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Facteurs prédictifs concernant l’insertion professionnelle

2. Recension des écrits

2.2. L’intégration professionnelle des personnes aux prises avec des troubles mentau

2.2.2. Facteurs prédictifs concernant l’insertion professionnelle

Malgré que le travail fut longtemps considéré comme un but inaccessible pour les personnes aux prises avec des troubles mentaux graves, hormis les emplois sous-spécialisés, il appert que ces personnes peuvent exercer tous les types d’emplois (Harding & Zahniser, 1994).

Alors que certains auteurs associent négativement une symptomatologie sévère au potentiel professionnel des personnes, d’autres auteurs concluent que l’intensité des symptômes ne constitue pas un facteur prédictif de la réussite d’une programme de réadaptation professionnelle (Pickett-Schenk et al., 2002). Cependant, une vaste proportion des études soutiennent que le diagnostic et l’intensité des symptômes constituent de pauvres facteurs prédictifs (Anthony & Jansen, 1984; Anthony, Rogers, Cohen, & Davies, 1995; Bond, Drake, Mueser, & Becker, 1997; Drake, McHugo et al., 1999; Jones et al., 2001; Kirsh, 2000a; Russinova et al., 2002; Simmons et al., 1993; Siu, 1997). Toutefois, une étude tend à contredire cette affirmation (Rogers, Anthony, Cohen, & Davies, 1997). Par ailleurs, les symptômes cognitifs et les symptômes négatifs de la schizophrénie pourraient être corrélés à une capacité réduite de travail (Bell & Lysaker, 1995; Bond & Meyer, 1999; Cook & Razzano, 2000; Green, 1996; Hoffmann & Kupper, 1997; Liberman & Kopelowicz, 2005; Liberman, Kopelowicz, Ventura, & Gutkin, 2002; Lysaker & Bell, 1995; MacDonald-Wilson, Rogers, & Anthony, 2001; McGurk & Meltzer, 2000; Solinski, Jackson, & Bell, 1992; Tsang, Lam, Ng, & Leung, 2000; Wewiorski & Fabian, 2004), bien que cette corrélation n’explique qu’une faible proportion de la variance (MacDonald- Wilson et al., 2001) et que des failles méthodologiques soient relevées (Tsang et al., 2000). Le temps tend à estomper l’effet, s’il existe, des symptômes négatifs (Bell & Lysaker, 1995). Quant aux déficits cognitifs, il semble que l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives soient de meilleurs prédicteurs (McGurk & Meltzer, 2000), bien que l’effet du temps n’a pas été examiné. Toutefois, Silverstein, Fogg et Harrow (1991) indiquent que les déficits cognitifs ne permettent pas de prédire l’accès à l’emploi, mais semblent corrélés avec le maintien en emploi. D’autres études indiquent que les capacités cognitives ne permettent pas de discriminer les personnes qui obtiendront un emploi à moyen ou long

terme (Gold, Goldberg, McNary, Dixon, & Lehman, 2002). Dans ce contexte, il s’avère inapproprié de se reposer sur le degré ou le type de symptomatologie afin de déterminer le potentiel de retour au travail d’une personne aux prises avec des troubles mentaux (Anthony & Jansen, 1984; Anthony et al., 1995; Bond & Meyer, 1999; MacDonald-Wilson et al., 1989; Simmons et al., 1993).

Les résultats des tests d’intelligence, d’aptitude et de personnalité revêtent peu de valeur prédictive (Anthony & Jansen, 1984; Bond, 1987). Il en est de même pour le fonctionnement de l’individu dans d’autres types d’environnement, comme un hôpital ou une résidence (Anthony & Jansen, 1984). Même si certains auteurs (Lehman, Kernan, DeForge, & Dixon, 1995; Ratcliff, Shillito, & Poppe, 1996) rapportent qu’une longue période d’itinérance constitue une contrainte sévère à l’emploi, d’autres voix se font entendre à l’effet que l’itinérance ne constitue pas un prédicteur réel de l’accès à l’emploi (Pickett-Schenk et al., 2002). Les habiletés sociales constituent un facteur prédictif intéressant, notamment quant aux capacités de l’individu à établir des rapports harmonieux avec ses collègues de travail ou accéder à un emploi (Anthony et al., 1988; Anthony & Jansen, 1984; Cook & Razzano, 2000; Mueser & Liberman, 1988; Tsang et al., 2000).

Les facteurs liés au travail semblent des plus intéressants en regard du potentiel de réinsertion. L’attitude face au travail revêt une dimension prédictive du succès en emploi, notamment le sentiment d’efficacité personnelle (Cunningham, Wolbert, & Brockmeier, 2000; Mowbray, Bybee, Harris, & McCrohan, 1995). Le nombre et la durée des emplois antérieurs constituent un des facteurs prédictifs valorisés, face à l’insertion professionnelle des personnes atteintes de troubles mentaux sur le marché de l’emploi (Anthony & Jansen, 1984; Becker, Drake et al., 1998; Bell & Lysaker, 1995; Drake, McHugo et al., 1999; Drake, McHugo, Becker, Anthony, & Clark, 1996; MacDonald-Wilson et al., 2001; Russinova et al., 2002; Strauss, 1984; Tsang et al., 2000; Wewiorski & Fabian, 2004; Xie, Dain, & Becker, 1997). Les personnes qui se maintiennent en emploi sont celles qui ont eu tendance à y demeurer plus longuement lors de leurs expériences antérieures, autant heureuses que malheureuses (Mowbray et al., 1995). Toutefois, les antécédents d’emploi ne permettent pas, à eux seuls, d’expliquer la variance observée (Tsang et al., 2000). De plus, d’autres études n’ont pu démontrer de façon statistiquement significative des conclusions

similaires (Jones et al., 2001; Rogers, Anthony et al., 1997; Solinski et al., 1992). Des études plus récentes suggèrent que les patrons d’emploi, la stabilité en emploi de même que la valeur et le sens accordé à l’expérience de travail ont une meilleure valeur prédictive (Wewiorski & Fabian, 2004). Une délinéation claire des rôles et des tâches constitue un indéniable soutien à l’emploi. De plus, un statut à temps plein est également associé à un plus long maintien en emploi (Tsang, Ng, & Chiu, 2002).

Les facteurs prédictifs associés à la personne, tels des données démographiques ou l’histoire professionnelle, demeurent peu puissants aux yeux de Blankertz et Robinson (1996). Ces auteures recommandent plutôt que la recherche s’attarde davantage aux composantes de programme porteuses de succès plutôt qu’aux caractéristiques de l’individu. Par exemple, selon Kirsh (2000a; 2000b), la culture et le climat organisationnels influencent le maintien en emploi. La présence de soutien dans le milieu de travail (McHugo, Drake, & Becker, 1998), de même que le contexte du milieu professionnel (Kirsh, 2000a), influencent le maintien en emploi. Le nombre d’adaptations fournies au travailleur s’avère directement lié à la durée et au maintien en emploi (MacDonald-Wilson et al., 2002).

La congruence personne-emploi repose donc sur un maillage étroit entre les valeurs, les préférences professionnelles, les forces et capacités de l’individu ainsi que les caractéristiques de l’emploi (Anthony et al., 1988). Le degré de congruence entre les valeurs de l’individu et celles de son milieu de travail semble être associé au maintien en emploi (Anthony et al., 1988; Kirsh, 2000a). Les personnes qui exercent un emploi congruent avec leurs préférences professionnelles, expriment davantage de satisfaction face à leur travail. Elles tendent à se maintenir plus longtemps en emploi que celles œuvrant dans un secteur qu’elles ne privilégient pas (Becker et al., 1996; Mueser, Becker et al., 2001). De plus, les personnes aux prises avec des troubles mentaux graves offrent un meilleur rendement lorsqu’ils peuvent recevoir des rétroactions constructives face à leur travail (Jansen, 1988). Ces personnes tendent à valoriser un climat de travail où elles sont respectées et accueillies, particulièrement face au dévoilement de leur expérience de la maladie (Kirsh, 1996).

Afin de faciliter l’insertion professionnelle des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves, plusieurs recommandations ayant trait aux mesures de soutien se dégagent de la littérature : un horaire de travail souple, une modification des tâches ou du poste, une adaptation du mode de communication des consignes, une adaptation des formations offertes, une sensibilisation des employés et des superviseurs, une adaptation du mode de supervision ainsi qu’un changement des procédures de travail (MacDonald-Wilson et al., 2002).

Becker et al. (1998) dégagent qu’un horaire flexible, une formation appropriée, un soutien de l’employeur, des rétroactions fréquentes ou de meilleures conditions de travail constituent les adaptations les plus recherchées chez ceux ayant connu une fin d’emploi non-satisfaisante. Bell et Lysaker (1996) indiquent que des contraintes systémiques et administratives, comme l’établissement d’un minimum d’heures travaillées par semaine, s’avèrent tout à fait contre-productives. Les participants auxquels aucun seuil n’est imposé se maintiennent plus longtemps en emploi que ceux pour lesquels un seuil de 10 ou 20 heures est imposé. La validation des processus d’accréditation des clubs psychosociaux a permis de mettre en lumière, qu’à ressources similaires, les clubs psychosociaux les plus performants sont ceux adoptant une position proactive face à l’intégration communautaire et offrant une plus vastes gammes de services dont notamment des emplois sur le marché régulier de l’emploi (Macias, Barreira, Alden, & Boyd, 2001). Cependant, peu de mesures de soutien s’adressent spécifiquement aux besoins liés au développement professionnel.

Le soutien en emploi s’appuie sur les travaux de Wehman et de ses collègues (Wehman, 1986; Wehman, Revell, & Kregel, 1998; Wehman et al., 1991). Initialement, le soutien en emploi a été développé pour répondre aux besoins des personnes aux prises une déficience intellectuelle, mais fut rapidement appliqué à d’autres clientèles aux prises avec des incapacités. Les personnes sont placées dans des postes de travail sur le marché de l’emploi régulier et sont soutenues par diverses mesures de soutien et de développement d’habiletés. Cette façon de faire, abondamment documentée, connaît les meilleurs résultats face à l’accès au marché du travail (Bond, Becker et al., 2001a; Bond, 2004; Bond, Dietzen, McGrew, & Miller, 1995; Bond et al., 1997; Chandler, Meisel, Hu, McGowen, & Madison, 1997; Crowther et al., 2001a; Drake et al., 1998; Drake, McHugo et al., 1999; Drake,

McHugo et al., 1996; Hyde, 1998; Latimer, 2001; Lehman et al., 2002; McFarlane et al., 2000; Mueser et al., 2004), bien que des progrès restent à faire (Twamley, Jeste, & Lehman, 2003). Les personnes soutenues par des programme de soutien à l’emploi sont plus susceptibles d’obtenir un emploi rapidement, de travailler davantage d’heures et d’obtenir des salaires plus élevés, et ce, malgré de flagrants manques d’expériences professionnelles et des parcours de vie difficiles (Drake, Becker et al., 1999; Drake, McHugo et al., 1999; Drake, McHugo et al., 1996).

Cependant, les personnes soutenues par des programmes de soutien à l’emploi travaillent le plus souvent à temps partiel, dans des emplois non-spécialisés pour une durée moyenne de six mois (Bond, Drake, Becker, & Mueser, 1999; Bond et al., 1997; Lehman et al., 2002). Pour leur part, Xie et ses collaborateurs (1997) rapportent une durée moyenne de 70 jours, ce qui demeure fort limité. Les recherches évaluatives publiées font également état d’un large taux d’attrition (Bond et al., 1997; Moll, Huff, & Detwiler, 2003). De plus, si le taux de placement en emploi des programmes de soutien en emploi s’avèrent plus fructueux, il fluctue entre 25 et 55 % : ce qui demeure insuffisant (Drake, Becker et al., 1999; Drake, McHugo et al., 1996; Lehman et al., 2002; Liberman, 2002; MacDonald- Wilson et al., 2001; Moll et al., 2003; Shafer & Huang, 1995).

Néanmoins, les programmes de soutien à l’emploi les plus performants se caractérisent par : 1) une entrée rapide sur le marché régulier de l’emploi; 2) l’évitement d’une longue période préparatoire à l’emploi; 3) le soutien étroit d’un intervenant, autant dans l’identification de l’emploi que dans le maintien en poste; 4) l’intégration du spécialiste en emploi au sein de l’équipe clinique; 5) des processus d’évaluations continus et globaux, plutôt que centrés sur une évaluation initiale; 6) les mesures de soutien ne sont pas limitées dans le temps (Becker & Drake, 1994; Bond, 1998, 2004; Cook & Razzano, 2000; Corbière et al., 2002; Corrigan, 2003; Latimer & Lecomte, 2002; Shafer, Middaugh, Rubin, & Jones, 1998; Twamley et al., 2003). Les programmes de réinsertion professionnelle qui connaissent le plus de succès sont ceux qui privilégient une collaboration étroite avec les équipes de santé mentale, particulièrement les psychiatres et les intervenants en suivi communautaire (Baron, 2000; Drake, McHugo et al., 1999; Drake, McHugo et al., 1996). Un souci doit être dévolu à favoriser les préférences et les choix des

participants lors des assignations, plutôt que les opinions des intervenants (Becker, Bebout et al., 1998; Becker et al., 1996; Bond, 2004; Cook & Razzano, 2000; Mueser, Becker et al., 2001). Une entrée rapide sur le marché régulier de l’emploi et des expériences de travail sont davantage susceptibles d’influencer les préférences professionnelles que des programmes prévocationnels (Becker et al., 1996; Bond, 1987; Bond et al., 1997; Crowther, Marshall, Bond, & Huxley, 2001b; Drake, McHugo et al., 1999; Marrone & Golowka, 1999).

Les programmes de réinsertion professionnelle doivent tenir compte à la fois des incapacités et des barrières environnementales. Ce constat appelle une intersectorialité, et va au-delà du réseau de la santé. Lal et Mercier (2002) soulignent que les efforts de concertation entre les secteurs de la santé et de l’emploi sont probablement insuffisants pour résoudre un enjeu aussi complexe :ce qui pourrait expliquer les résultats mitigés observés. Afin de tenir compte de l’économie locale, ces auteures suggèrent d’élargir le partenariat pour y inclure la communauté, les intervenants économiques et les municipalités. Pour leur part, les travaux de DeSisto et ses collègues suggèrent que les politiques de santé mentale centrées sur la consolidation des services facilitant l’intégration communautaire influencent de façon significative le taux d’emploi des personnes aux prises avec des troubles mentaux (DeSisto, Harding, McCormick, Ashikaga, & Brooks, 1995a, 1995b).

2.3. Rétablissement des personnes aux prises avec des troubles