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2. Recension des écrits

2.2. L’intégration professionnelle des personnes aux prises avec des troubles mentau

2.2.1. Obstacles à l’insertion professionnelle

Les personnes aux prises avec des troubles mentaux graves voient leur intégration professionnelle entravée par d’importantes barrières systémiques et environnementales, peut être davantage que chez d’autres populations aux prises avec des incapacités (Anthony & Blanch, 1987; Blankertz & Robinson, 1996; Bond & Meyer, 1999; Rimmerman, Botuck, & Levy, 1995). Les préjugés sont largement renforcés à travers les interactions courantes et les représentations diffusées par l’entremise des médias (Henry & Lucca, 2002). Alors que les préjugés réfèrent aux attitudes, ainsi qu’aux réactions et évaluations négatives face à un groupe social, la discrimination implique une manifestation comportementale de ces préjugés (Ottati, Bodenhausen, & Newman, 2005). Les préjugés envers cette population prévalent et sont plus incisifs que pour tout autre groupe de personnes présentant une incapacité (Anthony & Blanch, 1987; Garske & Stewart, 1999). Ils perpétuent la

marginalisation et la discrimination de ce groupe de travailleurs (Bond & Meyer, 1999; Harnois & Gabriel, 2000; Kirsh, 2000a; MacDonald-Wilson, Mancuso, Danley, & Anthony, 1989). Tout comme d’autres populations aux prises avec une incapacité sévère, les personnes atteintes de troubles mentaux graves déplorent le peu de soutien qu’elles reçoivent dans la défense de leurs droits (Corbière, Bordeleau, Provost, & Mercier, 2002; Freedman & Fesko, 1996).

Certains auteurs reprochent aux employeurs d’exclure cette main d’œuvre du marché de l’emploi (Diksa & Rogers, 1996; Scheid, 1999). Les plaintes le plus fréquemment recensées lors d’enquêtes auprès d’employeurs, portent sur les risques d’absentéisme, les conflits interpersonnels potentiels, ainsi que les besoins accrus de supervision (Diksa & Rogers, 1996). Ces auteurs soulignent que les employeurs veulent être rassurés face au fait que l’embauche d’une personne aux prises avec des troubles mentaux ne compromettra pas le fonctionnement de l’entreprise. Les employeurs désirent également mieux comprendre la nature des incapacités.

En règle générale les cliniciens se montrent prudents face à un éventuel retour au travail de leurs clients: de telles transitions leur paraissent stressantes et susceptibles d’affecter négativement l’état clinique des patients (Blankertz & Robinson, 1996; Drake, McHugo et al., 1999; Marrone & Golowka, 1999). Or, des études démontrent que cette prémisse s’avère erronée (Bond, Resnick et al., 2001a; Drake, 1998; Drake, Becker, Biesanz, Wyzik, & Torrey, 1996; Mueser et al., 1997).

À l’instar de la population générale, les trajectoires d’emploi des personnes aux prises avec des troubles mentaux peuvent être influencées par différentes sources de stress, autant domestiques que financiers ou par la maladie « physique » (Kirsh, 1996; Simmons et al., 1993). Outre les préjugés, Corbière et ses collaborateurs (2002) notent également d’autres obstacles systémiques ou environnementaux à l’insertion professionnelle, notamment la conjoncture économique, les stresseurs associés au milieu de travail ainsi que les lacunes des programmes et services. Plusieurs auteurs (Ciardello et al., 1988; Freedman & Fesko, 1996; Jansen, 1988; Russinova, Wewiorski, Lyass, Rogers, & Massaro, 2002) accusent les systèmes de sécurité sociale, dont la mission est d’assurer un soutien financier

à toutes les personnes aux prises avec une incapacité, de décourager l’insertion professionnelle de ces mêmes personnes en multipliant les obstacles systémiques. Latimer et Lecomte (2002) soulignent combien l’aide financière de dernier recours, dévolue aux personnes aux prises avec des incapacités, peut freiner l’accès à l’emploi ou restreindre la gamme des options professionnelles raisonnablement accessibles. L’accès au transport constitue un élément critique du maintien en emploi (Jones, Perkins, & Born, 2001).

Les services de réinsertion professionnelle tendent à privilégier des emplois dans des secteurs d’emplois sous-spécialisés. L’accès aux postes mieux rémunérés, qui exigent des compétences spécifiques demeurent l’exception (Freedman & Fesko, 1996; Garske & Stewart, 1999; Navin & Myers, 1983). Freedman et Fesko (1996) indiquent que plusieurs individus ne savent pas comment justifier les lacunes dans leur antécédents d’emploi, qui correspondent souvent à des périodes où la maladie se faisait plus envahissante. Rimmerman et ses collaborateurs (1995) soulignent que l’âge et le sexe semblent jouer un rôle dans l’accès à l’emploi des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves. Si les hommes accèdent plus facilement à des emplois sur le marché régulier avant l’âge de 35 ans, cette tendance est inversée par la suite : les femmes connaissent alors un meilleur taux d’accès à l’emploi.

Les personnes aux prises avec des troubles mentaux graves se confrontent à des défis importants lors de leur intégration professionnelle. Des capacités cognitives telles la concentration, la capacité de filtrer les stimuli et de partager son attention, de résoudre des problèmes ou de faire des choix, peuvent être déficitaires (Ciardello & Bingham, 1982; MacDonald-Wilson, Rogers, Massaro, Lyass, & Crean, 2002). Certains auteurs (Jansen, 1988; Mancuso, 1990) remarquent chez les personnes aux prises avec des troubles mentaux graves une difficulté à tolérer les frustrations, à gérer le stress, à initier des contacts interpersonnels, à faire face aux commentaires négatifs ou à manifester de la confiance en eux. Les relations interpersonnelles dans le milieu de travail constituent un défi pour la majorité des travailleurs aux prises avec des troubles mentaux graves (Anthony et al., 1984; Banks, Charleston, Grossi, & Mank, 2001; MacDonald-Wilson et al., 2002). Une des difficultés les plus fréquemment rencontrées par ces personnes consiste à maintenir un niveau suffisant d’énergie tout au long de leur journée de travail (MacDonald-Wilson et al.,

2002; Mancuso, 1990). Si ces personnes acquièrent relativement bien de nouvelles habiletés, elles éprouvent des difficultés à les mettre en pratique ou à maintenir leur utilisation (Anthony & Blanch, 1987; MacDonald-Wilson et al., 2002). Il semble exister une relation entre les conditions de travail et le maintien en emploi des personnes aux prises avec des troubles mentaux. En effet, des attentes démesurées, une surcharge de travail, des conflits de rôle ou d’activités constituent des menaces à la santé mentale et au maintien en emploi de cette population (Kirsh, 2000b).

Les personnes qui se confrontent à des symptômes très sévères éprouvent d’importantes difficultés à se trouver un emploi, à intégrer de nouvelles habiletés de travail, à établir des relations satisfaisantes avec leurs collègues ou leur employeurs et à maintenir leur emploi (Pickett-Schenk et al., 2002). Au-delà de la symptomatologie, les effets secondaires de la médication peuvent aussi constituer des obstacles à l’insertion professionnelle des individus (Auerbach & Richardson, 2005; Bond & Meyer, 1999; Corbière et al., 2002; Kirsh, 1996; Simmons et al., 1993). D’une part, certains effets secondaires des médicaments, tels les tremblements, la vision brouillée ou la somnolence, affectent directement la productivité de l’individu. D’autres part, si les effets secondaires sont trop importants, ils peuvent entraîner un abandon ou un manque de fidélité au traitement, fragilisant l’individu et prédisposant ce dernier aux rechutes (Bond & Meyer, 1999).

Blankertz et Robinson (1996) expliquent le manque de motivation des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves comme étant une barrière à leur insertion professionnelle. Ces auteurs précisent que le manque de motivation ne résulte pas uniquement des incapacités, mais aussi du rejet et des préjugés auxquels se confrontent les personnes atteintes de troubles mentaux graves. Enfin des facteurs individuels, tels des comportements perturbateurs, les préjugés internalisés et des difficultés interpersonnelles, gênent également le maintien en emploi (Corbière et al., 2002).