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1.3 Les cas du Nouvelliste et de la Tribune de Genève

1.3.2 Le Nouvelliste

Contrairement à Genève, la pratique semble plus longue à se mettre en place en Valais. Cela est en grande partie dû au contexte. Durant toute la première moitié du XIXe siècle, le canton est marqué par les guerres politiques entre conservateurs, libéraux et radicaux, la mise en place de la constitution et ses différentes révisions, la position forte du clergé qui jusqu’en 1847 cumule mandats religieux et politiques.

Le canton est également touché par la censure. L’Église aimerait interdire les journaux vaudois, genevois et français: « un Valaisan désirait-il communiquer quelque chose à ses concitoyens, c’est aux imprimeurs étrangers et souvent au

10 La Suisse est un quotidien du matin genevois qui parut du 1er mai 1898 au 31 mars 1994.

Tout d’abord sympathisant du Parti démocratique (Libéral), il devient apolitique en 1903. Tout comme la Tribune de Genève, sa ligne rédactionnelle s’oriente sur l’actualité régionale.

11 Le tirage de la Tribune de Genève pour 2008 s’élève à 58’952, en comparaison le tirage du Courrier, second quotidien du canton s’élève à 8’902 (Association de la presse suisse romande, 2009).

12 Nous reviendrons plus en détail sur la question des Club Service et notamment de la franc-maçonnerie dans le chapitre 5.

voile de l’anonymat qu’il devait recourir » (J.-B. Bertrand, 1931, p. 34). Les imprimeries ne sont pas répandues dans le canton. Du milieu du XVIIe à la fin du XIXe siècle, elles sont essentiellement basées à Sion13 (Imhoff, 1940). Les premiers textes politiques sont édités à Lausanne, voire à Paris. En 1832, le Bas-Valais tente de mettre en place un journal édité trois fois par semaine, mais le projet n’aboutit pas. La constitution de 1839 promulgue la liberté de la presse. Mais de cette date à 1856, les régimes politiques se succèdent comme les journaux orientés politiquement, sans toujours survivre très longtemps. Suite à cette période politiquement mouvementée, trois journaux voient le jour: La Gazette du Valais (1855-1874, 1888-1922), L’Ami du Peuple (1878-1922) et le Confédéré (depuis 1861), les deux premiers étant de mouvance conservatrice et le dernier radical (Lugon & Ebneter, 2008). En 1903, à quelques jours d’intervalle sortent de presse la première édition du Nouvelliste Valaisan édité à Saint-Maurice et du Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion édité à Sion. Ils paraissent trois fois par semaine, le premier devient un quotidien en 1929, le second quadrihebdomadaire en octobre 1951 puis quotidien en 1957. Il s’ajoutera en 1929 le Rhône, édité à Martigny, qui fusionnera en 1960 avec le Nouvelliste Valaisan pour donner naissance au Nouvelliste du Rhône. Dans sa course à l’hégémonie, ce dernier fusionnera avec le Journal et feuille d’avis du Valais en 1968, devenant Le Nouvelliste et feuille d’avis du Valais, quotidien dominant du Valais romand : « en situation de monopole, le Nouvelliste est implanté en Valais comme nul autre quotidien cantonal, indéboulonnable comme le démontrera en 1978 l’échec du journal du Journal du Valais » (Clavien, 2017, p. 133).

Dès sa première publication le 17 novembre 1903, Le Nouvelliste Valaisan se veut ancrer dans les valeurs catholiques chrétiennes tout en restant apolitique. Cela perdure encore aujourd’hui, comme le montre la charte datant de 1997 que chaque rédacteur s’engage à respecter, et qui précise le positionnement du journal: « Sur le plan moral et religieux, Le Nouvelliste est un journal d’inspiration chrétienne. Sur le plan économique, Le Nouvelliste défend la libre entreprise et l’économie libérale, dans le respect de la personne humaine et de l’équité sociale » (Pellegrini, 2003, p.

9).

Les premiers avis à être publiés dans le journal sont ceux de remerciements. Le fait que le journal ne paraît pas quotidiennement facilite l’émergence de ce type d’annonce plutôt que d’un avis invitant aux funérailles.

Figure 1.12 Remerciements, Nouvelliste Valaisan, 17 novembre1904

13 À l’exception de l’imprimeur Antoine Advocat père et fils, Louis Advocat et Hoirs présent à Sion et à Sierre de 1787 à 1844 et de Louis Hignou qui après une première expérience malheureuse à Sion en 1844 s’établit à Saint- Maurice en 1862.

Les avis de décès commencent à apparaître dès les premières années d’existence du journal. Par le format et le contenu, ils sont semblables à ceux publiés dans la Tribune de Genève.

Figure 1.13 Avis de décès, Nouvelliste valaisan, 30 octobre 1928

Un autre élément, que nous n’avons par contre pas repéré dans la Tribune de Genève, est la présence de nécrologies. En effet, les journaux valaisans n’hésitent pas à en rédiger pour parler d’un magistrat ou d’une autre personnalité importante du canton. La mort d’un religieux prend aussi les apparences d’une nécrologie, rédigée par la communauté qui convie aussi aux obsèques. Ces notices apparaissent dans la rubrique consacrée aux nouvelles locales. Jusque dans les années 1920, elles ne sont pas systématiquement signées.

Figure 1.14 Avis de décès d’un religieux, Nouvelliste valaisan, 23 septembre 1920

Un point commun regroupe l’ensemble des journaux valaisans, la position mouvante des avis. Au début, ils sont placés à la fin de l’avant-dernière page, mais peuvent parfois se retrouver à un autre endroit. Pour autant, jamais un avis n’est publié sur la page destinée aux annonces publicitaires. À partir des années 1930, au moins un avis de décès ou un remerciement paraît quotidiennement dans chacun des trois journaux. Mais c’est vraiment vers le milieu du XXe siècle que cela devient une pratique usuelle auprès de la population. Suite à la fusion de 1968, une demi-page est consacrée aux avis et au début des années 1970, une page entière. La rubrique telle que nous la connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire deux pages pleines, voire trois, quotidiennement placées avant la dernière page remonte au début des années 1990. Elle s’est imposée comme un passage pour ainsi dire obligé. En 2008, pas moins de 90% des personnes de plus de 65 ans décédées dans le Valais romand ont un avis qui paraît dans le Nouvelliste.

Contrairement à Genève, il est difficile d’observer l’évolution entre les différentes pratiques de l’annonce de la mort. Une exposition récente consacrée à la mort en Valais14 n’a pas permis d’établir l’existence de l’envoi de faire-part de décès ou de billet d’enterrements dans la région. Pourtant, la mention « Le présent avis tient lieu de lettre de faire-part », à la fin des avis, apparaît dès les premières publications et suppose qu’une partie de la population a dû y avoir recours. Malheureusement, ces

« vieux papiers » n’étant pas nécessairement archivés et souvent jetés (Flobert, 1924), nous ignorons qui a pu le pratiquer. Dans son ouvrage sur le Val d’Anniviers, Yvonne Preiswerk (1983) ne fait mention que de l’annonce orale; c’est aussi le cas de Marie Métrailler (1980) quand elle parle du Val d’Hérens. Nous supposons donc que la transition de l’oral à l’écrit s’est directement traduite par la diffusion dans la presse et non par l’écriture du billet auprès d’une partie de la population. De plus, face à des avis avares en information sur la profession, nous ne pouvons établir avec certitude que seules les personnes aisées apparaissent dans le journal dans les premières décennies du XXe siècle, en Valais.

La concentration des journaux régionaux au cours du XXe siècle ainsi que la simplicité de publication d’une annonce mortuaire, le fait que les entreprises de pompes funèbres proposent de s’en occuper, sont des facteurs qui ont permis une implantation importante dans le canton. La page de décès a su se faire sa place dans les journaux, mais dans ces pages ne se trouvent pas uniquement des avis ou des remerciements. Comme nous le verrons au chapitre suivant, elles ont été

L’annonce publique orale, le son des cloches réunissent la communauté autour du gisant, la mort est apprivoisée, les rites sont acceptés et accomplis. L’émergence de la conscience individuelle chez les lettrés, mais aussi chez les hommes de pouvoir et de richesse, marque l’avènement du testament. Ce dernier n’a pas seulement pour objectif du XIIIe au XVIIIe siècle de répartir les richesses, mais aussi de planifier les funérailles et de prévoir les prières pour le salut de l’âme, comme assurance dans l’au-delà; les messes payées représentent aussi un acte de mémoire afin que la communauté se souvienne du défunt. Le rouleau des morts joue un rôle similaire pour le clergé, prier, mais aussi se souvenir. Durant le XVIIIe, les billets s’ornent des symboles de la mort. L’homme fait de la mort un acte dramatique. Les évolutions des siècles précédents amènent les individus à percevoir la mort comme un

« événement de plus de conséquence » auquel « il convenait d’y penser particulièrement » (Ariès, 2015, p. 47 [1975]).

Le XIXe siècle marque une rupture. Les rapports entre le mourant et sa famille s’inversent, cette dernière prend désormais un rôle central, on prend conscience de la mort de l’autre: «L’émotion les agite, ils pleurent, prient, gesticulent. Ils ne refusent pas les gestes dictés par l’usage, bien au contraire, mais ils les accomplissent en leur enlevant leur caractère banal et coutumier. On les décrit

14 Exposition La Mort apprivoisée du 16 avril 2016 au 08 janvier 2017 au musée d’histoire de Sion.