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Deux exemples particuliers, l’un lié à l’université et l’autre à la culture, permettent d’apporter quelques éléments supplémentaires de compréhension et d’illustrer la réalité frontalière contemporaine au sein de l’Union européenne. Ces exemples sont appliqués à une aire frontalière restreinte qui réunit les trois villes de Valenciennes, Maubeuge (Hainaut français) et Mons (Hainaut belge).

Les aires frontalières hennuyères, française et belge, constituent typiquement des régions moins développées que la moyenne commu- nautaire. Ce mal développement s’explique essentiellement par la situa- tion de déclin industriel de ces zones et les déficits structurels lourds qui ont suivi. Hainaut belge et Hainaut français ont ainsi profité des fonds d’aide européenne (programme Objectif n° 1 de 1994 à 1999) ; ces fonds sont à présent prolongés par la programmation de sortie de l’Objectif n° 1 du Hainaut. De 2000 à 2006, l’Union européenne et les autorités publiques de chaque pays continuent donc à soutenir « la reconversion du Hainaut7».

Des universités en Hainaut ou la coopération en enseignement supérieur. Un premier exemple emblématique est celui de la coopération transfrontalière franco-belge hennuyère dans le domaine universitaire. Avec la mise en œuvre du processus européen d’harmonisation des études supérieures (le processus de Bologne ou LMD), le paysage universitaire tend à converger : c’est au niveau européen et non plus national que se définissent durée, découpage des études et système d’évaluation. Le principe d’un premier cycle de trois ans, d’un deuxième cycle de deux ans et d’un troisième cycle correspondant à la formation doctorale de trois ans8devient aujourd’hui la règle.

Toutefois, en Belgique et pour l’enseignement supérieur, univer- sitaire ou non, nombre de structures de formation ne se sont pas encore alignées sur ce modèle et continuent à attirer des bacheliers français venus profiter de l’effet de différenciation. Ainsi, les formations médi- cales et paramédicales constituent autant de secteurs où l’effet de rente reste entier : les conditions d’accès aux études et l’organisation des premières années restant radicalement différentes, la masse d’étudiants français en communauté française de Belgique peut atteindre 90 à 95 % des effectifs de départ. La même tendance se retrouve par exemple dans les domaines artistiques ou de l’hôtellerie.

Le paysage hennuyer reliant Valenciennes, Maubeuge et Mons se caractérise par la présence de cinq sites universitaires : l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC), en France, l’univer- sité de Mons-Hainaut (UMH), la faculté polytechnique de Mons (FPMs) et les facultés universitaires catholiques de Mons (FUCaM), ces trois dernières institutions sont localisées à Mons (Belgique). Côté belge, il faut adjoindre aux trois universités la faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux associée aux trois sites montois dans le cadre d’une structure appelée l’Inter-universitaire hennuyère. Depuis plus d’une dizaine d’années, des collaborations individuelles mais aussi des projets de partenariats institutionnels, tels que la création d’un diplôme de troisième cycle professionnel (DESS) entre l’UVHC et la faculté polytechnique, ont nourri les échanges entre les univer- sités. Des enseignants belges interviennent ponctuellement dans les programmes français ou vice-versa ; des thèses doctorales sont défen- dues en co-diplômation, etc. Des relations bilatérales deviennent ainsi fréquentes. Projets communs et structuration convergent et tendent dès lors à la constitution d’un espace Valenciennes-Mons a priori homogénéisé, où il deviendrait équivalent pour l’étudiant de s’inscrire en France ou en Belgique.

Par ailleurs, soutenus par la manne européenne, divers projets Interreg ont réuni les acteurs universitaires régionaux, en particulier

pour la création de pôles communs de compétence tels que TICE, un pôle transfrontalier de compétence et de développement des techno- logies de l’information et de la communication (qui réunit les quatre partenaires universitaires hennuyers), Poclha, un pôle de compétences linguistiques du Hainaut pour les PME (qui réunit FPMs, FUCaM, UVHC et la chambre de commerce et d’industrie du Valenciennois) ou le projet transfrontalier Réseau interrégional de diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle (où parmi les quatorze acteurs, se retrouvent l’UMH mais également l’université libre de Bruxelles ou l’université catholique de Louvain). C’est dans ce contexte que s’éla- bore, en 2003, entre les partenaires universitaires hennuyers auxquels s’adjoint la faculté de Gembloux, un projet de fondation inter- universitaire venant formellement prendre le relais des conventions de partenariat quinquennal signées en 1995 et en 2000.

De manière quelque peu contradictoire avec la collaboration, le projet s’est également nourri de la diversité persistante entre les systèmes éducatifs belge et français. Il a ainsi trouvé un effet moteur dans l’avancée législative française faite en termes de valorisation des acquis et de l’expérience9. Cette législation permet de valoriser l’expé-

rience professionnelle sous la forme de l’accès à la formation, avec dispense de tout ou partie de l’enseignement, et ce jusqu’à l’équi- valence totale menant à l’obtention d’un diplôme. La mesure, inexis- tante en Belgique aujourd’hui, a amené les universités hennuyères belges à coopérer étroitement dans ce domaine avec l’UVHC et à devenir pionnières dans l’élaboration de propositions destinées à la communauté française de Belgique10. A priori, cette coopération visait

à se prémunir d’un éventuel effet de rente qui permettrait à des étudiants belges de faire valoriser leur carrière en France pour l’obtention d’un premier diplôme – ce qui n’était pas possible en Belgique – et de revenir ensuite en Belgique poursuivre leurs études après ce premier diplôme issu de la valorisation de l’expérience professionnelle.

Cependant, dans le cas de la fondation universitaire, les systèmes belge et français se sont rapidement révélés peu concordants et la structure de Fondation internationale très complexe. La solution envi- sagée a été alors de créer deux structures réunissant les mêmes membres mais appelées à créer ensemble des programmes ou des pôles communs. Partant de réseaux de personnes, d’échanges entre individus ou centres, de projets ponctuels communs, la collaboration universitaire trans- frontalière n’a donc pas réussi à se doter d’une configuration institu- tionnelle typiquement transfrontalière. Sans doute manquait-il aussi, côté belge, une réelle coopération entre les partenaires belges 11.

Pourtant, ailleurs en Belgique, a été créée une université trans- nationale : l’université transnationale du Limbourg. Coopérant dans les domaines de la recherche et l’offre de programmes de formation depuis l’année académique 2001-2002, le centre universitaire du Limbourg, créé en 1971, et l’université de Maastricht se sont unis en 2001 à la suite d’un accord signé par les ministres flamand et néerlandais de l’Enseignement.

Les arts du spectacle ou la coopération culturelle transfrontalière. Dans le domaine culturel et plus précisément des arts de la scène (théâtre, danse, etc.), les projets Interreg ont été et sont nombreux et, avant eux, les collaborations ponctuelles. Rappelons que les États membres et les régions européennes ont identifié deux grands axes d’action dans le cadre d’Interreg III (2000-2006) : le rapprochement des populations et le développement des services transfrontaliers, afin d’atténuer l’effet frontière et de favoriser une citoyenneté transfrontalière ; le dévelop- pement durable et la valorisation des territoires transfrontaliers, notam- ment en favorisant le potentiel touristique et culturel local. Nombre de projets culturels transfrontaliers se sont ainsi développés pour le renforcement de la diffusion, la mise en commun des moyens ou encore l’appui à la création ou l’amélioration des réseaux entre producteurs, diffuseurs et spectateurs.

Sur l’ensemble des projets culturels liés à Mons, Maubeuge ou Valenciennes, apparaissent pour la seule saison 2003-2004 trois espaces culturels différents : l’espace Maubeuge, Jeumont, Aulnoye-Aymeries et Feignies ; la ville de Mons pour les spectacles du Manège ; Maubeuge, Mons, Frameries, Tournai, Courtrai, Charleroi, Armentières et Reims dans le cadre du festival international VIA (Borderline) ou les projets de maisons Folies – ouvertes dans le cadre de Lille capitale culturelle 2004 – et qui concernent, en plus de Lille, neuf villes françaises et trois belges (en l’occurrence Courtrai, Tournai et Mons). Ces trois espaces associent des lieux différents même s’ils sont gérés ou cogérés en partie par les mêmes organismes culturels transfrontaliers.

Dans le cas de Mons et Maubeuge plus précisément, la collabo- ration culturelle transfrontalière a conduit à la création institutionnelle d’un pôle culturel transfrontalier : le Centre culturel transfrontalier de diffusion et de création de Mons, lemanège.Mons, associé à son homo- logue français lemanège.Maubeuge. Une plate-forme officielle a donc été mise en place, réunissant le théâtre de Maubeuge et une grande partie de l’activité culturelle montoise. Elle résulte d’un rapprochement progressif depuis plus de dix ans. Le théâtre municipal appelé Le Manège de Maubeuge est devenu association loi 1901 en 1990 et scène nationale

en 1991. Il devient Centre culturel transfrontalier en 1991. De l’autre côté de la frontière, à Mons, le centre culturel dit lemanège.Mons vise à rassembler en une seule association trois institutions préexistant à Mons et qui travaillaient auparavant de façon distincte dans le champ des pratiques des arts de la scène.

En 2001, les deux structures de Maubeuge et de Mons se trouvent associées dans le cadre d’un partenariat étroit et constituent ensemble une plate-forme originale de création et de diffusion transfrontalières, unique en Europe. La collaboration en arrive notamment à une seule programmation lors de la saison 2003-2004 et à une billetterie commune. Les deux exemples rapidement brossés ici illustrent deux domaines de coopération transfrontalière activée par des mécanismes descen- dants : en effet, dans les deux cas, des processus supranationaux et la mise à disposition de ressources notamment financières ont renforcé, voire initié, les initiatives et mené à terme les productions. Par ailleurs, et en parallèle, les réalisations se sont appuyées sur des acteurs locaux, académiques ou associatifs, qui avaient déjà des pratiques transfrontalières.

L’appartenance à une même aire géographique mais également le leadership ou l’impulsion politique d’acteurs locaux ou régionaux ont constitué des composantes du succès – ou de l’échec – des initiatives frontalières, de l’extension mais également de la pérennité de ces coopérations. Mais, pour certains, la frontière bien que défonction- nalisée reste une barrière, pour d’autres cependant, elle n’apparaît même plus comme un élément de leur espace de vie12.

Frontière et territoire