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L’offre en matière de coopération transfrontalière : le retour des (dé)constructeurs d’État ?

Dans les plans des acteurs européens et nationaux : une intégration forcée ou stratégique. Bien que notre étude se concentre sur la Suisse, nous prenons en compte ici deux types « d’entrepreneurs politiques », les acteurs européens (UE) et les représentants de l’État fédéral helvé- tique. De façon schématique, on peut admettre que l’objectif principal des premiers est une « défonctionnalisation complète des frontières » internes à l’UE [Ricq, 1996], ainsi que l’atténuation de l’effet « forte- resse Europe » face aux voisins non membres. Appliquée à la Suisse, cette politique se limite à un moyen presque exclusif : le programme Interreg, instrument de financement top-down unilatéral. Quant aux acteurs fédéraux, il semble que leur objectif soit double, relevant tant de la « politique régionale » de développement que de la « politique d’intégration » européenne de la Suisse [Syz, 2001]. Naturellement, les moyens à disposition de la Confédération sont multiples. Que ce soit de jure, par le biais de dispositions législatives ou réglementaires, ou de facto, par une interprétation large des dispositions constitutionnelles, l’administration fédérale laisse tout d’abord beaucoup de marge de manœuvre aux entités fédérées. Au-delà de cette contribution « néga- tive », la Confédération encourage aussi « positivement » les acteurs du transfrontalier par sa participation financière aux programmes Interreg. Ainsi que plusieurs auteurs l’ont relevé [Leresche, Lévy,

1995], la décision de soutenir ce programme communautaire a été prise comme un moyen de « continuation de la politique (européenne) par d’autres moyens ».

Dans l’ensemble, ces initiatives top-down rencontrent peu de succès lorsqu’elles ne tombent pas sur un terreau favorable. Évaluant les effets d’Interreg I et II, le parlementaire européen Herbert Bösch reconnaît que la manne européenne s’est révélée « fertilisante » dans les régions où la coopération était déjà bien vivante, mais que le tissu transfron- talier reste très faible dans d’autres espaces, notamment alpins [Bösch, 2001]. Au cours d’une étude réalisée pour la Datar [Fourny et alii, 2003], nous avons pu le confirmer par une analyse des projets impliquant le Valais dans le cadre d’Interreg II [Wiegandt, Knubel, 2005]. Non seule- ment leur nombre – quarante-cinq – reste modeste en comparaison des dossiers impliquant Genève et Vaud, mais la proportion d’acteurs publics porteurs de projets est aussi symptomatique. Aux côtés de quinze por- teurs privés, on trouve en effet vingt et un acteurs étatiques (canto- naux) et neuf personnes morales de droit privé, mais dont la compo- sition, le financement et les objectifs relèvent de la sphère publique. La proportion d’acteurs (semi) publics s’établit donc à deux tiers pour le Valais, plus encore pour le Val d’Aoste (80 %) et la Savoie (76,6 %). Dans cette région alpine, Interreg ne semble donc pas en mesure de créer un réel tissu transfrontalier qui dépasse la sphère publique.

Plus généralement enfin, quatre études de cas établies dans le cadre d’un programme suisse de recherche récent (PNR 42 : « Fondements et possibilités de la politique extérieure suisse ») concluent toutes à l’inefficacité de la coopération transfrontalière comme facteur d’inté- gration européenne de la Suisse [Vodoz, 1999 ; Leresche, Malatesta, Bassand, 1998]. Ainsi, les entrepreneurs politiques européens ou fédé- raux ne semblent parvenir que partiellement à leurs fins, leur succès étant déterminé par des dynamiques plus locales.

Des barons régionaux à la recherche de fiefs. Si le secret d’une coopération transfrontalière réussie ne se situe pas au niveau des acteurs européens et nationaux, on peut en chercher la source auprès des entrepreneurs politiques régionaux. Même dans un cas comme la région bâloise, arché- type d’une zone où la demande fonctionnelle de coopération est forte, c’est au « pionnier » Hans Briner, premier secrétaire général de la Regio Basiliensis, qu’on attribue le mérite d’avoir lancé une pratique alors novatrice et ambitieuse [Lezzi, 2000]. De même pour l’espace franco- genevois, où seul l’engagement inconditionnel de quelques personnes a permis de passer de « weitsichtigen Köpfen », quelques esprits visionnaires, à « dauerhaften Institutionen », des institutions durables [Lezzi, 2000].

Inspirés par ces exemples prometteurs, des politiciens régionaux auraient tenté d’importer de telles pratiques sur d’autres espaces, malgré une demande fonctionnelle faible. En un sens, on peut parler d’une « mode » durant les années 1980, où chaque entrepreneur poli- tique régional se flatte de jouer une petite diplomatie à son niveau. La situation semble particulièrement caricaturale dans l’arc jurassien, où « Edgar Faure et François Lachat ont porté et incarné la CTJ (Commu- nauté de travail du Jura) à ses débuts […] chacun tentant de renforcer un leadership régional sur son territoire d’élection, par le biais de la coopération transfrontalière » [Leresche, Malatesta, Bassand 1998]. Ce tremplin a permis au premier de présider l’Assemblée des régions d’Europe (ARE) dès sa création (1985) et au second d’être nommé président de la commission de politique extérieure du Conseil national suisse (1997). En forçant un peu les traits, on peut y voir quelques barons régionaux cherchant à se constituer une base de pouvoir, un fief. Poussant l’analogie plus loin, quelques auteurs n’hésitent pas à parler d’un « axe régions-Europe », dont les deux pôles « tendent de plus en plus à se légitimer » réciproquement et constituent une alliance contre le terme intermédiaire, l’État [Leresche, 1995].

Même pour les entrepreneurs politiques régionaux toutefois, un succès durable, en termes de coopération transfrontalière et non de carrière politique naturellement, ne semble pas pouvoir se passer d’un terreau favorable. D’où l’essoufflement de plusieurs institutions, coquilles vides qui ne correspondent à aucune réalité sur le terrain. « Avec la disparition d’E. Faure et le départ de F. Lachat », l’idée de mobilisation par la coopération transfrontalière « a pratiquement dis- paru », ainsi qu’en témoignent les termes d’un élu local [Leresche, Malatesta, Bassand, 1998]. Devant le peu de dynamisme de la CTJ, les succès locaux restent confinés à leur espace micro et ne sont pas capi- talisés sur l’échelle régionale. Globalement, personne ne semble donc pouvoir faire abstraction de la réalité sociale sous-jacente.

La demande de coopération transfrontalière :