun de référence » de 2009 ne suivent souvent pas les solutions traditionnelles connues des représentants principaux des anciennes familles de droit, mais ont choisi des solutions plus nuancées qui s’inspirent de celles que l’on trouve dans les pays de petite ou moyenne taille ; ils confirment ainsi l’importance des solutions en vigueur dans ces pays ; pour des exemples, v. KADNER GRAZIANO THOMAS, « L’européanisation du droit privé et de la méthode comparative – Etude de cas », SZIER/RSDIE 2004 p. 233 ss ; idem, « Introduction à la méthode comparative », in : KADNER GRAZIANO, Le contrat en droit privé européen – Exercices de comparaison, 2ème éd., Bâle/Bruxelles/Paris, 2010, p. 5 ss.

16 Voir les exemples infra B.

nécessaire de remplacer l’approche bilatérale par une méthode comparative multilatérale.

Troisièmement, pour établir un tel aperçu comparatif multilatéral, il est nécessaire que le comparatiste adopte, dès le début de son analyse, une vision selon laquelle la solution que chaque ordre juridique apporte à une question de droit a, en principe, la même valeur. En étudiant les différents droits, le comparatiste doit se faire « une loi d’adopter et suivre toutes [les approches]

sans y mêler les [s]iennes » (c’est-à-dire celles de son propre ordre juridique). Il doit commencer son analyse par se « faire un magasin d’idées […] nettes, en attendant que [sa] tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir »17. Pour effectuer la comparaison avec une telle objectivité, il n’est pas possible de prendre un seul ordre juridique national comme unique point de référence pour la comparaison. Pour atteindre cette objectivité, il faut donc abandonner le point de vue national et adopter une perspective « à vol d’oiseau » par rapport aux objets de la comparaison, ou, en d’autres termes, une perspective supra-nationale de droit comparé.

A. Objectif : permettre un choix éclairé en connaissance des