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CHAPITRE 3 : SIMULATION PAR DYNAMIQUE MOLÉCULAIRE CLASSIQUE

3.1 Objectifs

Nous avons vu au deuxième chapitre que la spectroscopie de l’eau en matrice de gaz rare est révélatrice de certains effets de confinement, comme le déplacement des fréquences de transitions rotationnelles et rovibrationnelles, l’élargissement des bandes associées à ces transitions, et surtout, l’accélération par plusieurs ordres de grandeurs de la cinétique de conversion des isomères de spin nucléaire. De plus, ces résultats semblent indiquer le rôle primordial du couplage entre la rotation et la translation de la molécule d’eau (couplage RT). La spectroscopie moléculaire étant intimement liée à la dynamique des molécules par le biais de l’interaction entre le champ radiatif et les particules chargées qui composent ces molécules, il est naturel de s’attendre à ce que les signatures spectroscopiques du confinement et du couplage RT aient une origine dans la dynamique de la molécule d’eau. Le but des simulations présentées dans ce chapitre est de déterminer quelles sont ces origines.

En principe, pour étudier la dynamique d’un rotateur quantique tel que la molécule d’eau, l’équation de Schrödinger dépendante du temps devrait être utilisée. Une telle approche pourrait être envisageable pour une molécule d’eau isolée, mais si on cherche en plus à décrire son interaction avec l’environnement, comme c’est le cas ici, alors cette approche n’est pas praticable, le nombre d’électrons étant bien trop important. De plus, puisque l’on souhaite étudier le couplage entre la rotation et la translation de la molécule d’eau, et son interaction avec les phonons de la matrice, il n’est pas vraiment pertinent de considérer explicitement les degrés de liberté électroniques.

Pour étudier la dynamique d’un système contenant plus de quelques dizaines d’atomes, il est nécessaire de faire des approximations. L’approximation de Born-Oppenheimer est sans doute la plus utilisée (140) et forme la base sur laquelle la technique de dynamique moléculaire classique, utilisée ici, repose. Dans le cadre de cette approximation, on considère qu’une séparation entre les échelles de temps associées aux mouvement des électrons et des noyaux atomiques est possible, puisque les électrons se déplacent beaucoup plus vite que les noyaux. On considère alors que les noyaux atomiques se déplacent sur une

surface d’énergie potentielle résultant de l’interaction entre les électrons et la distribution statique des noyaux. En décrivant cette surface d’énergie potentielle par une fonction analytique, paramétrée pour reproduire les résultats de méthodes de chimie quantique précises, on obtient un potentiel d’interaction que l’on peut utiliser pour faire évoluer les positions atomiques en fonction du temps à l’aide des équations de mouvement classiques. Cette approche de dynamique moléculaire classique rend praticable l’étude de systèmes allant jusqu’à des millions d’atomes (141,142).

Les premières études par dynamique moléculaire du couplage RT remontent aux années 70-80 avec les rotateurs linéaires et sphériques (143–145), mais certains aspects du couplage sont toujours étudiés aujourd’hui, notamment son influence sur les processus de diffusion dans les liquides (146–149). On peut par exemple citer les récents travaux de Manogaran et Subramanian qui ont étudié l’effet de différentes distributions de masse sur les propriétés translationnelles et rotationnelles de la molécule d’eau en phase liquide (150).

Concernant l’eau en milieu confiné, des études par dynamique moléculaire ont permis de montrer la diminution du temps de relaxation rotationnelle en l’absence de liens hydrogène, lorsque la molécule d’eau est piégée dans une molécule de C60 (151,152). Une approche hybride de chimie quantique/dynamique moléculaire classique à été utilisée en 2015 pour interpréter les spectres infrarouges d’agrégats d’eau en matrice d’argon (153). Les déplacements des transitions rovibrationnelles observés expérimentalement furent reproduits avec succès, mais le rôle du couplage RT et des effets isotopiques sont absents dans cette étude. Très récemment, la spectroscopie des isotopomères H16

2 O, D162 O et HD16O en matrice de gaz rare fut l’objet d’une étude par chimie quantique (125). Les effets de confinement sur les spectres rovibrationnels furent entièrement attribués à l’anharmonicité des vibrations intramoléculaires, et aucune mention au couplage RT n’est faite dans cette étude, la méthode utilisée ne permettant pas de rendre compte de tels effets.

Une étude systématique des effets isotopiques et du couplage RT sur la dynamique de la molécule d’eau confinée manque à la littérature, bien qu’une telle étude permettrait d’appréhender les effet sous-jacents à la spectroscopie. Ce chapitre présente les expériences numériques entreprises dans le but de combler ce manque.

L’approche par dynamique moléculaire classique a été choisie pour plusieurs raisons. Premièrement, grâce aux données expérimentales, on sait que les modes de vibrations de la matrice aux alentours de 20 cm−1jouent un rôle important dans la dynamique de la molécule d’eau (84). À l’aide de la courbe de dispersion de l’argon, on peut calculer que la longueur d’onde associée à ces phonons est d’environ 25 Å (101). Le volume de la cellule de simulation devra donc être de l’ordre de 253 1, 6.104Å3pour

représenter correctement ces phonons, ce qui implique un nombre d’atomes de gaz rare de l’ordre du millier. Deuxièmement, l’étude des effets de matrice nécessite une certaine liberté dans le choix des paramètres

d’interaction interatomiques qu’une approche par chimie quantique ne permet pas facilement. Ensuite, la possibilité d’imposer une distribution de masses arbitraire à la molécule d’eau est souhaitable pour étudier les effets isotopiques. Là encore, une approche par chimie quantique ne permettrait pas une telle liberté. Enfin, bien que la molécule d’eau soit un rotateur quantique, le couplage RT n’a rien d’un phénomène intrinsèquement quantique, et une approche classique est adaptée pour comprendre qualitativement la relation entre distribution de masses, milieu de confinement et couplage rotation-translation. L’aspect quantique du phénomène sera étudié en détails au chapitre suivant.