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Chapitre 2. Sources et méthodes d’une recherche sur la mort dans la vieillesse 45

2.3 Les bases de données

2.3.1 Les avis de décès

Afin de construire la base de données, nous nous sommes inspirée des techniques de récolte, saisie et codage des historiens quantitativistes. Ces étapes font parties intégrantes de leurs travaux de recherche: « La saisie pour l’historien peut ainsi être comparé au terrain pour l’ethnographe ou le sociologue: elle engage physiquement, induit une connaissance intime de la source et suscite nombre de questionnements de recherche. Répartir de l’information dans des lignes (par individu) et des colonnes (variables) impose de bien définir ces éléments » (Lemercier & Zalc, 2008, p. 36).

Face à la masse de données existantes, d’autant plus qu’elles sont disponibles en ligne, nous n’avons pas voulu opter pour une méthode arbitraire telle que sélectionner les avis qui nous semblaient les plus pertinents, donnant ainsi une image biaisée de ce matériau (Truc, 2011). Nous avons dès lors défini trois critères dans la récolte des différents avis: l’année 2008, les personnes de plus de 65 ans ou identifiées comme telles ayant un mortuaire famille et, dernier critère, nous avons considéré uniquement les personnes décédées dans un des deux cantons. Ces critères nous permettent de ne pas manquer l’essentiel (Truc, 2011).

Si les deux derniers éléments de choix sont évidents compte tenu de nos questions de recherche, le choix de l’année 2008 se justifie, car il s’agissait de la dernière disponible dans la Swiss National Cohort (ou SNC, qui sera présentée ci-dessous) lorsque ce travail a débuté. Documentant l’ensemble des décès, la SNC offrait un élément de comparaisons précis avec les populations des avis. Le choix de cette temporalité permet d’indiquer le niveau de confiance que nous pouvons accorder à la représentativité des données, élément important à la lecture des résultats (Lemercier & Zalc, 2008).

Pour l’ensemble de ces individus ont été saisies dans un fichier Excel les informations contenues dans les avis publiés par la famille, les avis de sociétés et ceux de remerciements. Les dix règles de la saisie (Lemercier & Zalc, 2008, p. 41‑

42) ont été suivies, avec en premier la création d’une ligne par individu, décomposant le plus possible les informations en variable (colonnes) tout en restant au plus proche de la source d’origine. Les avis genevois fournissant moins de détail sur l’âge et le statut matrimonial, nous avons fait appel à une autre source d’information provenant de l’Office cantonal genevois de la population. Les décès du canton étaient publiés en ligne jusqu’à l’été 201718. Grâce à un appariement des deux fichiers, le nôtre et le leur, trop de valeurs manquantes sur des variables d’intérêt ont pu être évitées. Mais ceci ne s’applique que sur des données dites objectives.

Tableau 2.1 Répartition des avis saisis pour chaque journal Nouvelliste Tribune de

Le Tableau 2.1 indique comment se répartissent les 8549 avis saisis, qui portent sur 3160 personnes de plus de 65 ans (nées entre 1902 et 1943). Le nombre de décès dans le canton de Genève plus important qu’en Valais explique la différence qui ressort entre le Nouvelliste et la Tribune de Genève. Les deux journaux connaissent par ailleurs des pratiques différentes. En Valais, il est plus répandu de poster un avis dans le journal concernant un membre de la famille du défunt que pour le défunt lui-même, alors que la pratique est inverse à Genève. Si l’avis de remerciement est moins présent dans la Tribune, c’est parce que les familles les expriment plus souvent dans l’avis principal, les prix décourageant une double publication. Avec, nous l’avons vu, une rubrique Hommage ouverte à tous dans le Nouvelliste, il n’est pas surprenant d’y trouver cinq fois plus de nécrologies que dans le quotidien genevois.

Suite à la saisie, il a été procédé à la délicate étape de la mise en place d’une grille de codage pour permettre le traitement statistique des données. Dans la mesure du possible, nous nous sommes inspirée des variables de la SNC afin de faciliter leur comparaison (religion, catégorie socio-professionnel, éducation, état civil). Nous avons pris la décision de ne pas coder les zones textes (déroulement du décès, information sur le défunt et remerciement). Truc (2011) explique la difficulté de catégoriser les grands corpus de textes de condoléances, que nous options pour des catégories créées a priori ou suite au dépouillement des premiers textes.

Car cela « peut ainsi conduire à une survalorisation des messages conformes aux attentes préalables et, inversement, à une cécité à l’égard d’autres messages

18 Les faits d’état civil (naissance, mariages et décès) étaient rendus publics par la Feuille d’avis officielle et le site internet de l’Office cantonal de la population jusqu’en juillet 2017.

Cela fait suite à la modification de l’ordonnance sur l’état civil décidé en octobre 2016 par la Confédération suisse (RO 20 39 25).

pouvant très bien, en définitive, constituer la majorité du corpus. En procédant de la sorte, le chercheur introduit donc un biais de sélection, qui découle de l’écart existant entre ce qui retient son attention dans ce qu’il lit et le reste des messages de condoléances qui lui paraissent au contraire creux, répétitifs, et dont il peine à dire de quoi ils parlent. Le risque, ici, est de faire passer les exceptions pour la règle, et de faire primer, dans l’analyse des messages de condoléances, ceux qui dénotent, alors qu’ils ne peuvent en aucun cas être tenus pour représentatifs de l’ensemble du corpus étudié » (Truc, 2011, p. 32).

La tentation d’appliquer une grille de codage est d’autant plus grande que nous sommes face à des textes standardisés par leur mode de construction. Mais qui à en croire plusieurs auteurs (P. Legros & Herbé, 2006; Ringlet, 1992), connaissent un processus de personnalisation depuis le milieu du XXe siècle. Le risque d’induire des biais ou de manquer l’essentiel est d’autant plus grand. Cela étant, notre option de saisir les textes tels quels ne fait sens que grâce au développement de la statistique de données textuelles et à ces nombreux logiciels. Nous développerons ces aspects à la fin de ce chapitre.

2.3.2 La Swiss National Cohort

La Swiss National Cohort est un projet financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique dans le cadre d’un partenariat des Universités de Zürich, Berne, Bâle, Lausanne et Genève. Il s’agit d’une base de données fondée sur l’appariement de différentes sources de données: principalement pour ce qui nous concerne ici, les recensements fédéraux de population de 1990 et 2000 et les registres de mortalité de 1991 à 2008 (Spoerri, Zwahlen, Egger, & Bopp, 2010).

Figure 2.7 Structure de la SNC

Source: Spoerri et al., 2010, p. 240

L’appariement a été réalisé de façon probabiliste en l’absence de numéro d’identification personnelle19, en se basant sur la commune de résidence, le sexe, la date de naissance complète, l’état civil, la nationalité, la langue, la religion et, quand cela faisait sens, la profession des individus.

De portée longitudinale, la SNC permet d’établir un panorama sur l’ensemble de la mortalité en Suisse. Dans la présente recherche, les données du recensement (de 2000 alors que nous travaillons sur les décès de 2008) n’ont été utilisées que de manière occasionnelle. Ce sont avant tout les actes de l’état civil de 2008 qui ont été mobilisés. Ils permettent d’isoler l’ensemble des décès survenus à Genève et en Valais en 2008, en renseignant les variables évoquées plus haut, mais aussi les causes de décès.