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Notre travail vise à contribuer à une étude des pratiques des enseignants en tant que réalité complexe par une analyse « holistique » des paramètres de l’utilisation des outils informatiques dans l’enseignement au sens où cette analyse implique non seulement la prise en compte des différents paramètres mais aussi les interactions entres ceux-ci. Elle suppose d'observer des situations représentatives de cette complexité et c'est pourquoi nous avons choisi d'étudier des enseignants « ordinaires » au sens que nous allons expliquer.

Précisons que nous utilisons le terme enseignant « ordinaire » comme un raccourci pour « enseignants observés dans leurs conditions ordinaires sans apporter de conditions expérimentales ». Très souvent les études sur les TICE s'inscrivent dans un projet de recherche ou une innovation qui, bien que devant tenir compte de conditions institutionnelles générales (programmes…), peuvent être assez éloignés des conditions normales d'enseignement : matériel spécialement mis à disposition, temps de préparation supérieur, aide à la réflexion didactique… Nous souhaitons, quant à nous, observer ce qui se passe dans une classe avec les conditions ordinaires d'enseignement de façon à nous situer au plus près du fonctionnement réel d'une classe, avec l'hypothèse que ces conditions jouent un grand rôle dans la mise en œuvre de l’utilisation des outils informatiques par l'enseignant.

Ce choix d'étudier des enseignants « ordinaires » rejoint l'observation de Perrin-Glorian (ibid.) rapportée plus haut selon laquelle 'la prise en compte comme objet d'étude des pratiques des enseignants dans des classes ordinaires, répond à la nécessité d'orienter la recherche vers les « différentes dimensions du travail de l’enseignant »'.

Nos hypothèses

Dans l’état actuel des connaissances, un travail de thèse comme le nôtre ne peut avoir pour but de proposer des ’solutions’ au problème de l’intégration ni même de dégager des variables permettant de caractériser de ‘bonnes pratiques’. Tout au plus peut-il viser à mieux connaître les pratiques telles qu’elles peuvent exister et à les comprendre.

L’étude des travaux relatifs à « l’enseignant » et d’incitations institutionnelles que nous avons présentés dans ce chapitre nous amène à préciser notre champ d’étude :

 La complexité pour l’enseignant des situations d’intégration d’outils informatiques. Nous nous intéressons aux phénomènes se produisant dans ces situations et résultant des contraintes imposées par ces outils, notamment lorsqu’ils se produisent de façon inattendue pour les enseignants.

 La variabilité des pratiques. Nous nous intéressons à la gestion différenciée par des enseignants, des phénomènes résultant des contraintes.

Nous faisons les hypothèses suivantes :

 La gestion de classe par les enseignants est profondément marquée par les phénomènes résultant des contraintes imposées par les outils

 Elle est déterminée par une conjonction de ‘paramètres’ propres à la situation et à l’enseignant.

 Les variations de ces paramètres déterminent la variabilité des pratiques.

Nos choix

Pour étudier ces hypothèses, dans le cadre de notre démarche expérimentale, nous avons besoin d'observer des enseignants qui ne se servent pas des outils informatiques dans leur enseignement seulement par choix ou conviction personnelle. Il nous faut aussi observer une utilisation non ponctuelle. En fonction de ces besoins, nous avons choisi un niveau de classe et un sujet mathématique : il s’agit de la classe de Première Littéraire (1ère L) et de l’enseignement des suites. Nous expliquons brièvement ce choix.

Le programme mathématique de cette section se situe dans le prolongement des acquis de la classe de Seconde. L’objectif principal de cette section pour l’enseignement des mathématiques consiste en grande partie à faire acquérir aux élèves ‘une culture de base en mathématiques en privilégiant l’intuition, l’application et l’interprétation. Réformé en 1999, le programme de 1ère L comporte une forte dimension informatique. Il impose l’utilisation des outils informatiques, notamment du tableur durant tous les chapitres du programme. (Dans le chapitre II, nous analysons le programme ainsi que les manuels scolaires de cette section)

Pour les élèves de cette section, la classe de Première est la dernière année où un enseignement des mathématiques est obligatoire et ils vont passer l’épreuve mathématique du baccalauréat à la fin de cette année scolaire. Malgré le poids de l’informatique dans le programme, il ne s’agit pas d’une épreuve qui se fait devant les ordinateurs. Cependant une partie des questions porte sur l'utilisation du tableur (nous l’étudions dans le chapitre 6). Une intégration des outils informatiques est donc demandée dans cette section par ce nouveau programme et par l’évaluation au baccalauréat. Une conséquence est que le professeur qui enseigne dans cette section doit nécessairement intégrer des outils informatiques, notamment un tableur, dans son enseignement quel que soit son rapport personnel à ces outils.

Nous avons choisi l’enseignement des ‘suites’. Comme nous avons souligné ci-dessus, le programme contient plutôt des notions déjà introduites dans les classes antérieures tandis que les suites sont des sujets nouveaux pour les élèves de cette classe. Il nous paraît donc plus pertinent d’observer les pratiques d’un professeur dans l’enseignement d’un nouveau sujet que dans un enseignement où la reprise et le rappel des connaissances anciennes occupent une place importante. En outre, en didactique des mathématiques, les recherches sur l’enseignement de cette notion aux différents niveaux de l’enseignement (DEUG, Terminale) montrent que cet objet mathématique pose de réelles difficultés d’apprentissage aux étudiants (Robert, 1982,1990). Même si notre travail ne s’intéresse pas directement aux apprentissages des élèves, il nous semble intéressant de regarder l’enseignement de la notion de la suite par un logiciel comme le tableur qui permettrait de l’aborder dans une approche différente.

Contexte et but de la recherche

Ce choix d’une section, d’un sujet mathématique et d’un logiciel conduit à spécifier notre questionnement. Nous devrons tout d’abord problématiser l’usage du tableur en confrontant la façon dont les instructions officielles voient son usage aux études didactiques dans ce domaine. La Première L est aussi une section où les élèves ont un rapport spécifique aux mathématiques que nous tenterons d’expliciter et qui posent par conséquent aux enseignants des difficultés spécifiques pour la gestion des apprentissages et de la classe.

Ainsi, dans cette section, le tableur offre des potentialités pour l’enseignement des mathématiques que nous allons préciser. Nous nous attendons, à la suite des recherches sur le tableur comme celle d’Haspekian (2005) et des recherches sur l’enseignement des suites, à ce qu’il présente aussi des difficultés de mise en œuvre. Nous chercherons donc à comprendre comment la gestion des contraintes par les enseignants dans sa complexité s’inscrit dans ces potentialités et difficultés prévisibles et comment celles-ci marquent la variabilité des pratiques.

CHAPITRE 2

Tableur :

I. Le tableur dans la recherche en didactique des mathématiques