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2. Recension des écrits

2.3. Rétablissement des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves

2.3.1. Définition du rétablissement

Le processus de rétablissement constitue un élément critique du cheminement de toute personne aux prises avec des troubles mentaux graves. C’est à l’intérieur du contexte du rétablissement que s’effectuent l’intégration professionnelle et le développement professionnel des individus atteints de troubles mentaux graves. La définition de ce construit a été formulée à partir de la perspective des principaux intéressés, soit les

personnes aux prises avec des troubles mentaux. Les écrits concernant le processus de rétablissement s’appuie sur plusieurs écrits biographiques, phénoménologiques et ethnographiques.

Le construit de rétablissement demeure généralement défini comme un processus (Frese & Davis, 1997; Jacobson & Curtis, 2000). Cependant, les études longitudinales effectuées auprès des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves indiquent que les trajectoires de rétablissement sont diverses (Calabrese & Corrigan, 2005a; Carpenter & Kirkpatrick, 1988; Ciompi, 1980; Davidson & McGlashan, 1997; Harding, 2003; Harding & Zahniser, 1994; Strauss, Hafez, Lieberman, & Harding, 1985), et qu’il existe également une forme de récupération naturelle (Corrigan & Ralph, 2005). Ainsi, Spaniol (2000) indique que le phénomène ne peut se réduire à une définition unique et restrictive. De plus, cet auteur précise que les modèles qui cherchent à expliquer le rétablissement ne peuvent être appliqués de façon rigide ou hiérarchique.

Le rétablissement se définit dans la littérature comme un processus interne, critique et non linéaire de transformation par lequel l’individu atteint d’un trouble mental se découvre un nouveau concept de soi, un nouveau sens à l’intérieur et au-delà de l’expérience de sa maladie (Andresen, Oades, & Caputi, 2003; Corrigan, Giffort, Rashid, Leary, & Okeke, 1999; Davidson, 2003; Davidson, O'Connell, Tondora, Lawless, & Evans, 2005; Davidson, O'Connell, Tondora, Staeheli, & Evans, 2005; Davidson, Sells, Sangster, & O'Connell, 2005; Davidson & Strauss, 1992; Deegan, 1988, 1997; Markowitz, 2005b; Ralph, 2005; Ridgway, 2001; Spaniol & Gagne, 1997; Torgalsboen, 2005). Le rétablissement se décrit aussi comme une expérience individuelle intense, marquée par des périodes de choc, de déni, de désespoir et de colère, d’espoir, de volonté et d’engagement (Baxter & Diehl, 1998; Deegan, 1988; Lafond, 1994; Ridgway, 2001; Spaniol, Koehler, & Hutchinson, 1994). Il transcende largement le simple processus d’adaptation à la maladie (Torrey & Wyzik, 2000). Le processus de rétablissement est unique à chaque individu et amène ce dernier à modifier ses attitudes, ses valeurs, ses habiletés et/ou ses rôles (Anthony, 1993; Deegan, 1996b; Deegan, 1988). C’est une façon de se donner une vie satisfaisante, et ce, malgré les limitations qu’impose la maladie. Le rétablissement ne signifie pas pour autant la disparition ou la rémission des symptômes (Anthony, 1993;

Davidson, 2003; Roe, Chopra, Wagner, Katz, & Rudnick, 2004). Ce processus repose sur la conviction profonde qu’il est possible d’être une personne à part entière, capable d’exercer son autonomie, et ce, malgré une incapacité (Fisher, 1994).

Le rétablissement implique le développement d’un nouveau sens à la vie au fur et à mesure que la personne apprivoise les effets catastrophiques de sa maladie sur sa vie (Anthony, 1993; Bedregal, O'Connell, & Davidson, 2006; Davidson, 2003; Davidson, Sells et al., 2005; Young & Ensing, 1999). L’entrée au sein de l’univers psychiatrique signifie beaucoup plus que de recevoir des services de santé mentale : elle peut bouleverser les dimensions résidentielle, financière et sociale de la vie de l’individu (Chatfez, 1996). La personne est souvent confrontée à une autre vision de son identité, alors que l’adaptation à la maladie s’avère souvent difficile. Plusieurs personnes aux prises avec des troubles mentaux associent leur expérience des services de santé mentale comme une expérience humiliante et déshumanisante, érodant leur confiance en eux et leur volonté d’assumer leur pouvoir d’agir (Frese & Davis, 1997; Strong, 1998). Par conséquent, il est souvent plus difficile de se rétablir des conséquences de la maladie (telles l’exclusion sociale, la discrimination, l’isolement, les rêves anéantis, les pertes de rôles, la pauvreté et une forme condescendante de traitement) que de la maladie elle-même (Anthony, 1993; Davidson, 2003; Davidson, O'Connell, Tondora, Staeheli et al., 2005; Deegan, 1997; Farkas, 1996; Farkas & Vallée, 1996; Gouvernement du Canada, 2006; Kramer & Gagne, 1997; Kumar, 2000; Salzer, 1997; Spaniol & Gagne, 1997; Spaniol, Gagne, & Koehler, 1997; Wilson, 1996).

L’apparition d’une maladie, qui exerce une influence à long terme sur la vie de l’individu, vient bouleverser la perspective que la personne entretient face à elle-même et ses projets. Certains ont avancé le terme de rupture biographique pour décrire ce phénomène (Crossley, 2000; Hammell, 2004a). Alors que la maladie et ses conséquences créent ainsi une rupture de sens, le rétablissement consiste à réduire le sentiment d’aliénation qui en découle (Coursey et al., 1997; Spaniol & Gagne, 1997). Torrey et Wyzik (2000) appuient cette perspective en ajoutant que le rétablissement consiste surtout en une quête de sens face à une expérience traumatisante, une prise de responsabilités quant aux choix à faire et un engagement vers la vie et la santé. Cette quête de sens est modulée

par l’explication donnée par la personne au « problème » de santé mentale. Le processus de rétablissement adopte des trajectoires distinctes selon le fait que les causes sont perçues comme étant la résultante de processus biologiques, d’un traumatisme, d’une combinaison de facteurs biologiques et environnementaux, d’une crise spirituelle ou d’enjeux politiques (Jacobson, 2001).

Grâce à une étude effectuée auprès de 46 usagers, Sullivan (1994) établit les aspects suivants comme étant des déterminants du processus de rétablissement : la médication, l’autogestion des symptômes, les services de santé mentale, les ressources communautaires, la participation dans des activités productives apparentées au travail, la spiritualité, l’entraide, le soutien de personnes significatives, la connaissance et l’acceptation de sa maladie. Une étude narrative (Smith, 2000), effectuée auprès de dix participants, met en lumière l’importance de la médication, du réseau de soutien, des activités significatives ainsi que des caractéristiques individuelles telles un sentiment de contrôle, une ferme détermination et une vision optimiste de son avenir. Aux yeux de plusieurs usagers, le fait de distinguer ses limites personnelles de celles qu’impose la maladie ouvre la porte à la reconnaissance de son potentiel (Deegan, 1988, 1997; Smith, 2000).

Le rétablissement constitue un processus individuel, mais non pas solitaire pour autant (Ridgway, 2001). En fait, la présence d’un réseau de soutien, ou à tout le moins d’une personne, qui croit au potentiel de rétablissement de l’individu, est critique (Davidson, 2003; Frese & Davis, 1997; Hoffmann & Kupper, 2002; Jacobson & Greenley, 2001; Ridgway, 2001). L’acceptation et l’intérêt d’autrui pousse l’individu à prendre conscience de ses atouts et de ses ressources personnelles et laisse place à l’espoir (Davidson, 2003). Plusieurs auteurs insistent sur l’importance de s’entourer de personnes qui continuent d’espérer et d’offrir des possibilités de grandir et d’évoluer (Deegan, 1996b; Provencher, 2002; Torgalsboen, 2001). L’entraide, quoique souvent informelle, semble avoir une fonction similaire aux modalités plus formelles de soutiens, tels les groupes d’entraide. Un des impacts positifs des groupes formels d’entraide réside dans sa capacité de soutenir l’individu dans l’expression de son leadership, de le confronter à des modèles positifs, de lui permettre d’échanger des stratégies adaptatives, de lui laisser l’occasion de donner et de recevoir du soutien, alors que ces possibilités sont souvent limitées dans

d’autres contextes (Corrigan et al., 2002; Deegan, 1988; Leete, 1988, 1989; Mead & Copeland, 2000; Provencher, 2002). Un désir de réciprocité dans les rapports sociaux constitue un autre jalon du processus de rétablissement (Davidson, 2003).

Certaines des variables qui influencent le processus de rétablissement sont de nature individuelle. Ces facteurs individuels affectent particulièrement le rythme du processus de rétablissement (Hoffmann & Kupper, 2002). La connaissance de sa maladie facilite chez l’individu l’engagement et la fidélité au traitement, une attitude prudente quant à la gestion du stress, un suivi de son état clinique, une motivation à établir des habitudes de vie plus saines et à amorcer des démarches de sobriété si nécessaire (Mueser et al., 2002; Ridgway, 2001; Spencer, Davidson, & White, 1997). Ce processus de reconnaissance et d’acceptation conduit l’individu à progressivement se distancier de sa maladie (« je suis schizophrène ») pour se développer un concept de soi distinct de celle-ci (« je suis atteint de schizophrénie ») (Davidson, 2003; Davidson & Strauss, 1992; Estroff, 1989; Jacobson & Greenley, 2001). Alors que la connaissance de leur maladie constitue une source d’inspiration et de réappropriation du pouvoir d’agir (« empowerment ») pour certains, autant pour d’autres, elle peut aussi inhiber le processus de rétablissement.

Plusieurs usagers témoignent de l’importance de la spiritualité, qu’elle soit associée à des références religieuses ou non, dans leur processus de rétablissement (Kirkpatrick, Landeen, Woodside, & Byrne, 2001). Les personnes en rétablissement expriment fréquemment ce passage entre le désespoir et un espoir renouvelé (Andresen et al., 2003; Davidson, 2003; Deegan, 1996a; Deegan, 1988; Ridgway, 2001; Spaniol et al., 1997; Torgalsboen & Rund, 2002). La spiritualité permet de trouver un sens à la souffrance ou à sa vie, une façon de transcender les épreuves dévastatrices (Spencer et al., 1997).

Le processus de rétablissement implique une facette sociale et politique : la réappropriation du pouvoir (Campbell, 1997; Corrigan et al., 1999; Corrigan & Ralph, 2005; Davidson, O'Connell, Tondora, Staeheli et al., 2005; Spaniol et al., 1997). Pour certains, cette transformation intérieure ne peut se réaliser sans le soutien d’un mouvement politique servant de catalyseur au changement (Deegan, 1996a; Deegan, 1997; Farkas & Vallée, 1996; Jacobson & Curtis, 2000). L’appropriation du pouvoir n’est pas qu’un

construit psychologique, mais aussi un construit organisationnel, politique, sociologique, économique et spirituel (Rappaport, 1987).

La dimension psychologique du pouvoir d’agir se traduit par un sentiment de contrôle et d’efficacité personnelle, une approche proactive face à l’exercice de ses choix et une compréhension fine de l’environnement sociopolitique (Zimmerman, 1995; Zimmerman & Warschausky, 1998). La dimension psychologique s’avère davantage associée au rétablissement que les autres dimensions du pouvoir d’agir. Cependant, le pouvoir d’agir psychologique ne résulte pas uniquement d’un phénomène intra-psychique, mais s’appuie sur les dimensions organisationnelles et communautaires (McLean, 1995). Pour plusieurs auteurs, il s’agit d’un concept transactionnel puisqu’il implique une relation avec l’autre (Connelly, Keele, Kleinbeck, Schneider, & Cobb, 1993; Lord & Dufort, 1996; Zimmerman & Warschausky, 1998).

La participation active et le contrôle restent au cœur de la réappropriation du pouvoir, qu’il soit individuel, organisationnel, politique, économique ou systémique (Enemer, 1991; Feder, 1998; Wehmeyer, 2004; Zimmerman & Rappaport, 1988; Zimmerman & Warschausky, 1998). Le pouvoir d’agir repose sur des valeurs de santé, de compétence, d’adaptation, d’humanisme et d’entraide (Deegan, 1997; Zimmerman & Warschausky, 1998). Pour plusieurs activistes, le rétablissement constitue une facette visible d’un processus d’appropriation du pouvoir (Chamberlin, 1997; Jacobson & Curtis, 2000).

Pour Enemer (1991), la réappropriation du pouvoir psychologique, que d’autres appellent le pouvoir d’agir, est avant tout un état d’esprit. Ce pouvoir d’agir est d’abord ressenti : il ne peut être ni donné, ni annoncé. Il est démontré par un sentiment de contrôle sur sa vie, par une implication active de l’individu dans les décisions qui le concernent, par une participation collective dans l’atteinte de buts communs ainsi que par une reconnaissance des éléments qui freinent ou qui facilitent l’actualisation de ces buts (Davidson, 2003; Kirsh, 1996; Ridgway, 2001; Zimmerman & Rappaport, 1988; Zimmerman & Warschausky, 1998). Pour bon nombre d’usagers, le pouvoir d’agir repose essentiellement sur le fait d’avoir une voix au chapitre, d’exercer des choix et de voir ses

droits respectés (Barton, 1998; Chamberlin, 1997; Deegan, 1996a; McLean, 1995; Mead & Copeland, 2000; Olney & Salomone, 1992; West & Parent, 1992). Il s’agit de réclamer sa souveraineté sur son corps et sa vie, regagner le droit de choisir, de faire des erreurs et d’obtenir les ressources nécessaires à une meilleure qualité de vie (Carling, 1995; Deegan, 1997; Mead & Copeland, 2000). Liberman (2002) souligne que des services fragmentés, insuffisants ou inadéquats freinent le rétablissement. Pour sa part, McLean (1995) ajoute que la réappropriation du pouvoir d’agir se retrouve souvent dépourvue de son sens premier dans les réseaux de santé. Dans ce cas, il ne s’agit pas que d’aménager des choix et des processus consultatifs dans des organisations, mais plutôt de modifier les rapports de pouvoir auxquels sont assujettis les personnes aux prises avec des troubles mentaux. Pour cet auteur, ce processus se doit d’être politique, afin que les personnes puissent retrouver leur dignité et valider leur potentiel. Bref, le pouvoir d’agir consiste à réclamer pleinement sa citoyenneté (Davidson, 2003).

Au même titre que le pouvoir d’agir revêt plusieurs dimensions, le construit du rétablissement tend à évoluer lui aussi vers une définition pluridimensionnelle. Pour Spaniol, Koehler et Hutchinson (1994), le rétablissement peut se définir comme un processus d’exploration personnelle et de transformation, où l’individu cherche à se sentir de nouveau en lien avec lui-même, son environnement social et sa spiritualité. Jacobson (2003) soutient que le rétablissement constitue une réponse à un problème qui peut être défini à partir d’une perspective individuelle, organisationnelle (structuration des services) ou systémique. Cette auteure propose également que les définitions diffèrent sensiblement selon le paradigme qu’adopte l’interlocuteur, soit une préoccupation pour une transformation des services ou soit une remise en question de la maladie mentale. Provencher (2002) avance que le rétablissement repose sur une redéfinition et une expansion du soi, une relation à l’espace temporel (notamment l’espoir et la spiritualité), au pouvoir d’agir et aux relations aux autres. Pour leur part, Spaniol, Wewiorski, Gagne et Anthony (2002) soutiennent que le rétablissement revêt une dimension physique, émotionnelle, spirituelle, politique, sociale et professionnelle. Chacune de ces dimensions comporte des phases de développement, des enjeux, des points tournants, et des tâches développementales.

Certains modèles élaborés à partir de la perspective des usagers tentent de décrire les phases du processus de rétablissement, tout en reconnaissant que ce parcours est rarement linéaire. Par exemple, à partir des témoignages publiés de personnes atteintes de troubles mentaux, Ralph (2000) définit quatre facteurs qui caractérisent le rétablissement, soit : 1) des facteurs individuels tels que l’éveil, la prise de conscience et l’engagement de l’individu face à son rétablissement; 2) des facteurs externes comme la présence, l’efficacité ou l’espoir du réseau de soutien, y compris des services de santé; 3) le développement de stratégies adaptatives et d’autogestion des symptômes; 4) l’expression du pouvoir d’agir.

À partir d’une série d’entrevues, échelonnées sur deux à trois années et effectuées auprès de 66 participants, Davidson et Strauss (1992) décrivent un processus de transformation de l’identité, caractérisé par quatre phases. La première phase consiste pour l’individu à prendre conscience que son identité demeure. Chez certains, il s’agit de réaliser qu’il subsiste en eux des ressources personnelles peu affectées par la maladie ou inconnues jusqu’ici. Chez d’autres, l’individu doit apprendre à distinguer entre ce qu’il est et sa maladie. La seconde phase consiste à s’approprier ses forces et à reconnaître ses limites ainsi que d’apprécier ce qui lui convient, avant de s’engager dans des projets. La troisième phase consiste à s’investir, tout en mettant à profit la réévaluation de son concept de soi .Cette phase est marquée par la réflexion, l’introspection et l’intégration des expériences. La dernière phase consiste en l’aboutissement du processus où le concept de soi devient plus fonctionnel, en mesure de faire appel à des stratégies adaptatives, de gérer les symptômes et de faire face à l’adversité, tout en s’investissant davantage dans sa vie professionnelle ou sociale.

Lors d’une étude effectuée auprès de 18 individus aux prises avec des troubles mentaux, Young et Ensing (1999) décrivent les phases suivantes : 1) surmonter l’inertie; 2) découvrir et alimenter le pouvoir d’agir; 3) apprendre et se redéfinir; 4) reprendre son fonctionnement initial; 5) améliorer sa qualité de vie. Afin de surmonter l’inertie, trois conditions s’avèrent essentielles, soit la reconnaissance et l’acceptation de la maladie, le désir de changer et l’espoir. Les trois phases intermédiaires représentent des étapes du processus, alors que l’individu est activement engagé dans sa démarche. Enfin,

l’amélioration des conditions de vie s’appuie sur un désir de l’individu d’accéder à un mieux-être ainsi que d’explorer et d’actualiser son potentiel.

Suite à une autre étude qualitative effectuée auprès de 18 personnes atteintes de troubles mentaux graves Spaniol et ses collaborateurs (2002) ont plutôt décrit les phases du rétablissement comme suit : 1 ) être envahi par la maladie; 2) lutter contre la maladie; 3) vivre avec la maladie; 4) vivre en dépit et au-delà de la maladie. Lors de la première phase, le quotidien de l’individu est marqué par le désir de survivre à l’envahissement de la maladie : cette phase se caractérise par la confusion, l’impuissance, une impression de perte de contrôle sur sa vie, une difficulté à se donner des buts réalistes ou à entretenir son réseau social. Afin de lutter contre la maladie, l’individu cherche dans la seconde phase à trouver une explication à son expérience et à développer des stratégies adaptatives. La personne craint de rompre un fragile équilibre et de vivre des rechutes. Lorsque l’individu cherche à vivre malgré l’existence de la maladie, il sait mieux gérer ses manifestations, utiliser des stratégies adaptatives et assumer des rôles qui lui sont significatifs. Enfin, l’élaboration de la quatrième étape découle d’une recension des écrits : cette phase se caractérise par le fait que la maladie ne constitue qu’une petite part de la vie de l’individu. Ce dernier est bien arrimé avec ses ressources personnelles, les ressources de son milieu et des activités significatives.

2.3.2. Travail et rétablissement

Le rôle du travail se situe aux confins de plusieurs dimensions du rétablissement. En effet, un emploi significatif constitue aux yeux des usagers un élément essentiel de leur rétablissement (Eklund, Hansson, & Bejerholm, 2001; Hoffmann & Kupper, 2002; McCrohan, Mowbray, Bybee, & Harris, 1994; Scheid & Anderson, 1995; Strong, 1998; Sullivan, 1994). Si le travail procure une source de revenus et constitue un indéniable moyen de répondre à ses besoins (Anthony & Blanch, 1987; Drake, McHugo et al., 1996; McCrohan et al., 1994), les avantages qui y sont associés s’avèrent plus vastes et plus nombreux (Neff, 1988).

Le travail devient le médium par lequel la relation entre le concept de soi et la maladie est ébranlée. C’est par le travail que se définit en partie l’identité des personnes, qu’elles évaluent leur valeur et celle de leur environnement (Bailey, Ricketts, Becker, Xie, & Drake, 1998; Cunningham et al., 2000; Diksa & Rogers, 1996; Mowbray et al., 1995; Scheid & Anderson, 1995). Bebout et Haris suggèrent (1995) que le travail offre un contexte où l’individu est en mesure d’envisager que les perceptions entretenues face à lui-même peuvent être distordues et en arrive ainsi à une plus grande cohérence dans les représentations qu’il a de lui-même. Le travail, outre le salaire qu’il procure, offre un statut et une position au sein de la société (Anthony & Blanch, 1987; Blankertz, McKay, & Robinson, 1998; Dorvil, Guttman, Ricard, & Villeneuve, 1997; Douthwaite, 1994; Scheid & Anderson, 1995). Le travail suscite également de l’espoir chez les participants (Beaulieu, Morin, Provencher, & Dorvil, 2002; Freedman & Fesko, 1996; Kirkpatrick et al., 2001; Strong, 1998).

L’étude de Cunningham, Wolbert & Brockmeier (2000) illustre ce phénomène. Les chercheurs ont sondé trois groupes afin de mieux comprendre les facteurs d’accès et de maintien en emploi. Le premier groupe était constitué de personnes aux prises avec des troubles mentaux graves et qui se maintiennent en emploi, le second était composé de personnes ayant accédé à un emploi, mais qui n’ont pas pu s’y maintenir et le dernier rassemblait des personnes qui malgré leurs efforts, n’accèdent pas à un emploi. Les groupes différaient sur plusieurs points : ils ne percevaient pas la maladie et le travail de la même façon et ils avaient recours à des stratégies adaptatives fort différentes. La maladie était considérée par les personnes qui travaillaient, comme seulement une partie d’eux-mêmes alors que les personnes sans emploi minimisaient l’impact de leur maladie ou elles étaient envahies par celle-ci. Les personnes qui travaillaient associaient étroitement le travail à leur processus de rétablissement tandis que les personnes qui n’avaient pu maintenir leur emploi reconnaissaient l’importance du travail dans leur vie sans pour autant y voir des liens avec leur rétablissement. Les personnes sans emploi étaient fort préoccupées par les barrières auxquelles elles se confrontaient et ne pouvaient aborder le travail comme un élément positif dans leur vie. Enfin, les personnes qui se maintenaient en emploi se distinguaient par